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Inde : le Gujarat, vitrine économique de Modi aux reflets contrastés

Inde : le Gujarat, vitrine économique de Modi aux reflets contrastés

Arrivée dans le Gujarat en 1992 avec 20 roupies en poche, Bhagyesh Soneji exporte désormais ses produits pharmaceutiques vers 28 pays : sa réussite incarne un modèle de développement que le chef de l'opposition Narendra Modi promeut pour gagner le vote des Indiens.

"Il y a deux styles de réussite: soit vous réussissez et personne ne le sait, soit vous réussissez et vous le faites savoir. C'est ce qu'a fait Modi, il a placé le Gujarat sous les feux de la rampe du monde entier", déclare Mme Soneji, confortablement installée dans l'un de ses trois bureaux de chef d'entreprise à Ahmedabad, poumon économique de l'Etat.

Le "modèle Gujarat" ne fait cependant pas l'unanimité, ses critiques parlant d'une "illusion" et d'un développement profitant surtout aux grandes entreprises et difficilement extensible au reste de l'Inde.

Gouverné par le chef du parti nationaliste hindou (BJP) Narendra Modi depuis 2001, le Gujarat, Etat côtier du nord-ouest de l'Inde, affiche une croissance annuelle de 10,13% entre 2005-06 et 2012-13, soit la deuxième plus forte des grands Etats indiens.

M. Modi, candidat du BJP au poste de premier ministre, est en tête des sondages pour les législatives qui vont débuter le 7 avril.

Les performances du Gujarat s'expliquent par un cocktail de bonne gouvernance politique et d'esprit d'entreprise, estime Mme Soneji, également présidente de la chambre de commerce de l'Etat.

"Les Gujarati ont le gène de la création d'entreprise dans leur ADN", estime-t-elle.

"L'esprit d'entreprise des Gujarati est si exigeant que les bureaucrates ne peuvent être léthargiques ici", assure la chef d'entreprise, qui dit pouvoir joindre un haut fonctionnaire ou un ministre à tout moment "sans grande difficulté".

Autre point fort mis en avant par le gouvernement de l'Etat: ses infrastructures. Le centre d'Ahmedabad est ainsi parcouru de grandes avenues asphaltées, avec des voies réservées aux bus, et les coupures d'électricité sont rares.

A quelques kilomètres du centre, Nadeem Jafri reçoit dans son petit bureau d'une supérette du quartier de Juhapura.

En 2002, des émeutes communautaires ont ensanglanté le Gujarat, faisant plus d'un millier de morts, essentiellement des musulmans. Modi n'a pas été mis en cause judiciairement, mais l'une de ses proches a été condamnée à la perpétuité et lui a été boycotté par les Etats-Unis et l'Europe pendant plus de dix ans.

Après ce déchaînement de violence, des milliers de musulmans se sont réfugiés dans Juhapura. Deux ans après les émeutes, Jafri quittait son emploi dans la publicité pour ouvrir cette supérette dans ce quartier déserté par les commerces.

"Pendant cinq ans, j'ai rencontré beaucoup d'obstacles. Les fournisseurs refusaient de livrer", explique-t-il.

Dix ans plus tard, Jafri gère une chaine de 12 supérettes et a lancé ses propres marques alimentaires (thé, riz..) commercialisées essentiellement auprès des hôtels et restaurants.

"Au niveau personnel, je n'ai reçu aucune aide de l'administration", explique l'entrepreneur musulman.

"Le Gujarat a été bien vendu depuis 10 ans mais cet Etat a toujours été tourné vers le progrès. L'eau et l'électricité, par exemple, fonctionnent traditionnellement bien. Donner crédit de cette réussite à un seul homme n'est pas juste, le mérite revient à toute une population", selon lui.

Modi ne manque pas de communiquer sur les réussites de son Etat, organisant tous les deux ans le "Vibrant Gujarat Summit" où sont invités investisseurs, chefs d'entreprises et politiques pour célébrer ses succès et attirer de nouveaux investissements.

Pourtant le développement du Gujarat laisse sceptiques certains économistes.

"Ce modèle est une illusion. La croissance du Gujarat est très inégalitaire car elle laisse de côté certains secteurs et une importante partie de la population", s'agace la directrice du Center for Development Alternatives (CFDA), Hindira Irway.

"Plus votre entreprise est grosse, plus les subventions, les dégrèvements de TVA et les aides en termes de crédit sont proportionnellement importantes", ajoute-t-elle.

"L'eau et le foncier sont cédés à des conditions très favorables aux grosses entreprises car le Gujarat ne veut qu'une chose: être numéro un pour la croissance" poursuit l'économiste.

Effets pervers de cette politique, selon elle, la croissance s'obtient au détriment de l'environnement mais aussi de la santé et de l'éducation, domaines dans lesquels le Gujarat fait pâle figure. Le taux d'alphabétisation atteint ainsi 79%, contre pratiquement 94% pour le Kerala, premier de la classe, et une moyenne de 74% sur le pays.

Au-delà de la réalité des performances du Gujarat, les économistes s'interrogent sur la possibilité de dupliquer les recettes de sa croissance.

"Contrairement à de nombreux autres Etats, le Gujarat a la chance d'avoir d'importantes terres disponibles et a pu ainsi accueillir de grands sites industriels", par exemple dans la pétrochimie, relève Sebastian Morris, professeur d'économie à l'Indian institute of management (IIM) d'Ahmedabad.

L'Etat bénéficie en outre d'un emplacement stratégique sur la mer d'Arabie, idéal pour le commerce.

Selon lui, "ce modèle ne peut être étendu car le Gujarat fonctionne un peu comme une entreprise où le chef décide et court-circuite les niveaux intermédiaires".

"C'est efficace pour les infrastructures mais le modèle ne fonctionne pas pour la santé et l'éducation où l'implication plus large de la société est nécessaire. Or ce n'est pas le cas dans le Gujarat", ajoute-t-il.

ef/emb

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