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Canonisations : pourquoi croit-on aux miracles ?

Pourquoi croit-on aux miracles?
Colin Anderson via Getty Images

Vous croyez aux miracles? Alors vous allez probablement suivre les canonisations, ce dimanche, de Jean-Paul II et Jean XXIII au Vatican. Tous deux, respectivement papes entre 1978 et 2005, et entre 1958 et 1963, vont être déclarés saints.

En 2006, plus d'un Français sur trois (35%) affirmaient croire aux miracles, selon un sondage de l'institut TNS-Sofrès. Aux États-Unis, en 2013, ce taux s'élèvait à 72% pour les adultes, selon un sondage Harris Poll.

Mais pourquoi? Pourquoi croit-on à des phénomènes inexplicables par la science?

La différence entre les sondages américain et français s'explique bien entendu par le fait que les États-Unis sont bien plus religieux que nous. Croire aux miracles, c'est avant tout une histoire de foi. Foi elle-même ancrée dans l'histoire de la religion.

Mais d'abord, qu'est-ce qu'un miracle? Pour André Paul, théologien et historien, que nous avons contacté, le terme de miracle est à prendre au sens de l'oracle (une réponse, donnée par un dieu, à une question personnelle). "On est dans un univers mythique: dans le monde de Dieu, mis en scène avec les hommes. Pour croire aux miracles, il faut donc croire en la mythologie. Et pour pouvoir employer ce mot, il faut être dans le monde de l'oracle."

J'ai la foi, donc je crois aux miracles

La théologie a, selon Benoît Bourgine, professeur dans ce domaine, longtemps été embarrassée par la question du miracle. Dans l'introduction de son texte, il indique que ceux-ci ont longtemps joué un rôle "d'argument péremptoire (qu'on ne peut réfuter, ndlr) de la foi". Autrement dit, si miracle il y a, foi il doit y avoir.

D'ailleurs, André Paul nous confie que, pendant ses études, "on prouvait la divinité de Jésus par le fait qu'il réalisait des miracles".

Et c'est aujourd'hui ce à quoi on assiste avec la canonisation des deux papes. Pour être déclaré saint, il faut passer par une longue procédure, qui repose sur trois critères: la personne doit être décédée, avoir mené une vie chrétienne exemplaire et avoir accompli au moins deux miracles.

Dans le cas de Jean-Paul II, le premier miracle est celui de sœur Marie Simon-Pierre Normand, guérie de la maladie de Parkinson en 2005. Le second cas est une guérison inexpliquée d'une femme du Costa Rica qui souffrait des conséquences d'une hémorragie cérébrale. Ces deux miracles, pour qu'ils puissent permettre le passage de la béatification à la canonisation, ont dû être reconnus par des médecins et des théologiens.

Petit retour en arrière. Pendant les Noces de Cana, Jésus aurait transformé de l'eau en vin. C'est son premier "miracle" relaté dans l’Évangile selon Jean. De nombreux miracles sont relatés dans le Nouveau Testament, la plupart étant des guérisons, telles que celles permettant à Jean-Paul II et Jean XXIII d'être canonisés.

Évidemment, certains miracles étaient un peu plus impressionnants, comme on a pu le voir, pour ne citer que celui-ci, avec la Marche sur les eaux.

Aujourd'hui, les miracles extraordinaires ont laissé la place aux guérisons, ce qui n'entache en rien la foi des croyants. La miraculée de Jean-Paul II, guérie d'une hémorragie cérébrale, estime d'ailleurs devoir diffuser son "témoignage de foi et d'espoir": "Je suis ici parce que Dieu a décidé d'écrire une histoire à travers ma vie", a-t-elle confié à l'AFP. Lors des funérailles de Jean-Paul II, une grande partie des catholiques présents criait "Santo subito!" (Canonisez-le tout de suite!), comme si foi et miracles s'entremêlaient, et que rien ne pouvait les faire douter.

