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Rencontre avec l'ouvrier-dessinateur de la vie ordinaire à Fukushima

Rencontre avec l'ouvrier-dessinateur de la vie ordinaire à Fukushima

Il porte un nom d'emprunt, cache presque son visage, mais ses dessins, eux, sont très visibles et remarqués: Kazuto Tatsuta est l'auteur de "ichi-efu", un manga sur la centrale accidentée de Fukushima où il a passé six mois.

"Je voudrais juste laisser un témoignage", dit modestement ce mangaka, tout en ne lâchant pas le fin pinceau avec lequel il passe en couleur une de ses planches, dessinée sur du "washi", le papier japonais.

"Après l'université, j'ai fait des tas de boulots, dont dessinateur", raconte-t-il dans son petit atelier/appartement, en banlieue de Tokyo.

"Le travail de mangaka ne me nourrissait pas, donc je faisais d'autres choses à côté. Finalement, juste avant le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, je ne dessinais quasiment plus, j'étais devenu un banal employé".

"Après l'accident de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi, j'ai eu envie d'agir. J'ai quitté ma société, je me suis adressé à l'agence publique de recherche d'emploi, et j'ai été engagé pour travailler à +ichi-efu+" (le surnom du complexe atomique, que l'on prononce "Itchi F" en japonais).

"Je n'y suis pas allé dans le but d'en faire un manga, mais comme il y avait sur place de la matière intéressante, je me suis dis, pourquoi pas, ça vaut le coup de laisser une trace de ce qu'il s'est passé à l'intérieur. J'ai pensé que cela pouvait avoir une valeur. Pour autant, je ne le fais pas non plus avec l'état d'esprit que pourrait avoir un journaliste. En fait, je veux surtout raconter qui et comment sont les gars à l'intérieur".

"Je ne suis pas satisfait des informations dans la presse, qui sont trop souvent subjectives", s'excuse-t-il presque.

"Comme je le montre dans le manga, les travailleurs de Fukushima sont des gens tout à fait normaux et ordinaires, qui rient beaucoup et blaguent sans arrêt. Ce n'est pas l'enfer permanent, même si le travail est dur. Et les travaux à l'intérieur avancent, contrairement à ce qu'on peut lire ici et là".

"J'ai passé six mois en 2012 à ichi-efu et n'ai commencé à dessiner qu'ensuite".

Contrairement à de nombreux mangaka, Tatsuta travaille seul, sans assistant, et tout à la main: l'esquisse au crayon à papier puis l'encrage au pinceau. "Je n'utilise pas du tout de plume ni d'ordinateur", assure-t-il.

"Je dessine sur la base de mes souvenirs, de ce que j'ai vu. J'utilise aussi des photos officielles que la compagnie Tepco fournit à la presse. J'en prends parfois quelques unes dans les salles de repos par exemple".

Le premier épisode, de 37 pages, a été honoré d'un prix de nouvel auteur par Morning, un illustre hebdomadaire de mangas de la maison d'édition Kodansha, qui a vite décidé de ne pas en rester là.

"Ichi-efu" est désormais publié en feuilleton de 24 pages à un rythme à peu près mensuel. Le premier recueil compilant les premiers épisodes sortira fin avril au Japon. "Je suis heureux, c'est assez fou", sourit Tatsuta.

"Ce premier tome n'est pas encore disponible, mais les commandes affluent des librairies, à un rythme dix fois plus élevé que d'habitude pour un premier manga d'un auteur peu connu", explique Kenichiro Shinohara, de la rédaction de Morning.

Et de préciser: "parce que le sujet est Fukushima, le public dépasse celui des traditionnels lecteurs de mangas. C'est un document qui s'appuie sur une expérience rare qui n'est pas accessible à tout un chacun".

Même l'ex-Premier ministre de droite Junichiro Koizumi, devenu un virulent antinucléaire depuis l'accident de Fukushima, est un lecteur assidu de "ichi-efu", selon M. Shinohara.

Tatsuta dit avoir accumulé de quoi aller jusqu'au deuxième tome. Mais pour pouvoir poursuivre plus loin la série, il n'y a qu'une solution: retourner travailler à la centrale. "Je le veux", confie-t-il.

"Je ne pense pas que les responsables de Tepco m'aient identifié, j'ai travaillé sous mon vrai nom, mais s'ils veulent vraiment savoir qui est Tatsuta l'auteur de +ichi-efu+, ils n'auront peut-être pas tant de mal à trouver".

"Les gars qui étaient à +ichi-efu+ avec moi en 2012, eux ont deviné", même si je n'ai jamais rien esquissé devant eux.

"Jusqu'à ce que je publie, même mes parents ne savaient pas que j'étais allé à la centrale de Fukushima, ils auraient eu trop peur".

kap/pn/jlh/pt

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