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Dans le nord de la Crimée, Krasnoperekopsk, future ville-frontière avec l'Ukraine

Dans le nord de la Crimée, Krasnoperekopsk, future ville-frontière avec l'Ukraine

La limite entre la péninsule de Crimée et l'Ukraine continentale qui passe à 20 km de Krasnoperekopsk sera dimanche, à l'issue du référendum, en voie d'être transformée en frontière internationale. Si certains habitants de ce gros bourg s'en félicitent, d'autres se disent prêts à entrer en résistance.

Dans une immense plaine, cette bourgade industrielle et agricole de 30.000 habitants, est la première qu'on rencontre après être entré en Crimée, république autonome d'Ukraine dont des milliers de soldats russes ont pris le contrôle fin février. Comme partout ailleurs dans la région, les préparatifs vont bon train à la veille du scrutin de dimanche, qualifié d'illégal par la quasi-totalité de la communauté internationale et de légitime par Moscou.

Valery Sarafonov, 51 ans, possède un motel de bois vernis à la sortie de la ville. Russe émigré il y a vingt ans dans une contrée au climat plus clément, il se dit persuadé que "dans l'âme rien ne va changer". "S'ils installent une frontière pour entrer en Ukraine nous la traverserons", dit-il.

"Mon fils vit à Odessa (en Ukraine continentale), on continuera à se voir comme avant. Ce sera comme entre deux pays de l'Union Européenne, on ira les uns chez les autres. Et j'espère que les autorités russes seront moins corrompues que celles de Kiev qui nous volent, nous les travailleurs qui bossons jour et nuit", dit-il.

Alexei, qui refuse de révéler son patronyme, promène son bébé dans une poussette près du monumental palais de la culture, non loin d'une statue dorée de Lénine qui brille au soleil. Cet homme de 35 ans se définit comme "apolitique". "Je ne vais pas aller voter dimanche parce que de toutes façons tout est truqué, arrangé d'avance. On s'adaptera. S'il faut un passeport pour entrer en Ukraine, on en prendra un".

Le patron du café Zéphir, Andreiï, 26 ans, est lui aussi d'une famille ukrainienne mais estime "qu'on s'en sortira". "L'Ukraine a plus à perdre que nous si elle coupe les relations économiques avec la Crimée. Nous sommes presque auto-suffisants et s'il le faut la Russie nous aidera. C'est un pays riche", veut-il croire.

Sur la grande route Nord-Sud qui traverse la ville, les convois militaires russes se succèdent. Des 4x4, des camions de transport de troupes, quelques chars sur des plateaux. Le matricule blanc sur les blindés à roues a été sommairement repeint en vert. Les véhicules légers, en revanche, portent encore les plaques d'immatriculation se terminant par RUS, pour Russie.

Dix kilomètres après la sortie de la ville, quelque trois cents Tatars des environs ont choisi de se poster en rase campagne pour crier leur colère et leur rejet du référendum. Au croisement de deux routes, ils brandissent des drapeaux ukrainiens ou frappés du trident tatar et crient pour les véhicules qui passent "Crimée dans l'Ukraine !" et "Boycottons le référendum !"

Ils tendent à ceux qui s'arrêtent un tract commençant par ces mots: "Chers concitoyens, nous nous adressons à vous dans l'espoir que vous nous comprendrez et nous soutiendrez".

Les cris qu'elle pousse dévoilent les quatre dents en or de Sanihe Amietova, 57 ans, accrochée à deux mains à la hampe de son drapeau bleu et jaune. "Il y a en Russie un régime totalitaire ! Personne n'ose ouvrir la bouche ! Ici nous n'avons pas besoin de Poutine, de Hitler ou des fascistes !"

Comme toujours quand on s'adresse aux Tatars de Crimée, le souvenir de la déportation de la communauté en Asie Centrale, décidée en 1944 par Staline qui l'accusait de collaboration avec les nazis, est à fleur de peau.

"Staline nous a déportés en Ouzbékistan. Nous n'avons pu rentrer que 55 ans après !" éructe Sanihe. "Ce n'est pas pour qu'aujourd'hui on nous donne des ordres. La Crimée est notre patrie, et c'est tout !"

Rifat Abigoulayev, 38 ans, a remonté pour se protéger du vent froid la capuche de sa veste camouflée. "S'ils décident le rattachement à la Russie, on essaiera de se battre. Nous ne serons jamais des étrangers ici. C'est notre terre".

Trente kilomètres plus au sud, des deux côtés d'un pont enjambant un canal, des soldats russes creusent des tranchées et des postes de tir. Face au Nord. Vers Kiev.

mm/kat/ros

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