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Entre "idéal" et "erreur de jeunesse", des générations de Colombiens prises par les Farc

Entre "idéal" et "erreur de jeunesse", des générations de Colombiens prises par les Farc

En un demi-siècle d'existence, la guérilla des Farc a consumé plusieurs générations de Colombiens, du vétéran démobilisé mais encore convaincu de l'"idéal révolutionnaire" à l'adolescent regrettant une "erreur de jeunesse".

Dans les environs de Cali, capitale de la province du Valle del Cauca (sud-ouest), un des fief des Farc, Salomon Cano a quasiment, à 53 ans, l'âge de la guérilla marxiste, née après la répression d'une insurrection paysanne le 27 mai 1964.

Après plus de trois décennies dans ses rangs, ce petit homme aux cheveux en brosse conserve toujours une "admiration" pour le fondateur de la rébellion, Manuel Marulanda, qu'il croisa par hasard il y a 40 ans sur un chemin de campagne. "C'était un homme simple, qui parlait aux gens avec noblesse", dit-il à l'AFP.

A ses enfants, cet ancien commandant d'une unité des Farc, désormais simple réparateur de bicyclette après avoir suivi un programme de réinsertion, raconte encore que les Farc étaient à l'origine une "armée du peuple pour le peuple, qui luttait pour un idéal révolutionnaire".

La lutte armée lui apparaissait comme une nécessité : "Si mon grand-père proteste et se fait tuer, puis mon père après, comment vais-je être assez idiot pour protester et me faire tuer ? D'abord je prends les armes et ensuite je proteste mais avec un fusil à la main, pour se faire respecter".

A l'époque, sillonnant le sud du pays, il enrôlait les recrues avec un discours solennel : "Vous n'allez pas avoir n'importe quel ennemi, sinon une armée, un Etat, un pays, une Constitution faite par les riches pour les riches".

Dans un monde rural, marqué par les inégalités, où "on ne trouvait pas un seul soldat ou policier", où "les plus gros mangeaient les plus petits", où les propriétaires terriens n'hésitaient pas à "tuer les travailleurs pour ne pas les payer", Salomon percevait son engagement dans les Farc comme un sacerdoce plus global : c'était fonder des écoles, mais aussi réprimander des maris violents ou même punir des voleurs de poules.

Dans les années 80-90, l'essor du trafic de cocaïne et des lucratives cultures de coca dans les champs marqua, selon lui, la corruption des esprits.

"Marulanda avait prédit qu'en acceptant le narcotrafic, la guérilla perdrait sa dignité, comme quelqu'un qui devient saoul", confie l'ancien rebelle, déçu par les ambitions de chefs qui ont "laissé le peuple de côté".

L'amertume est le seul héritage que conservera de son côté Guisela Gutierrez qui, à 19 ans, rejoignit les Farc. "Je me suis laissée influencée et puis il y avait aussi des raisons de coeur", explique cette jeune femme "tombée amoureuse d'un guérillero".

C'était en 2004 et, pour elle, la rébellion, qui avait atteint son apogée avec près de 18.000 combattants, plus du double d'aujourd'hui, représentait le "pouvoir".

A la différence de Salomon, cette fille de paysan, rencontrée par l'AFP dans un centre de réinsertion à Bogota, n'a jamais ressenti cette expérience d'une "cause juste".

"Les idéaux n'existent plus, ils se livrent à des enlèvement, à des extorsions, à des trafics", affirme la jeune femme, qui a survécu à un bombardement près d'un champ de coca.

Totalement coupée de sa famille durant ses six ans passés au sein des Farc, dans la région du Putumayo (sud), connue comme la "Colombie rouge", la jeune femme n'a tiré que des souffrances de ce qu'elle qualifie d'"erreur".

Son fiancé tué lors de combats, elle se lie avec un autre guérillero dont elle tombe enceinte. Mais ses chefs lui ordonnent de se défaire de l'enfant à sa naissance et le père, traduit en conseil de discipline pour avoir "refusé d'avoir fusillé" un ennemi, s'enfuit, la laissant prise au piège.

Aujourd'hui, Guisela, qui parvint aussi à s'échapper, tient un cyber-café dans la capitale. Elle a retrouvé son enfant et le père, et s'efforce d'"oublier le passé pour assumer le présent". Une tâche difficile, glisse-t-elle, car "la société stigmatise encore les démobilisés des Farc".

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