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Japon-USA: les deux visages de M. Abe

Japon-USA: les deux visages de M. Abe

Officiellement tout va bien entre les Etats-Unis et le Japon: Washington promet de défendre son plus important allié dans la région, ce dernier réaffirme sans cesse sa fidélité à son protecteur, et Barack Obama est attendu à Tokyo en avril. Pourtant, depuis quelques mois, les relations bilatérales semblent connaître quelques grincements.

Avant son retour au pouvoir en décembre 2012, Shinzo Abe avait promis qu'il comptait bien resserrer les liens avec Washington, estimant que trois ans de pouvoir de centre-gauche depuis 2009 avaient détérioré cette relation vitale pour Tokyo.

A maints égards, note un diplomate étranger, il a tenu parole: il a très vite augmenté le budget militaire, une première en onze ans, créé un Conseil de sécurité nationale calqué sur le National Security Council (NSC) américain, il pousse pour faire adopter le principe de l'"auto-défense collective", un concept qui permettrait que le Japon, officiellement pacifiste depuis la fin de la guerre, puisse voler au secours d'un allié, à commencer par les Etats-Unis.

Abe avait même obtenu fin décembre le déplacement sur l'île d'Okinawa d'une importante base américaine, un dossier vieux de 17 ans source de tensions nippo-américaines.

Malgré des réticences sur la scène politique intérieure, M. Abe a aussi fait entrer son pays, sur insistance américaine, dans les discussions du TPP, ce vaste accord de libre-échange trans-Pacifique voulu par Washington.

Dernier exemple en date: alors que le Japon fait tout depuis des mois pour se rapprocher de la Russie de Vladimir Poutine (il y a du gaz naturel en jeu et peut-être la fin d'un conflit territorial qui empêche la signature d'un traité de paix russo-nippon depuis la fin de la dernière guerre), l'archipel s'est rangé sans ciller derrière Washington dans la crise qui l'oppose à Moscou sur l'Ukraine.

"Les relations américano-japonaises sont bonnes comme rarement", affirme même un expert qui a souhaité garder l'anonymat et cite en exemple la dernière réunion bilatérale 2+2 (ministres de la Défense et des Affaires étrangères) en octobre à Tokyo: pratiquement "pas un nuage".

"Dans l'ensemble la relation Japon-USA est forte et saine", assure à l'AFP Ichiro Fujisaki, ambassadeur du Japon à Washington de 2008 à 2012.

Mais à côté de "Abe l'Américain", il y a "Abe le nationaliste", et c'est visiblement cette facette qui semble faire problème au moment où les Etats-Unis réorientent leur diplomatie vers l'Asie et font des relations avec la Chine un objectif essentiel.

Dans cette partie serrée, Shinzo Abe a compliqué le jeu fin décembre en allant au sanctuaire Yasukuni, symbole tant pour Pékin que Séoul du fascisme nippon passé.

Washington avait pourtant tout fait pour le dissuader d'aller dans ce lieu où sont honorés des militaires morts pour le Japon mais surtout 14 criminels de guerre condamnés après 1945. Le vice-président Joe Biden lui avait même longuement téléphoné.

Du coup, après le déplacement, dans un rare accès de mauvaise humeur, l'administration Obama avait exprimé publiquement sa "déception".

Le message a été "reçu 5 sur 5", affirme à l'AFP une source diplomatique américaine.

Cet épisode pourrait toutefois laisser des traces à en lire le Service de Recherche du Congrès américain (CRS), un organisme qui fournit des analyses aux parlementaires: cette visite, "en plus d'exacerber les tensions régionales", a démontré que (M. Abe) a "ignoré le conseil des Etats-Unis" et cela "pourrait avoir ébréché le degré de confiance entre les capitales".

Et d'ajouter que M. Abe a des caractéristiques qui "compliquent la relation bilatérale".

L'impression de malaise a encore été alimentée mi-février par un proche conseiller de M. Abe qui avait répliqué sur YouTube à la "déception" américaine: "c'est moi qui suis déçu par les Etats-Unis!"

"Pourquoi l'Amérique ne traite-t-elle pas mieux le Japon?", se plaignait Seiichi Eto dans cette vidéo de 13 minutes, effacée dès le lendemain.

Il reste qu'avec leurs bases et leurs 47.000 hommes sur l'archipel, les Etats-Unis demeurent "la meilleure police d'assurance" du Japon, notamment face à la Chine, estime M. Fujisaki selon qui personne ne peut jouer ce rôle: "c'est important pour le Japon de développer ses relations en matière de sécurité avec l'UE, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, mis ça ne remplacera jamais les USA qui, eux, sont là et bien là".

Finalement, risque un diplomate sous couvert d'anonymat, "c'est comme les vieux couples: ils se disputent parfois mais pas trop fort, ça ferait trop plaisir aux voisins qui ont l'oreille collée au mur".

jlh/kap/ml

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