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A "Boda la belle", qui est responsable du déferlement de haine?

A "Boda la belle", qui est responsable du déferlement de haine?

Forcément, il y a un camp qui ment au sujet du déclenchement des violences entre musulmans et chrétiens, qui jusque là, vivaient en paix, depuis la période coloniale, dans "Boda la belle", ville forestière à 200 km à l'ouest de Bangui. Car les deux camps disent que "c'est l'autre" qui a commencé.

Affalé sur un matelas devant sa maison qui jouxte le Bureau d'achats de diamants de Centrafrique (Badica), le replet maire de Boda, Awal Mahamat, en charge depuis quatre ans des affaires de la ville, affirme que ce sont les chrétiens qui, au lendemain du départ des ex-Séléka, à majorité musulmane, ont, dès le matin du 29 janvier, ouvert les hostilités.

"Dès que j'ai entendu du bruit, j'ai envoyé un émissaire vers les notables chrétiens et le curé, pour que l'on discute. Nous avons parlé deux heures avec le curé mais mon émissaire a été tué en arrivant à l'église".

"Le 31, on a entendu des tirs, huit musulmans ont été tués, dont mon neveu. Et puis celà a duré jusqu'à l'arrivée de Sangaris, le 5 février. En tout, plus de cent musulmans ont été tués".

Côté chrétien, le "responsable de la jeunesse" Miguez Wilikondo, affirme le contraire.

"Le 30, nous avons eu nos premiers tués. Les musulmans ont commencé à incendier nos maisons. Grâce aux anti-balaka venus de Pama (200 km) nous défendre, nous sommes encore en vie".

Firmin, le chef des anti-balaka de Boda, qui reçoit dans leur camp en contre-bas de l'église sous une hutte, confirme sobrement: "Ils ont commencé à tirer, ils ont avancé jusqu'à l'église, nous avons réussi à les refouler. Avec nos armes artisanales", machettes, fusils de chasse. Et leurs gris-gris que les Congolais de la Misca leur enlèvent, ce "qui n'est pas bien du tout car on en a besoin pour rester invisibles quand on rencontre l'ennemi".

Qui croire? Le commandant Eric, chef d'une centaine de soldats de la force française Sangaris qui a mis fin aux combats le 5 février, arrivé début mars: "Je ne sais toujours pas qui a commencé. Je ne cherche plus à comprendre".

Formées en réaction aux exactions contre la population perpétrées pendant des mois par les combattants Séléka alors au pouvoir, les milices anti-balaka, groupes formés à l'origine de paysans chrétiens de l'ouest, pourchassent la communauté musulmane, contrainte à l'exode de zones entières.

Pourquoi des amis qui jouaient ensemble depuis "que nous étions tout petits" comme disent à l'unisson les musulmans et les chrétiens, en sont-ils venus à s'entretuer férocement? Aucun n'apporte de réponses.

"On partageait les mêmes plats, ça ne devait pas arriver. Même moi, j'ai fait un enfant avec une chrétienne", dit le maire.

Pas de réponse, mais revient souvent, au détour des entretiens, la donne socio-économique. Les musulmans tiennent les riches commerces de la ville, notamment les bureaux d'achat de diamants et d'or.

Leurs employés sont des chrétiens, les gratteurs des mines, pieds dans l'eau des journées entières, sont des chrétiens. Même la ville est tenue par un musulman avec des employés chrétiens. Dans Boda, la richesse est musulmane.

Alors les chrétiens tiennent leur revanche alimentaire. Ils privent de "gozo", le manioc, nourriture de base de tous, les 14.000 musulmans encerclés, qui ne peuvent sortir du centre de la ville pour se ravitailler sous peine de se faire tuer.

Sur la route qui mène à Boda, on voit sur les côtés la pulpe blanche de manioc à l'odeur acre sécher au soleil, sur de grandes feuilles en plastique.

"On ne peut pas sortir, on ne peut pas en acheter. Si un chrétien nous en vend, les anti-balaka l'égorgent", raconte un jeune, Mahmoud.

Et puis, ajoute Mahmoud qui, comme beaucoup, remonte et descend l'unique grande rue pour passer le temps, les "anti-balaka nous tendent des pièges: ils ont laissé passer un commerçant avec du manioc, mais ce 'gozo', ils l'avaient empoisonné. Des enfants en sont morts".

Autre piège tendu par les miliciens: "ils ont envoyé leurs femmes avec du manioc près de notre rue, après le pont. Quand les musulmans sont sortis pour acheter, les anti-balaka les ont égorgés", affirme Mahmoud.

Dans un no man's land de maisons brûlées, de commerces détruits, quelques bruits furtifs au petit matin derrière la facade calcinée d'une ancienne poissonnerie qui a conservé son dauphin bleu peint.

Deux chrétiens de passage apercoivent la djelabah d'un musulman qui s'est aventuré pour récupérer quelques objets. Ils se saisissent aussitôt de grosses pierres qu'ils lui lancent. Le musulman s'enfuit vers sa prison à ciel ouvert.

jpc/mc/jlb

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