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Dans le Nord de l'île, des Chypriote-grecs se sentent comme des "visiteurs"

Dans le Nord de l'île, des Chypriote-grecs se sentent comme des "visiteurs"

"Nous vivons comme des visiteurs dans notre propre village", soupire Theodoros, un Chypriote-grec resté dans le Nord de Chypre après son invasion par la Turquie en juillet 1974.

Le village de Theodoros, Rizokarpaso, situé à l'extrémité nord-est de l'île méditerranéenne, dans la péninsule du Karpas, a été rebaptisé en turc, Dipkarpaz, depuis bientôt 40 ans.

Il fait partie de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), autoproclamée en 1983 et reconnue seulement par Ankara. Et il comprend aujourd'hui, selon Theodoros, quelque 150 Chypriotes-grecs.

Sur la place centrale du petit bourg, l'église en mauvais état fait face à une statue d'Atatürk et le seul café à l'enseigne grecque n'ouvre que rarement ses portes.

Lundi, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la Turquie à verser 60 millions d'euros aux Chypriotes-grecs enclavés dans le Karpas et victimes, selon elle, de discriminations. Une décision immédiatement rejetée par Ankara.

La mesure complète un arrêt de 2001 dans lequel la CEDH, saisie par la République de Chypre dont l'autorité ne s'exerce que sur le Sud de l'île, avait reconnu la Turquie coupable de violations "massives et continues" des droits de l'Homme depuis 1974.

Les juges avaient condamné pêle-mêle la censure des manuels scolaires dans le nord de l'île, le refus des droits successoraux aux parents d'un défunt s'ils résident dans le Sud, ou d'autres discriminations à l'encontre des Chypriotes-grecs enclavés, "en dépit d'améliorations" depuis la fin des années 1990.

"Avant, il n'y avait que des villageois grecs et nous vivions au rythme de nos traditions, mais après l'invasion il a fallu s'adapter à un autre système dans lequel nous sommes traités comme des étrangers", explique Theodoros, un septuagénaire qui préfère s'exprimer sous le couvert d'un prénom d'emprunt.

"Aujourd'hui, les choses se passent mieux", tempère-t-il. "Mes petits-enfants peuvent venir me voir" depuis 2003, quand les Chypriotes des deux zones ont pu traverser la zone tampon qui divise l'île d'est en ouest pour se rendre de l'autre côté en empruntant l'un des points de passage.

Pour poursuivre leurs études en langue grecque, les enfants des enclavés ont dû partir en "zone libre", dans le Sud, selon l'expression de ce grand-père. Et aujourd'hui ne restent à Rizokarpaso quasiment que des personnes âgées.

Les Chypriote-grecs enclavés, souvent très démunis, reçoivent chaque semaine des colis alimentaires livrés par les Nations unies, explique Maria, une autre retraitée.

L'accès aux soins est également une préoccupation. Theodoros raconte les trois heures de route cahoteuse puis l'arrêt obligatoire au point de passage entre les deux parties de l'île pour pouvoir se faire soigner dans le Sud "près de (ses) enfants".

"La guerre et les années qui ont suivi ont été difficiles", raconte Savvas Liasi, un Chypriote-grec de 84 ans qui vit dans le village voisin de Sipahi (Agia Trias, en grec). "Mais maintenant nous vivons comme des frères", assure-t-il, installé sur sa terrasse ombragée en compagnie de son voisin Youssouf, arrivé de Turquie en 1976.

Même après s'être vu confisqué son magasin par les autorités turques, le vieil homme souriant explique avoir fait le choix de rester dans la péninsule du Karpas "car ma femme ne voulait pas quitter l'endroit où elle avait grandi".

Leur fils aîné fait partie des personnes disparues durant le conflit et la cadette vit à l'étranger. "Sans enfant avec nous, nous n'avons pas de raison de partir", poursuit-il.

Outre les indemnisations allouées aux enclavés, la CEDH a accordé 30 millions d'euros aux familles des 1.456 personnes portées disparues depuis l'invasion du Nord, menée en réaction à un coup d'Etat d'ultranationalistes chypriotes-grecs, soutenus par la junte alors au pouvoir à Athènes, qui voulaient rattacher l'île à la Grèce.

Mais à propos de la compensation qui s'élèvera à environ 61.300 euros par personne selon le gouvernement chypriote, M. Liasi se montre sceptique. "Nous attendons, nous ne savons pas si nous les recevrons un jour".

faa/sw/vl

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