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Redémarrage des assises à Bouaké, la justice progresse en Côte d'Ivoire

Redémarrage des assises à Bouaké, la justice progresse en Côte d'Ivoire

Ils sont six, quatre hommes et deux femmes, au rôle fondamental ; les jurés des assises de Bouaké (centre), qui redémarrent après douze ans de vide judiciaire, participent à la relance de la justice en Côte d'Ivoire.

La salle est comble pour l'occasion. Pas un seule des centaines de chaises en plastique bleu n'est inoccupée dans la salle haut de plafond du tribunal de la ville.

Le public fixe l'estrade, à un mètre du sol, sur laquelle se déroulent les débats. Les jurés et des magistrats aux toges rouges sont assis devant un grand drapeau orange, blanc et vert, les couleurs de la Côte d'Ivoire.

Denis Konan Yao, un paysan de 47 ans, est jugé pour "coups et blessures ayant entraîné la mort" de Trésor Kouadio 30 ans, lors d'une altercation en juin 2012 dans un mini-car.

L'agresseur, reconnu pour sa sagesse, selon plusieurs témoins, et dont le casier judiciaire était jusqu'alors vierge, "n'avait pas l'intention de tuer", argumente son avocat, commis d'office.

Lui qui avait passé deux années en détention préventive écope finalement de trois ans ferme et 500.000 francs CFA (763 euros) d'amende.

"Ces assises marquent le retour en force de la justice à Bouaké", se félicite le procureur général, Marie Léonard Lebry, interrogé par l'AFP.

Avant cela, les tribunaux étaient ouverts, mais seuls les délits étaient traités. Désormais, "les grands criminels, ceux qui commettent des meurtres, des viols, des assassinats seront jugés", affirme-t-il.

La semaine passée, un père de famille a été condamné à cinq ans de prison à Bouaké pour avoir violé pendant plusieurs années sa fille, aujourd'hui âgé de 15 ans.

La majorité des quarante dossiers jugés à cette session d'assises concernent d'ailleurs ce genre d'affaires.

- "Pas de baguette magique" -

Faute de juridiction apte à juger des crimes, les viols étaient jusqu'ici requalifiés en "attentat à la pudeur commis avec violence", observe Constance Tokpa, responsable de la clinique juridique de Bouaké. Pour des condamnations faibles.

"Imaginez un peu comment pouvait se sentir les victimes", commente-t-elle.

Alors que la Constitution prévoit la tenue d'assises tous les trois mois, Bouaké n'en avait pas hébergé depuis janvier 2002 - au contraire d'Abidjan, où les assises avaient siégé pour de rares affaires médiatisées.

La ville devint cette année-là "capitale de la rébellion", quand la Côte d'Ivoire se retrouva coupée en deux entre un Nord tenu par des forces favorables à l'actuel président Alassane Ouattara, et un Sud loyal à l'ancien chef de l'Etat, Laurent Gbagbo.

Les violences postélectorales qui ponctuèrent cette décennie de crise politico-militaire firent plus de 3.000 morts entre décembre 2010 et avril 2011. L'Etat ivoirien et son système judiciaire, encore faible et désargenté, se reconstituent depuis progressivement.

Juger les crimes commis durant ces cinq mois de chaos constitue d'ailleurs le principal écueil auquel Abidjan est confronté. La tenue d'assises partout dans le pays était en ce sens impérative.

Début mai, le garde des Sceaux Gnénéma Mamadou Coulibaly s'est engagé à ce que l'ensemble des prévenus soient jugés avant le scrutin présidentiel d'octobre 2015, afin que la page de la crise soit "totalement tournée".

"La majorité des dossiers" est "prête à être jugée", a-t-il observé.

Nombre d'acteurs se montrent circonspects face à ces prédictions. A l'image de Me Yacouba Doumbia, le président du Mouvement ivoirien des droits humains, pour qui il paraît "un peu prétentieux" de dire qu'on va "solder le passif judiciaire" dans les dix-sept mois à venir.

La tenue d'assises est certes un "très bon" signal, se réjouit-il, mais les crimes de la crise ne pourront être jugés, car leur "instruction n'est pas encore terminée".

Seul le camp des pro-Gbagbo est en outre inquiété, alors que des pro-Ouattara devraient aussi l'être, insiste-t-il, dénonçant la politisation de la justice ivoirienne.

Abidjan, qui vante l'indépendance du troisième pouvoir, est accusé par ONG et diplomates de pratiquer une "justice des vainqueurs".

"Le garde des Sceaux semble parfois croire que les choses vont se régler d'un coup de baguette magique, critique-t-il. Or il n'y a pas de magie dans la chose judiciaire."

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