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A Hayange, ancienne place forte ouvrière, l'extrême droite se nourrit du sentiment d'abandon

A Hayange, ancienne place forte ouvrière, l'extrême droite se nourrit du sentiment d'abandon

Fille d'immigré italien mariée à un ouvrier d'origine portugaise, Marie da Silva avait jusque là toujours voté à gauche. De déception en colère, elle a fini par rejoindre le Front national et est aujourd'hui adjointe au maire d'Hayange, ancienne place forte sidérurgique sinistrée et première municipalité d'extrême droite de Lorraine.

Selon un sondage Ifop, le FN arriverait en tête des européennes dans l'Est de la France avec 26% d'intentions de vote. Dans cette région, qui englobe la Lorraine, 55% des ouvriers auraient l'intention de voter FN.

Un an après la fermeture définitive du dernier haut fourneau de la vallée de la Fensch par le géant mondial de l'acier ArcelorMittal, Hayange, principal bourg de la vallée avec 15.000 habitants, est devenu, en élisant en mars un maire Front national, le symbole de la montée de l'extrême droite dans les anciens bastions ouvriers de la gauche française.

Fille et petite fille de mineurs, Yvette, 56 ans, secoue la tête : "Ca, mon père, il n'y aurait même jamais pensé. Ici, avant, ou t'étais communiste ou t'étais socialiste ! Mais le FN, jamais !".

"Ca, c'était avant", assène Marie da Silva, employée dans un journal local. "Avant" le dernier conflit à ArcelorMittal, avant que le candidat François Hollande promette en février 2012, juché sur la camionnette de l'intersyndicale à Florange, qu'il sauverait le dernier haut-fourneau, avant la "trahison".

En 2008, à cinq kilomètres de là, le président UMP (droite) Nicolas Sarkozy avait fait la même promesse aux ouvriers de l'aciérie de Gandrange, elle aussi fermée quelques mois plus tard.

"Les gens d'ici sont simples: la droite, la gauche, les ont abandonnés, trahis. La montée du vote FN, c'est la faute du PS et de l'UMP", déclare Frédéric Weber, délégué du syndicat Force ouvrière à ArcelorMittal.

Sur la colline qui surplombe Hayange, la Vierge de fonte, érigée en 1908, veille désormais sur une enfilade de carcasses métalliques rouillées.

La vallée de la Fensh a compté jusqu'à 35 hauts fourneaux en activité, dont dix pour la seule ville d'Hayange. "Dans les années 70, Hayange était une ville florissante. Les gens venaient du Luxembourg faire leurs courses", se souvient Philippe David, l'ancien maire socialiste, battu en mars.

Aujourd'hui, le taux de chômage dans la vallée avoisine les 15%, la rue principale aligne des façades grises aux volets fermés, et 62% des Hayangeois sont trop pauvres pour être imposables, dit-il.

"Cela fait longtemps que le Front national fait de bons scores en Lorraine, y compris chez les ouvriers", souligne Thierry Gourlot, responsable FN à Metz. "Mais avant, on prenait des électeurs à la droite du côté de Forbach, le pays de charbon. Ce qui est nouveau, ce sont ces électeurs de gauche qui nous rejoignent, et il y en a beaucoup", assure-t-il.

Ancien militant trotskyste passé au Front national en 2010, Fabien Engelmann, le nouveau maire d'Hayange, se dit "toujours de gauche". A tout juste 35 ans, cet ouvrier communal de la ville voisine de Nilvange s'affiche "patriote", dénonce "l'offensive musulmane" en France et les aides accordées aux demandeurs d'asile, hébergés à "l'Hôtel Central" d'Hayange, situé en face de la mairie. "On a instauré une préférence étrangère!", s'indigne le nouveau maire.

Interrogée sur ce sujet, la fille de mineur italien, qui fut pendant 15 ans déléguée du syndicat CGT longtemps proche du Parti communiste, se montre un peu gênée: "au Front national, on n'a pas tous forcément les mêmes idées sur tout. C'est un peu l'auberge espagnole".

Mais, dit-elle, "quand on a un gros pain, on peut le partager. Si on n'a plus qu'un tout petit pain, alors, on ne peut plus le partager avec tout le monde".

"Le FN n'a pas de programme. C'est une maladie opportuniste qui s'immisce insidieusement dans les territoires immuno-déprimés. On n'est pas une ville de fachos", s'emporte Gilles Wobedo, un jeune infirmier de Hayange qui, comme un tiers des habitants de la vallée, travaille au Luxembourg tout proche, alors que son amie est employée à Liège, en Belgique.

"Le FN monte et ce n'est pas fini, prévient le syndicaliste Frédéric Weber. Ca ne sert à rien de dire que +ça n'est pas vrai+ ou que +ce sont des fachos+. Au contraire, il faut entendre cette colère et s'attaquer aux causes, pas aux conséquences!".

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