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Compter les Afghans, une tâche impossible?

Compter les Afghans, une tâche impossible?

Les Afghans se rendront aux urnes dans deux semaines pour élire un nouveau président qui disposera de peu d'informations sur sa propre nation, faute de recensement récent. Un mystère qu'une vaste enquête démographique pourrait lever, si la guerre le permet.

Poing fermé, Murtaza Rezai frappe trois coups secs sur le portail en tôle d'une grande bâtisse en briques de Dashte Barchi, quartier populaire de l'ouest de Kaboul.

La porte s'entrouvre, une jeune femme pointe le bout de son nez, regard méfiant.

"Bonjour, je viens vous poser des questions pour une enquête démographique", annonce Murtaza en présentant un badge du Bureau central des statistiques afghan accroché autour de son cou.

Murtaza est l'un des 4.000 recenseurs chargés de sillonner la province de Kaboul dans le cadre d'une ambitieuse enquête socio-démographique et économique qui doit permettre, si elle aboutit, de déterminer avec précision la population du pays.

Quelques minutes et une batterie de questions plus tard, Murtaza en sait un peu plus sur Saleha, son interlocutrice: femme au foyer de 25 ans, elle est mariée à un vendeur de fruits et légumes et mère de deux filles de trois et un an, Asma et Zahra.

Des informations somme toute banales, mais Murtaza découvre bientôt un de ces parcours accidentés que partagent nombre d'Afghans poussés sur les routes par trois décennies de guerre.

"Vous avez fait des études? demande-t-il. "Je suis allée à l'école, répond Saleha. Mais la situation s'est détériorée en Afghanistan et, avec l'arrivée des talibans au pouvoir (en 1996, ndlr), je ne pouvais plus continuer. Alors nous avons fui au Pakistan".

L'entretien s'est bien passé, mais c'est loin d'être toujours le cas dans un pays où les réflexes conservateurs restent forts.

"Les hommes sont souvent au travail quand nous passons dans les maisons et, en raison de leur éducation, les femmes refusent parfois de nous adresser la parole", dit Murtaza, qui a soigneusement évité de demander à quel peuple appartenait Saleha.

Le sujet est sensible en Afghanistan, terre composée de Pachtounes, Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks aux divisions historiques fortes, où des données précises sur la part de chacun dans le pays demeurent un sujet politiquement explosif.

"Collecter ce type de données risquerait de poser des problèmes", explique Mohammad Sami Nabi, chef des opérations de terrain au Bureau des statistiques. "Dans ce pays, chacun croit connaître la population de son peuple d'origine. Et si vous publiez quelque chose de différent, personne ne l'acceptera".

L'histoire récente du recensement en Afghanistan montre d'ailleurs que la partie est loin d'être gagnée. Il faut remonter à 1979 pour trouver trace du dernier comptage, qui, en raison de l'insécurité, n'avait couvert que deux tiers du pays.

Trente plus tard, en 2008, une nouvelle opération est décidée, puis annulée, là encore en raison des violences. La nouvelle enquête démographique a ainsi commencé en 2011 avec la province de Bamiyan, choix qui ne tient pas au hasard: cette région du centre de l'Afghanistan est relativement épargnée par les talibans.

L'opération est d'ailleurs censée se terminer par les provinces instables du sud, comme Kandahar, bastion historique des insurgés, avec qui des "contacts" seront noués pour "faciliter le travail des agents sur le terrain", selon l'administration afghane.

Pour ces mêmes raisons de sécurité, difficile de mener un recensement en bonne et due forme, foyer par foyer. Les agents du Bureau des statistiques se contentent donc de sonder une maison sur deux, tout en récoltant des informations sur les autres.

L'enquête n'en reste pas moins "la plus importante et la plus complète depuis le dernier recensement de 1979", explique Annette Sachs Robertson, représentante en Afghanistan du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA).

Si elles permettront de connaître avec précision le chiffre de la population afghane, les données récoltées offriront également une série d'indicateurs susceptibles d'affiner les projets de développement, de chiffrer l'aide à une région ou une autre du pays, un sujet délicat.

Les premiers résultats de l'enquête ont d'ailleurs déjà provoqué la colère d'élus locaux.

"Selon l'Unicef, la population de Bamiyan se situe entre 500.000 et 600.00 habitants, quand l'enquête affirme qu'elle est de 365.000, ce qui est complètement inexact", affirme le vice-gouverneur provincial, Asif Mubaligh.

"Si le gouvernement se base sur ces conclusions pour déterminer le montant des projets de développement, renchérit Hidayatullah Rahayee, un parlementaire, cela aura un impact dramatique pour les habitants".

Le résultat définitif de l'enquête ne sera connu qu'en 2016, à condition que son financement soit assuré par la communauté internationale et que les conditions de sécurité le permettent.

Pour l'heure, selon M. Nabi, il y aurait "28 millions" d'habitants en Afghanistan. Une estimation, rien de plus.

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