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Impuissants ou abattus, les soldats ukrainiens s'engagent pour la Russie

Impuissants ou abattus, les soldats ukrainiens s'engagent pour la Russie

Serguiï a le pas lourd et le regard vague au moment de quitter le bâtiment de la marine, désormais russe, de Sébastopol : comme beaucoup d'autres ce jeudi, cet ancien soldat ukrainien est venu officialiser son intention de rejoindre l'armée russe.

"J'ai décidé de rester. Ici, il y a mes parents, ceux de ma femme et mes enfants", explique de sa voix douce et grave cet homme aux tempes grisonnantes, qui travaillait au siège central de l'armée ukrainienne à Sébastopol.

Comme le reste de la Crimée, la principale ville militaire de péninsule n'a mis que quelques jours pour rendre les armes face à Moscou, après le référendum du 16 mars.

Il raconte, en pesant chacun de ses mots, les 17 jours du siège russe de sa base, les ordres de Kiev, qui ne sont jamais venus, puis la déception des soldats.

"On a été cueilli comme des fruits mûrs", peste-t-il. "Si l'armée ukrainienne ne fait rien, ce n'est pas un choix difficile de la quitter !"

Pour lui, l'institution était "mal organisée" et il était "difficile" d'y faire carrière, à cause des passe-droits et des "petits protégés". "Promotion canapé !", lâche-t-il en français.

Serguiï assure pourtant qu'il aime l'Ukraine. "C'est mon pays natal", dit-il.

Il marque une pause, joue quelques secondes avec sa grosse alliance en or, et confie : "J'ai un peu peur de la réaction des Ukrainiens. Beaucoup vont mettre du temps avant de comprendre ce qui s'est passé pour nous."

Derrière lui, un tout jeune soldat russe aux joues rouges, qui flotte dans sa tenue de camouflage, est préposé aux ouvertures et fermetures du lourd portail métallique, qui grince au passage des voitures. Il contrôle aussi les entrées et les sorties : personne ne passe sans montrer sa carte de militaire ukrainien.

Oleg, clés de voiture dans la main et lunettes sur la tête, vient de franchir ce surprenant point de contrôle. Cet ancien mécanicien de l'armée ukrainienne s'est lui aussi enregistré sous les couleurs de Moscou. Il compte maintenant prendre quelques jours de congé et attendre qu'on lui fasse "une proposition".

"L'armée ukrainienne n'existe plus. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'autre ?", demande ce timide trentenaire en survêtement noir.

Il confie que ce départ provoque chez lui "beaucoup d'émotion". "Mais il m'est impossible de bouger. Si je quittais la Crimée, je partirais pour rien", explique-t-il. Peu importe le drapeau, sa vie est à Sébastopol.

La plupart des soldats ukrainiens venus là ont à peine plus de vingt ans. Ils entrent et sortent par groupes de trois ou quatre, en jeans et baskets, tous munis de larges lunettes de soleil qui les protègent des puissants rayons printaniers de Crimée.

L'un d'eux, Alexandre, un conducteur d'engin de 23 ans à la barbe juvénile, ne semble pas avoir hésité avant de rejoindre l'armée russe. "C'est le choix de ma famille", assure-t-il d'abord.

Mais la manière dont son unité a baissé les bras quand les Russes sont arrivés lui reste en travers de la gorge.

"Nous avions reçu l'ordre de ne pas nous battre et de ne pas les provoquer", explique ce jeune homme tatoué jusqu'au cou, sa brique de jus de raisin à la main.

"Quand on n'a plus eu d'armes, ils nous ont dit : +S'il vous plaît, sortez et défendez-vous avec ce que vous avez sous la main+, des pierres, des bâtons et que sais-je encore", ajoute-t-il, se disant "trahi" par l'Ukraine.

Il s'interroge : "Comment serait-ce possible de faire la guerre contre le drapeau tricolore (russe, ndlr), contre des militaires amis, qui servent juste derrière la frontière ?"

zap/via/bds

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