Comment les médecins peuvent-ils prouver un miracle?

Mais tout le monde n'est pas miraculé ou pratiquant, ni même croyant. Pour autant, un tel miracle peut être pris très au sérieux. Notamment car l’Église tente de rendre ces phénomènes très crédibles. Ou plutôt, de prouver par l'absurde qu'ils ne peuvent pas ne pas l'être, en demandant à la science de les rendre inexplicables.

Partons de Rome pour nous rendre à Lourdes, haut lieu du miracle. En 1858, nous sommes en plein dans le positivisme et le rationalisme, soit à une époque où les seules certitudes sont celles qui découlent de l'expérience scientifique. Autant dire que les miracles de Lourdes avaient du mal à se faire une place dans le décor.

Tout a commencé lorsque Bernadette, une jeune bergère, affirmait avoir eu des apparitions dans la petite grotte de Massabielle, près du village de Lourdes. Au total, elle aurait vu 18 fois l'Immaculée Conception.

"Des gens commençaient à parler de guérisons miraculeuses, mais l’Église a toujours été très prudente face à ces rumeurs", explique au HuffPostLaetitia Orgozelec-Guinchard, sociologue, auteure d'une thèse sur les enquêtes autour des miracles. Il fallait prendre les choses en main. "Elle a donc décidé de faire intervenir un médecin à la réputation irréprochable pour établir la vérité sur ces rumeurs."

En 1884, le bureau des constatations médicales est mis en place en tant qu'instance permanente. Lorsqu'une personne estime avoir été miraculée, elle peut alors écrire à cette structure, qui décide ou non de recueillir son témoignage, puis de le faire étudier par une vingtaine de médecins. "C'est une sorte de clinique ouverte à tous les médecins de passage", précise la sociologue. "Ils doivent vérifier que la personne était bien malade auparavant. C'est souvent compliqué. S'ils y arrivent, ils doivent alors juger qu'il y a bien eu guérison, et que celle-ci est inexplicable."

Et ainsi, le miracle est "scientifiquement" prouvé (ou plutôt, le contraire). Ces guérisons (69 à ce jour) reconnues à Lourdes, sont - comme celles donnant lieu à la canonisation, bien que les procédures soient différentes - des guérisons auxquelles on ne trouve aucune explication rationnelle, scientifique.

Mais pendant combien de temps? Car les médecins nuancent désormais leurs propos: si l'on parlait de guérison "inexplicable", aujourd'hui le terme "inexpliqué" est davantage employé – soit, sans explication en l'état des connaissances actuelles.

Pourquoi devrais-je croire aux miracles?

Si la science ne peut expliquer ce phénomène, pourquoi ne pas y croire? La philosophie renverse le problème et pose la question suivante: "pourquoi devrait-on y croire?"

La définition du miracle qui paraît la plus décisive au philosophe André Comte-Sponville, c'est celle de l’Écossais David Hume (1711-1776), qui le conçoit comme une "transgression des lois de la nature" (Enquête sur l'entendement humain).

"C'est un événement extraordinaire, au sens le plus fort du terme, autrement dit d'une probabilité, comme disent les statisticiens, extrêmement faible, voire quasiment nulle. Par exemple, marcher sur les eaux ou ressusciter un mort: des milliards d'humains peuvent essayer des milliards de fois, il est vraisemblable qu'aucun n'y parviendra", explique André Comte-Sponville dans une chronique publiée dans Le Monde des Religions.

Pour Hume, la probabilité est bien plus grande que la personne qui témoigne d'un miracle "mente" ou "ait été victime d'une hallucination". Cela ne veut pas dire que les miracles n'existent pas, simplement qu'il y a bien plus de chances qu'ils soient faux que vrais.

