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Dans le Kentucky, la "part des anges" du bourbon fait rouspéter

Dans le Kentucky, la "part des anges" du bourbon fait rouspéter

Les Cognaçais l'appellent "part des anges" ou "velours noir": une moisissure nourrie par les vapeurs d'alcool, et qui recouvre les murs aux alentours des chais. Mais dans le Kentucky, pays du bourbon, des habitants ont porté plainte contre cette disgracieuse nuisance.

La moisissure noire est surnommée ici "le champignon du whisky": elle mouchette les murs, les gouttières et la boîte aux lettres de la maison en bois et vinyle de George Boisvert. Son lotissement, près de la capitale Frankfort, est blotti sur le flanc d'une colline à quelques centaines de mètres d'une usine de remplissage du whisky américain Jim Beam.

Baudoinia Compniacencis, découvert dans les années 2000 par un mycologue canadien de l'Université de Toronto, James Scott, a été nommé en hommage au pharmacien français Antonin Baudoin, qui s'était intéressé dans les années 1870 à une moisissure similaire à Cognac. Le nom latin signifie littéralement "champignon Baudoin de Cognac".

Pour croître, ce champignon microscopique, dont rien n'indique qu'il soit nocif pour la santé, requiert de l'eau et de l'alcool. L'eau provient de l'humidité ambiante ou de la rosée. L'éthanol vient de l'évaporation naturelle des eaux-de-vie pendant la maturation en fûts de chêne: il s'échappe des chais, se répand sur plusieurs centaines de mètres aux environs, et nourrit les spores de Baudoinia, qui prospéreront de préférence sur des surfaces très exposées au soleil, explique James Scott à l'AFP -- comme les parois en vinyle de la maison de George Boisvert.

En une année ou moins, un mur blanc se retrouve noirci comme par des gaz d'échappement. Laissé à lui-même plusieurs années, une croûte noire et uniforme le recouvrira progressivement.

"Je ne veux pas que ma maison soit noire, elle est censée être beige", dit le vieil homme en grattant de l'ongle son mur.

Tout autour, tous les objets sont comme voilés: une vieille voiture, un jet-ski dans un jardin, des barrières en bois, et des dizaines d'autres maisons salies par les affreux spores --autant de clients potentiels pour William McMurry, un avocat de Louisville qui a recruté plusieurs résidents dans un procès en nom collectif contre cinq grands fabricants de bourbon et whisky, dont Jim Beam.

Le but? Que les distilleries deviennent de "bons voisins" et installent un mécanisme de capture de l'éthanol. "Nous ne voulons remplir les poches de personne, nous serons heureux de tout arrêter s'ils nettoient cette maison une dernière fois et mettent fin aux émissions d'éthanol", affirme l'avocat.

Trois ouvriers s'activent sur une maison de deux étages, où une moitié grisée reste à nettoyer. L'un d'eux vaporise une solution à base de Javel, qu'il faudra rincer plus tard avec un nettoyeur à haute pression.

"C'est un bon mois pour nous, c'est sûr", dit Mark West, le patron de la société, qui facture 400 ou 500 dollars le nettoyage d'une maison, en général au printemps.

"Je vis à Frankfort depuis 1983, et j'ai toujours vu ça s'accumuler sur les voitures et les maisons" dit-il. "Tout le monde ici sait que les distilleries salissent les maisons".

Ce n'est pourtant qu'en 2006 que les premières plaintes ont été enregistrées, près de Louisville. Les autorités les ont d'abord rejetées ou ignorées.

Mais après avoir fait confirmer par James Scott que les moisissures étaient bien Baudoinia, William McMurry a lancé des poursuites en 2012, d'abord à Louisville, puis à Frankfort. Il a aussi été contacté par un Ecossais, près d'Edimbourg.

Les poursuites contre deux distilleries historiques, Brown-Forman et Heaven Hill, devant un tribunal local ont été rejetées par un juge, mais une procédure fédérale continue contre le géant britannique Diageo (propriétaire du whisky Johnny Walker et distributeur du cognac Hennessy), avec un éventuel début de procès d'ici deux ans, selon William McMurry.

Les distilleries rejettent les arguments scientifiques qui les impliquent.

"Le noircissement de certains bâtiments et autres structures est causé par une moisissure qui se développe naturellement et qui est très répandue dans l'environnement, y compris dans des zones non liées à la production de whisky", s'est défendu Diageo dans un communiqué commun avec Brown-Forman et Heaven Hill.

Diageo a néanmoins signé en juillet 2013 un accord avec le service antipollution de Louisville, et accepté de vider ses entrepôts du centre-ville d'ici la fin 2015, sans reconnaître sa responsabilité légale.

De l'autre côté de l'Atlantique, l'affaire fait sourire le maire de Cognac, dont les murs ne sont plus blancs depuis bien longtemps.

"Ce qui se disait à Cognac, c'est qu'on reconnaissait la richesse d'une maison à la noirceur de ses tuiles", dit Michel Gourinchas, joint au téléphone par l'AFP. "Historiquement c'est ce qui fait la richesse de la ville, donc on n'allait pas aller se plaindre".

"Que les habitants du Kentucky viennent à Cognac, on leur expliquera!"

ico/jca/cac

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