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Au procès d'un Rwandais à Paris, deux visions du génocide à Kigali

Au procès d'un Rwandais à Paris, deux visions du génocide à Kigali

Pendant les 100 jours du génocide au Rwanda, Pascal Simbikangwa, jugé actuellement en France, n'a pas vu un seul cadavre. Il assure même qu'il sortait peu de sa chambre, avec tous les réfugiés, notamment tutsi, qu'il avait dans le salon.

Mercredi, devant la cour d'assises de Paris qui le juge pour complicité de génocide, le capitaine a longuement expliqué comment il avait pu passer à côté des massacres, qui ont fait 800.000 morts en quelques semaines en 1994.

Mais attention, il ne veut pas passer pour négationniste, juste se défendre: "j'ai dit que je n'ai pas vu de cadavres, je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de cadavres".

Alors qu'il y avait trois "barrières" dans un rayon de 200 mètres autour de sa maison, il assure n'avoir vu aucun mort. C'est pourtant là, aux "barrières", qu'on filtrait et massacrait.

Dès le début du génocide, "des cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants gisaient autour des barrages", avait ainsi rapporté le général canadien Roméo Dallaire, commandant de la force de l'ONU qui échoua à prévenir ou empêcher les massacres.

"Il s'agit de moi, pas de Dallaire, peut-être il passait par des coins et des recoins", lance l'accusé au président de la cour d'assises Olivier Leurent, qui s'étonne que, seul parmi tous, l'accusé ne se soit rendu compte de rien.

Le capitaine multiplie les explications. A cause de son dos (il est paraplégique), il s'allongeait dans la voiture quand il sortait avec son chauffeur et ses gardes... Le ministère des Travaux publics était tout entier mobilisé pour ramasser les morts... Dans son quartier résidentiel de Kiyovu, on aurait peu tué...

"A Kigali, quelles étaient vos occupations?" demande le président.

"J'écrivais, je restais dans ma chambre, parce que le salon était plein de réfugiés", jusqu'à une cinquantaine le 8 avril, au deuxième jour des tueries, assure Pascal Simbikangwa.

Car il a sauvé des gens, notamment deux familles de voisins tutsi. Le fait n'est pas contesté et l'acte d'accusation précise qu'il "ne suffit pas à exclure une éventuelle participation" à d'autres crimes.

L'accusé poursuit. Il n'a fait "que (son) devoir d'homme" et les rares fois où il sortait, c'était pour aller au ravitaillement ou chercher "des gens qui (l')appelaient au secours".

Qui? demande le président. Pascal Simbikangwa commence à énumérer. "Ah, mais vous êtes beaucoup sorti alors! Pourquoi ne l'avez-vous pas dit aux juges d'instruction?", s'exclame le président.

Concernant la situation dans le quartier, le témoin Diogène Nyirishema, lui, avait "peur" à l'époque. Gardien d'une maison d'expatriés à deux rues de chez l'accusé, ses patrons partis dès le début des troubles, il s'est retrouvé réquisitionné "par des militaires" pour tenir une barrière.

Il assure que Pascal Simbikangwa, considéré dans le quartier comme une autorité, a distribué "deux fusils", dont un à lui-même, et ravitaillait régulièrement les hommes aux barrages. On leur disait, Simbikangwa compris, de "ne pas laisser passer les +inyenzi+", les cancrelats, comme on qualifiait alors les Tutsi.

Lui n'a "pas eu besoin" de décider ce qu'il ferait si un inyenzi essayait de passer, et n'a d'ailleurs pas été poursuivi par la justice. Mais à un barrage juste à côté, dit "des Chinois", situé à une rue de chez le capitaine Simbikangwa, "on voyait des gens tirer sur eux" et "des véhicules venaient ramasser les morts tous les jours".

L'avocat Fabrice Epstein, pour la défense, énumère les différences entre les déclarations à la barre du témoin et celles devant les enquêteurs lors de l'instruction, où il a notamment dit que l'accusé avait ordonné d'ériger des barrages: "J'ai l'impression que vous donnez souvent une première version puis une deuxième".

Le président demande à l'accusé ses observations. Le capitaine Simbikangwa allume son micro. "Merci, monsieur le président. J'ai eu l'impression d'assister à un cinéma. Je n'ai jamais rencontré cet homme. Comment expliquer autrement que par la manipulation, la corruption, la terreur, le fait qu'il change du jour au lendemain?"

so/at/nou/mba

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