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Dans l'est afghan, l'art du contre-espionnage minimaliste

Dans l'est afghan, l'art du contre-espionnage minimaliste

Un ordinateur sans câble d'alimentation, une caméra de surveillance avec un mode d'emploi en anglais que personne ne comprend: bienvenue au service de contre-espionnage de la base de Khogyani, premier rempart contre les hordes de talibans cachées dans les montagnes de l'est afghan.

Le ciel est gris et menaçant mais la pluie torrentielle, qui balayait la plaine aride depuis plusieurs heures, s'est arrêtée.

Devant un poste de sécurité à quelques centaines de mètres de l'enceinte fortifiée de la base, des soldats font sécher leur linge trempé sur une corde tendue entre la rampe d'une tour brinquebalante faite de planches, de tôle et de sacs de sable, et un piquet en bois.

La mission de ces hommes: surveiller les montagnes où se cachent, insaisissables, les insurgés talibans. Ils vivent là, à six dans une baraque en bois minuscule. Des gilets pare-balles sont coincés entre les armatures métalliques qui soutiennent des lits superposés, des tubes de dentifrice sont posés sur les poutres de bois.

"Ils auraient dû faire des construction surélevées pour que l'eau ne pénètre pas la pièce", peste le soldat Shapoor Ahmadzai, 27 ans. "Quand il pleut, c'est vraiment la tuile, on ne peut pas travailler, sans compter qu'on a pas l'électricité, on vit dans le noir".

La base du district de Khogyani se trouve à environ une heure de route de Jalalabad, la grande ville de l'est afghan.

Ce complexe militaire est installé en rase campagne à quelques encablures de zones recouvertes de champs de pavot et infestées de talibans, qui ont lancé lundi leur nouvelle offensive du printemps, la dernière avant le retrait des forces de l'Otan prévu à la fin de l'année.

En raison de la proximité de l'ennemi, la base dispose de son propre service de contre-espionnage, chargé d'empêcher les attaques des "ennemis de l'intérieur", ces soldats qui, embrassant la cause des rebelles islamistes, retournent leurs armes contre les leur.

"Il y a quelques mois, un soldat voulait assassiner le général. On était suspicieux, on l'a suivi", raconte un officier afghan. "Il a été arrêté avec un engin explosif artisanal qu'il avait caché dans sa voiture. Ce type de danger existe dans tout l'Afghanistan", dit-il.

Mais là-aussi, les moyens manquent. Mal éclairé, à l'étroit dans une petite baraque en bois, le service est doté d'une caméra d'espionnage sans carte mémoire, et que, dans l'hypothèse où quelqu'un finirait par comprendre son fonctionnement, il faudrait brancher à un ordinateur dépourvu de câble d'alimentation...

Quelques centaines de soldats vivent sur cette base, où l'on croise aussi de temps à autres des Occidentaux portant la barbe longue et fournie, à l'afghane: ce sont des hommes des forces spéciales américaines, qui soutiennent ponctuellement l'armée afghane lors des opérations contre-insurrectionnelles.

Si les relations entre Kaboul et Washington sont pour le moins crispées, rien de tel entre ces soldats, en tout cas en apparence.

"Nos rapports sont basés sur ce qui se passe sur le terrain", assure à l'AFP un officier américain. Ces soldats afghans "sont bons, très bons. C'est même l'une des forces les plus compétentes avec laquelle j'ai jamais travaillée".

La présence américaine est également visible à travers le matériel: véhicule de base des troupes afghanes, le traditionnel pick-up Ford est omniprésent, tandis que les soldats sont équipés d'un panachage d'armes américaines et russes.

Ces dernières, héritage de l'occupation soviétique, ont d'ailleurs un avantage, note en utilisateur averti le sergent Ahmad Qais: "les armes russes sont beaucoup plus faciles à réparer". "Ce camion par exemple, quand il tombera en panne, on aura personne capable de le réparer", dit-il en désignant un blindé américain.

La question de l'entretien du matériel risque de revenir avec insistance lorsque les dizaines de milliers de soldats de l'Otan quitteront le pays.

Malgré ces conditions parfois spartiates, difficile de prendre en défaut la motivation des soldats, ni leur ardeur au combat. Et puis l'armée afghane fournit un travail, le gîte et le couvert, et un salaire appréciable dans un des pays les plus pauvres du monde.

"La plupart des emplois qu'on trouve en dehors de l'armée ne rapporte pas grand chose", souligne Mursaleen, 21 ans, qui dit toucher une solde mensuelle d'un peu plus de 200 dollars.

"L'argent que je gagne ici, je peux l'envoyer à ma famille", dit-il en regardant une partie de volley-ball organisée entre soldats devant la base, un moment de détente avant une opération prévue le lendemain.

"Évidemment, nous sommes séparés de nos familles, elles nous manquent. Mais c'est notre pays et nous devons le défendre", renchérit Saleh Mohammad, 23 ans. "Si on ne le fait pas, qui s'en chargera?".

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