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La contrebande d'essence libyenne en Tunisie, activité lucrative et déstabilisatrice

La contrebande d'essence libyenne en Tunisie, activité lucrative et déstabilisatrice

A Ben Guerdane, dans le sud-est de la Tunisie, la colère gronde depuis trois semaines contre la fermeture d'un poste frontière, haut lieu de contrebande de carburant libyen, un trafic lucratif sans lequel la population locale dit ne pas pouvoir survivre.

Selon Tunis, les autorités libyennes ont ordonné la fermeture du poste de Ras Jedir, principal point de passage entre les deux pays, qui depuis négocient sa réouverture.

De son côté Tripoli explique que la fermeture a été décidée "d'un commun accord", en attendant de "garantir la sécurité des Libyens qui ont été la cible de violences" en Tunisie.

Depuis, les manifestations se multiplient dans la ville voisine de Ben Guerdane, paralysée lundi par une grève générale. Mercredi, l'antenne locale du puissant syndicat UGTT a été saccagée, des manifestants reprochant à l'organisation de ne pas soutenir la grève. L'UGTT a condamné une "agression commanditée" et assuré soutenir les revendications des habitants.

Le conflit a été exacerbé, selon les protestataires, par la destruction par l'armée tunisienne de véhicules de contrebandiers la semaine dernière, qui avaient emprunté des pistes à travers le Sahara tunisien.

"Ils emmenaient des hydrocarbures depuis la Libye sans problème avant la fermeture du poste, mais ils ont changé d'itinéraire. Et comme les pistes sahariennes qu'ils empruntent maintenant se trouvent dans la zone militaire, les forces armées ont saccagé 67 véhicules", assure à l'AFP Ridha Mahdi, président de l'association de fraternité tuniso-libyenne. Une opération que les militaires n'ont pas confirmée.

Selon lui, "les gens n'ont plus de quoi vivre" depuis la fermeture de Ras Jedir.

"On nous laisse passer, puis au retour on nous agresse et on saccage parfois nos voitures", dénonce Ali, un contrebandier.

Une source de sécurité, préférant garder l'anonymat, a souligné que le trafic était lucratif aussi pour les douaniers, qui touchent leur dîme à chaque passage.

"Ils passent par le poste de Ras Jedir et payent des pots-de-vin ou même +louent+ les voitures des douaniers pour pouvoir faire deux ou trois voyages par jour", confie ce responsable.

Si les produits alimentaires et produits manufacturés suivent le même chemin, l'essence permet d'engranger les plus grands bénéfices.

Acheté à 145 millimes le litre en Libye, soit à peine 8 centimes d'euros, le carburant est revendu à Ben Guerdane pour quelque 50 centimes, une marge substantielle, avec un prix restant toujours inférieur de 30% au tarif à la pompe.

Selon un rapport publié en décembre 2013 par la Banque mondiale, le commerce informel, qu'il soit avec la Libye à l'est ou l'Algérie à l'ouest, coûte à la Tunisie chaque année au moins 1,2 milliard de dinars, soit un peu moins de 600 millions d'euros.

D'après la même source, quelque 328.000 tonnes de produits de contrebande passent par le poste de Ras Jedir chaque année, et 20% de la population active de Ben Guerdane vit exclusivement de ce commerce qui "représente plus de la moitié des échanges bilatéraux avec la Libye".

Ces trafics sont devenus une soupape de sécurité dans un pays miné par le chômage et la misère, gagnant en ampleur après la révolution tunisienne et la guerre en Libye, et qui a vu l'Etat considérablement affaibli et la Libye basculer dans l'anarchie.

"Ce type de commerce a un rôle économique et social important dans les zones frontalières, le commerce informel étant l'une des activités économiques les plus importantes", résume la Banque mondiale.

"La majorité des habitants de Ben Guerdane vit de la contrebande, ce n'est pas un secret et on n'arrêtera pas de la pratiquer tant qu'il n'y a ni usines ni projets pour créer des postes d'emploi", renchérit Khalifa, un fonctionnaire qui préfère taire son nom de famille.

En janvier 2013, Ben Guerdane avait connu une semaine de heurts entre policiers et manifestants à la suite d'une précédente fermeture de Ras Jedir.

Le gouvernement tunisien de Mehdi Jomaâ a annoncé que la lutte contre la contrebande serait une de ses priorités, après s'être rendu début mars à Ben Guerdane et Ras Jedir.

Il a insisté sur la nécessité "d'éliminer le fléau de la contrebande et du commerce parallèle qui causent d'énormes pertes à l'économie", selon un communiqué, qui ne détaille cependant aucune mesure concrète.

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