John Perry, l'un des philosophes américains les plus influents du moment, professeur à l'université de Stanford (Californie) s'est également posé la question, pour en arriver à la même conclusion, avec des exemples plutôt amusants:

"Supposons que je te vois marcher sur l'eau – tout comme Jésus. Il n'y a pas de passerelle tapie sous la surface. Tu ne portes pas de chaussures pneumatiques. Tu n'es pas suspendu par une corde transparente attachée à un hélicoptère. […] Ne devrais-je pas conclure que les lois de la physique ont été localement suspendues et que nous avons un authentique miracle dans nos mains? Probablement pas. Il est plus probable que j'aie raté une alternative scientifique, que j'aie vraiment vu un miracle. […] Il est physiquement possible, par exemple, que les molécules sous tes pieds se lient fortement lorsque tu marches sur l'eau, complètement par accident, en formant une sorte de pont. Du moins, c'est ce que les scientifiques nous disent […] Donc peut-être que tu peux marcher sur l'eau. Mais il n'y a pas de miracles."

On pourrait s'arrêter à ce raisonnement, mais les faits sont là. Deux papes sont canonisés, et les statistiques montrent bien que certaines personnes croient dur comme fer aux miracles. Et si le manque de connaissances scientifiques ne suffit pas à ôter la foi, peut-être pouvons-nous trouver une explication psychologique à cette croyance.

On ne peut pas s'empêcher de tout rationaliser

Dans une étude publiée en 2013 dans la revue Perspectives on Psychological Science, Will Gervais, un psychologue de l'université de Kentucky, proposait d'expliquer la croyance dans les phénomènes surnaturels – tels que les miracles, ou l'Immaculée Conception – par un "produit dérivé de la théorie de l'esprit".

L'idée, c'est que nous estimons que tous les hommes sont dotés d'un esprit, et de la même capacité à causer des événements. Imaginons que j'entende un bruit dans un buisson. Je vais forcément imaginer qu'il a été causé par quelqu'un, ou quelque chose (un animal). Mais s'il n'y a rien dans ce buisson, je ne vais pas me dire que ce bruit s'est causé tout seul. Je vais préférer penser que c'était le vent, ou, pourquoi pas, une force spirituelle.

En gros, notre cerveau n'est pas conçu pour laisser un événement inexpliqué. On ne peut pas s'empêcher de chercher le pourquoi de telle ou telle chose, quitte à en situer son origine dans le surnaturel. Et pour de nombreuses personnes, par foi, le corps et l'âme sont deux entités indépendantes l'une de l'autre. L'idée qu'un esprit ou qu'une âme, qui se balade en dehors d'un corps, ait causé ce bruit dans le buisson, ne nous paraît pas improbable. Ce qui, soyons honnêtes, facilite un peu la tâche des miracles.

Des mythes qui nous rassurent

On en sait maintenant un peu plus sur les raisons pour lesquelles nous sommes susceptibles de croire que les miracles qui vont permettre les canonisations de Jean-Paul II et Jean XXIII sont bien réels.

Mais arrêtons-nous sur un dernier point, sur lequel André Paul a attiré notre attention: la banalisation du mot "miracle". Quand on l'emploie, le prend-on vraiment au sens de l'oracle? Entend-on par là une intervention divine inexplicable ou le simple fait du hasard? "Certains n'hésitent pas à employer ce mot lorsqu'ils ont gagné au loto", nous indique-t-il.

En ce sens, en effet, n'importe qui peut croire aux miracles, foi ou pas.

Autant dire que pour tout un chacun, le curseur est situé un cran en-dessous. Bien loin de la mythologie, le miracle, c'est souvent, tout simplement, une référence à un certain nombres de facteurs dont les raisons nous échappent. Pas forcément l'intervention divine, mais parfois aussi le simple hasard.

Pourquoi? Pour André Paul, "les gens ont besoin de mythes, d'idoles. On retombe dans quelque chose qui nous rassure, on y croit, et ça nous échappe". Comme quoi, tous les chemins mènent au miracle.

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