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Bea Joy, enfant du typhon, grandit face aux flots meurtriers

Bea Joy, enfant du typhon, grandit face aux flots meurtriers

Comme sortie du ventre de la mer, Bea Joy est née trois jours après le typhon Haiyan qui a semé la mort et la ruine sur des îles des Philippines en novembre 2013.

Quatre mois ont passé. Miraculés mais plus pauvres que jamais, Emily Sagalis, son mari Jobert et leur fille vivent dans une cahute de tôle et de bois posée sur la plage, face aux eaux menaçantes du Pacifique qui chargent l'air d'embruns d'iode et de sel.

"Nous avons peur parce que nous sommes tout près de la mer. Dès que le vent se lève, je commence à penser aux moyens de fuir".

La jeune femme, dont les dents abimées témoignent d'une enfance indigente parle calmement, les mains au fond d'une bassine où trempe quelques vêtements.

"Parfois je pleure. J'espère juste qu'il n'y aura pas d'autre typhon. J'ai peur pour Bea".

La veille de l'arrivée prévue du typhon par l'est, Emily, 21 ans, a trouvé refuge dans une école avec sa belle-mère, Beatrice. Mais les vagues qui ont submergé la côte, plus hautes que les cocotiers, pénétrant à plusieurs centaines de mètres à l'intérieur des terres, ont envahi l'école.

Emily s'est accrochée d'une main à une grille tout en protégeant son ventre de l'autre. Beatrice, elle, a été emportée par les flots. Son jeune fils l'a retrouvée après le reflux des eaux, à l'agonie. Elle est morte peu après sans avoir revu Jobert, livreur à Manille.

Il n'arrivera pas non plus à temps pour voir naître sa fille.

Emily a accouché dans une salle de l'aéroport de Tacloban transformée en dispensaire, sur un sol en ciment jonché de bris de verre, d'éclats de bois et de métal charriés par les rouleaux boueux de la mer.

Les médecins ne disposaient pas alors d'antibiotiques et craignaient les conséquences d'une infection tant pour l'enfant que pour la mère.

L'air humide était étouffant. Les corps des victimes du typhon pourrissaient à l'air libre. La tempête était passée, mais à Tacloban la mort continuait son oeuvre.

Haiyan, un des typhons les plus puissants jamais observés, a fait quelque 8.000 morts.

Pour sa fille, Emily a dupé les ombres. Elle tente aujourd'hui de survivre en posant des mots simples sur ses terreurs et son espoir.

"Je suis heureuse que Bea Joy soit bien portante. C'est tout ce qui compte", dit-elle à un journaliste de l'AFP lui rendant visite dans son réduit somme toute confortable à côté des centaines de tentes du HCR qui accueillent les sinistrés.

"Nous essayons de reconstruire nos vies, mais le plus important est d'avoir un bébé en bonne santé".

Leur cahute se dresse à l'endroit précis où se trouvait leur modeste maison, à San José, un village de pêcheurs près de Tacloban, la grande ville portuaire meurtrie par Hayian.

Malgré le manque de place, ils s'efforcent de stocker le riz et les conserves fournis par les organisations internationales et les associations locales.

Jobert, 29 ans, est rentré au village depuis le typhon. Il a promis à son père de ne pas repartir travailler à Manille. "Il est toujours en deuil. Je ferais n'importe quoi pour gagner ma vie mais pas si c'est loin. Il faut que je reste ici désormais".

Avant sa grossesse, Emily travaillait elle aussi à Manille, comme employée domestique. Ils gagnaient ensemble quelque 150 dollars par mois: aujourd'hui, un dollar par jour grâce à Jobert qui a reçu un vélotaxi d'une agence humanitaire.

Tout juste de quoi acheter des couches pour Bea Joy, deux ou trois oeufs qui seront cuits au feu de bois et ajoutés à l'ordinaire, pour les protéines.

Emily et Jobert prennent leurs repas à même le sol, sous le toit en tôles ondulées de leur cahute. Seul le petit hamac dans lequel se berce Bea Joy semble apporter un souffle d'air.

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