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Manque d'engagement, stratégies dépassées: le Rapporteur de l'ONU sur l'alimentation reste sur sa faim

Manque d'engagement, stratégies dépassées: le Rapporteur de l'ONU sur l'alimentation reste sur sa faim

Manque d'engagement politique, stratégies "20è siècle" et schizophrénie diplomatique : avant de tirer sa révérence fin avril, le Rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Olivier De Schutter, dresse un bilan sévère.

M. De Schutter qui achèvera son deuxième mandat fin avril a présenté lundi son dernier rapport au Conseil des droits de l'Homme à Genève en forme de testament spirituel: la réponse à la faim et à la malnutrition reste inadaptée, peu sincère et dépassée par rapport aux enjeux du 21è siècle.

"Il est grand temps de changer de paradigme, les solutions d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui" prévient-il également dans un entretien à l'AFP.

L'augmentation importante de la production agricole au cours des 50 dernières années, bien au-delà de la croissance démographique, "n'a guère réduit le nombre des personnes souffrant de la faim et la situation nutritionnelle reste médiocre" écrit-il. Dans le même temps cette hyper-productivisme a opéré une lourde ponction sur l'environnement (sols essorés, pollués, émissions croissantes de gaz à effet de serre) qui conduira tôt ou tard à changer de modèle.

"Le chiffre apparemment rassurant de 842 millions (d'affamés) montre un progrès mais il ne doit pas leurrer: si on change un tout petit le mode de calcul, la conclusion change aussi" indique M. De Schutter à l'AFP: si l'on recommande pour les travailleurs les plus pauvres, souvent exposés aux tâches les plus pénibles, 3.000 calories quotidiennes contre 2.000 on dépasse le 1,2 milliard de personnes sous-alimentées.

Et c'est sans compter les "mal nourris" à l'alimentation insuffisamment diversifiée et équilibrée (manque de nutriments essentiels, de vitamines).

Les systèmes alimentaires ont été conçus de façon "à maximiser les gains d'efficacité et à produire en grandes quantités des produits de base" sans prendre en compte les problèmes de répartition écrit-il. Les progrès en volumes sont allés de pair avec "la spécialisation régionale dans une gamme de produits relativement étroite", en premier lieu céréales et soja, et les cultures destinées aux biocarburants, "au bénéfice des grands propriétaires terriens et des grandes unités de production".

En bref, on a produit plus au bénéfice des riches, au détriment des besoins alimentaires des pauvres. Pire, "la surproduction des secteurs agricoles fortement subventionnés dans les pays riches a exercé une pression à la baisse sur les prix agricoles, dissuadant les investissements privés dans l'agriculture des pays en développement". Et ces investissements, quand ils ont eu lieu, ont concerné "un petit nombre de cultures commerciales destinées aux marchés d'exportation".

En clair, le manque d'engagement des gouvernements au côté de leurs petits agriculteurs n'a jamais été corrigé par le secteur privé. Ce dernier a même aggravé les choses, principalement entre 2008 et 2010, lors du pic sur les achats ou locations de terre à grande échelle, au détriment des cultures vivrières.

Penser encore qu'il revient au Nord de nourrir le sud, là aussi "c'est un discours du 20è siècle" tranche-t-il. "Le changement de paradigme c'est de donner à chaque région la capacité de se nourrir autant que possible".

Mais l'expert stigmatise "l'absence de volonté politique: malgré la rhétorique on ne fait pas assez confiance à l'agriculture paysanne pour répondre aux défis alimentaires" insiste-t-il, et de nombreux Etats continuent "de privilégier les cultures de rente pour satisfaire les marchés internationaux" - et honorer ainsi le service de la dette.

"La schizophrénie des Etats est complète" et leur discours change d'une enceinte à l'autre confie-t-il: ainsi, les mêmes qui appuient la FAO quand elle défend l'agriculture familiale et la réduction de la pauvreté, "mesurent à l'OMC (l'Organisation mondiale du commerce) le succès en augmentations des exportations et des volumes du commerce international" raille-t-il.

Enfin, le rapporteur lance une ultime mise en garde aux mégapoles de demain. En 2050, plus de 2 humains sur 3 vivront en villes, qu'il est plus que temps de "reconnecter aux producteurs locaux": dans les 48 pays les moins avancés, les villes dépendent déjà à 35% des importations pour leur approvisionnement. "Une bombe à retardement: avec le changement climatique et la spéculation, on risque une multiplication des chocs sur ces marchés fragiles, sans capacité à se protéger. ".

ach/fz/bir

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