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A 89 ans et malgré deux tsunamis, le Japonais Hiratsuka publie toujours sa feuille de choux depuis 65 ans

A 89 ans et malgré deux tsunamis, le Japonais Hiratsuka publie toujours sa feuille de choux depuis 65 ans

A "La gazette d'Oshika", Toshio Hiratsuka sait tout et fait tout: enquêteur, éditorialiste, rédacteur en chef, directeur de publication. Et cela fait soixante-cinq ans que ça dure, depuis qu'il l'a fondée en 1949!

A 89 ans, Hiratsuka "couvre" encore et toujours la vie de sa cité de la côte nord-est du Japon. Tout le monde y connaît sa silhouette frêle perchée sur son vélo, sa chevelure aujourd'hui blanche sagement peignée en arrière.

Les quantités de poissons ramenées au port par les pêcheurs, deux renards aperçus dans un jardin public, l'élection de la reine de beauté locale, etc... tout est dans son hebdomadaire qui tient sur une page recto verso et compte plus d'un millier d'abonnés.

Autant dire qu'en 65 ans, pas un chien écrasé, pas la moindre délibération du conseil municipal, pas le plus petit événement de la cité ne lui ont échappé.

En bon localier, le presque nonagénaire continue à faire sa tournée quotidienne avec son calepin et son stylo, notamment au commissariat de police où il prend consciencieusement note des incidents "graves" qui ont secoué la ville. L'un des "pires" dont il ait eu à rendre compte récemment: un automobiliste qui avait embouti un poteau téléphonique et qui avait pris la fuite.

"Du lundi au jeudi je suis complètement pris par le journal. Je dois dire que je suis quand même content lorsque le jeudi soir arrive", confesse néanmoins Hiratsuka à l'AFP.

Pour lui, l'aventure du journalisme a commencé après la fin de la deuxième guerre mondiale. Hiratsuka revient alors à Watanoha, sa ville natale dans la péninsule d'Oshika. Après des petits stages non payés, il lance en 1949 "Watanoha Hebdo", avec une info "choc" dès le premier numéro: les pousse-pousse et bicyclettes qui circulent en ville doivent être enregistrés.

Au lancement, l'abonnement mensuel à l'hebdomadaire coûtait 30 yens, soit 21 centimes d'euros d'aujourd'hui.

Désormais, il faut débourser la somme "astronomique" de 400 yens, (2,9 euros).

En 1949, le Japon sorti exsangue de la Deuxième guerre mondiale apprenait à revivre après la terrible destruction de la défaite. La ville d'Hiratsuka aussi. Jour après jour, Hiratsuka racontait à longueur d'articles la renaissance de la cité, ces petites choses qui témoignaient de la vie retrouvée.

Pourtant, en 1960, un nouveau malheur venu de très loin, non du ciel cette fois mais des côtes chiliennes, allait alimenter ses colonnes: un énorme tsunami qui avait traversé tout le Pacifique pour gifler sa ville.

Mais quarante et un an plus tard, le fondateur-reporter-directeur de publication, allait connaître son premier ratage: un autre tsunami, celui qui s'est monstrueusement abattu sur la région le 11 mars 2011, tuant plus de 18.000 Japonais.

La vague avait balayé sa ville, emporté 547 des 17.000 habitants, dont sa soeur. Et sa petite imprimerie avait été ravagée par les flots furieux.

Pendant six mois, le vieux journaliste est sonné, silencieux. Il n'écrit plus.

"Et puis, il y a tellement de gens qui m'ont demandé quand le journal allait reparaître que je me suis dit: je dois le faire".

"Je suis de la vieille école, je ne peux pas m'arrêter", dit-il dans un sourire.

Alors il continue, mais aujourd'hui, le journal est devenu une affaire de famille. Pour aider le vieux Hiratsuka, sa belle-fille tape sur ordinateur les articles que lui continue à écrire au stylo. Penché sur son épaule, il surveille la mise en page des articles, de quelques photos et deux/trois encarts publicitaires.

La gazette sort de chez son fils qui a une petite imprimerie.

Quant à sa femme de 74 ans et leur petit-fils, ils participent à la distribution du journal aux abonnés en sillonnant la ville.

Ceux qui sont partis ailleurs continuent à recevoir leur précieuse gazette, mais par courriel.

Le maire en place au tout début de l'hebdo écrivait alors: "j'espère que ce journal n'imitera pas inutilement les gros (de Tokyo), aura sa propre personnalité et sera un journal local aimé par des gens locaux".

Soixante-cinq ans plus tard, la fidélité n'a jamais fait défaut, malgré le changement de nom de l'hebdo et de la ville en 1959: Watanoha fut absorbée par la ville d'Ishinomaki, dont elle devint un quartier. Cela aussi Hiratsuka l'avait relaté.

L'histoire tiendrait presque du conte philosophique dans un Japon où les grands journaux tirent chacun à plusieurs millions d'exemplaires, avec pour la plupart deux éditions par jour.

Pourtant, avec son unique page recto-verso en noir et blanc, Hiratsuka, chroniqueur de l'anodin et du tout petit, a résisté. Il ne craint ni la concurrence de la télévision ou d'internet, ne connaît pas les affres des budgets publicitaires et a conservé tous ses lecteurs,

A 84 ans, Koji Takahashi, lecteur fidèle parmi les fidèles, résume la longévité de la gazette en une phrase toute simple: "Ca raconte des petites histoires, ça parle de nous".

mis-jlh/kap/cac

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