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La nuit du 23 février 1981, où le roi d'Espagne scella sa couronne

La nuit du 23 février 1981, où le roi d'Espagne scella sa couronne

Dans la nuit du 23 au 24 février 1981, le roi Juan Carlos apparaît à la télévision pour défendre "l'ordre constitutionnel". Les Espagnols respirent. C'est la fin de la tentative de coup d'État menée par 200 gardes civils qui se sont emparés de la Chambre des députés.

Cette nuit historique va sceller l'image de Juan Carlos comme le souverain qui a fait le choix de la démocratie, cinq ans après la fin de la dictature de Francisco Franco en novembre 1975.

"J'ai ordonné aux autorités civiles et aux chefs d'État-major qu'ils prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre constitutionnel", annonce le roi, en uniforme militaire, vers une heure du matin le 24 février, dans ce discours solennel.

Quelques heures plus tôt, à 18H00, 200 gardes civils menés par le lieutenant-colonel Antonio Tejero avaient fait irruption, tirant en l'air, dans l'hémicycle du Congrès à Madrid.

"La première image que j'ai eue, ce fut la surprise de voir un garde civil entrer dans le Congrès, ajustant son tricorne sur sa tête, et se mettre à crier et à tirer", racontait à l'AFP l'ex-ministre de la Défense José Bono, alors jeune député de 30 ans.

José Bono, l'un des secrétaires de séance, se trouvait sur l'estrade où se déroulait le vote pour l'investiture du nouveau chef du gouvernement, Leopoldo Calvo Sotelo.

Le jeune député voit alors le militaire se placer à côté de lui, et crier: "Tout le monde à terre!". "Le moment le plus tendu fut lorsqu'ils ont tiré, plus de 30 fois, plus de 30 impacts qui restent dans les murs du Congrès". "Nous avons décidé de ne pas les enlever, qu'ils resteraient comme des blessures historiques de ce coup d'État".

Les putschistes espéraient ainsi intimider les députés, en particulier le vice-président du gouvernement, le général Manuel Gutierrez Mellado, qui avait tenté de s'opposer à leur entrée et fut repoussé par Tejero, alors que résonnaient les rafales.

Les caméras du Congrès ont filmé les députés se cachant sous leurs sièges, à l'exception du général Gutierrez Mellado, qui resta debout, de l'ex-chef du gouvernement, Adolfo Suarez, et du secrétaire général du Parti communiste, Santiago Carrillo, qui eux restèrent assis.

"Ils auraient pu nous tuer, mais il fallait sauver l'honneur", racontera par la suite Santiago Carrillo.

Dans une confusion totale, beaucoup ont alors pensé qu'il s'agissait d'une attaque du groupe basque ETA.

Commença alors une longue nuit. Les informations "nous parvenaient difficilement. Deux députés avaient des radios et les nouvelles circulaient par le bouche à oreille", se souvient l'ex-ministre. "Nous avons appris que le roi avait parlé, mais très tard et d'une façon très déformée".

"Le roi avait déjà acquis une légitimité juridique grâce à la Constitution de 1978, mais ce soir-là, il a acquis sa légitimité sociale, quand au lieu de choisir les auteurs du coup d'État, il a choisi le peuple", assure José Bono. "En ce sens, il fit plus pour la monarchie que nul autre avant lui".

Alimentant la légende, la Maison royale a fait savoir que, dès que Juan Carlos prit connaissance de la tentative de coup d'État, il appela le prince Felipe, âgé de 13 ans, pour lui apprendre le métier de roi.

Toute la soirée, le jeune garçon à ses côtés, il s'est entretenu par téléphone, depuis le palais de la Zarzuela, avec les autorités militaires, pour évaluer les soutiens dont bénéficiait la tentative, comme celui du général Jaime Milans Del Bosch, commandant de la région militaire de Valence, dans l'est de l'Espagne, qui avait décrété l'état d'exception et déployé ses chars dans la ville.

Mais face à l'image d'un souverain sauveur de la démocratie, les doutes persistent encore en Espagne, plus de 33 ans plus tard sur son véritable rôle.

Un livre paru en avril, écrit par une journaliste de renom, affirmait que le roi d'Espagne avait conspiré pour évincer celui qui fut son grand ami et premier chef de gouvernement de l'après-franquisme, Adolfo Suarez, et qu'il avait créé avec cette opération le terrain propice à la tentative de coup d'Etat.

En février, la chaîne privée La Sexta avait provoqué la polémique en émettant un faux reportage affirmant que ce coup d'Etat déjoué avait été lancé pour "renforcer l'image du roi". Pour justifier ce procédé, l'émission disait que le secret pesant sur certaines archives de l'époque offrait "un terrain fertile aux théories et affabulations de tous types".

Toute la nuit, "ce fut une pression permanente, une dure bataille dans laquelle le roi et Sabino Fernandez Campos, son secrétaire, durent s'impliquer à fond pour faire rentrer dans le rang les régiments", a raconté au journal El Pais Francisco Laina, alors directeur de la sécurité.

A une heure du matin, le discours du souverain marque le début du dénouement.

Au petit matin, les gardes civils quittent le bâtiment pour se rendre. Tejero, Milans del Bosch et le général Alfonso Armada, chef d'Etat-major adjoint de l'armée de terre, seront arrêtés et condamnés à 30 années de prison.

Jaime Milans del Bosch est décédé en 1997. Alfonso Armada est mort en 2013, après avoir toujours nié avoir été le cerveau du coup d'Etat.

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