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A Istanbul, la chute de la livre ravive le spectre de la crise financière de 2000-2001

A Istanbul, la chute de la livre ravive le spectre de la crise financière de 2000-2001

C'était il y a treize ans déjà et Ahmet Yilmaz pensait avoir définitivement oublié. Mais la chute de la livre turque provoquée par le scandale politico-financier qui agite son pays a ravivé chez lui le cauchemar de la grande débâcle financière de 2001.

"J'ai pas mal d'amis qui, à l'époque, avaient été obligés de fermer leurs commerces à cause de la crise. Leurs familles ont été dévastées et certains se sont même suicidés à cause de leurs dettes", se souvient ce vendeur de cigarettes de l'avenue Istiklal, la grande artère commerçante d'Istanbul.

"Aujourd'hui, j'ai peur que ça recommence", ajoute-t-il, "parce que l'atmosphère est un peu la même qu'à l'époque".

Après dix ans d'une prospérité exemplaire, l'inquiétude est de retour dans les milieux économiques et financiers turcs. La Bourse recule et, surtout, la monnaie turque n'en finit plus de dégringoler, toutes deux victimes de la tempête qui souffle sur le gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

Depuis cinq semaines, la livre (LT) a perdu plus de 10% de sa valeur face au dollar et à l'euro et rien ne semble pouvoir enrayer sa chute. Du jamais vu depuis le catastrophe financière de 2000-2001. A l'époque, la monnaie avait dévissé de 40% en quelques jours, sur fond de corruption, déjà. La Turquie avait été repêchée au bord du gouffre par une intervention urgente du FMI.

Rien de tel pour l'instant. Mais les nuages s'accumulent et les prévisions sont sombres, malgré les assurances du gouvernement qui répète que l'orage n'est que "passager".

"Nous avons connu ça il y a quelques années. Quand le dollar monte, ce n'est pas bon pour nos affaires", maugréé Oncel Kalkan au milieu des cartons de son petit magasin de chaussures.

"Il peut se passer trois jours sans que nous vendions quoi que ce soit", lâche-t-il, "notre chiffre d'affaires a baissé de 70% depuis le 17 décembre".

Ce jour-là, des dizaines de patrons, hommes d'affaires, hauts fonctionnaires et élus proches du pouvoir islamo-conservateur ont été arrêtés pour corruption, fraude et blanchiment. Depuis, le tumulte n'en finit plus et M. Erdogan paraît fragilisé comme jamais depuis son arrivée au pouvoir en 2003.

A quelques mois des scrutins municipaux de mars et présidentiel d'août, son principal argument de vente électoral, la bonne santé économique du pays, est battu en brèche.

"La période est difficile depuis un petit moment. Nos ventes baissent depuis quelques mois", constate Maril Akdemir. "L'an dernier, personne n'a atteint ses objectifs", déplore cette bijoutière, "nous sommes frappés par une crise économique qui ne dit pas son nom".

Comme celle des autres pays émergents, l'économie turque, très dépendante des investissements étrangers, est déjà fragilisée depuis la mi-2013 par le resserrement de la politique monétaire américaine.

L'instabilité politique causée par la crise qui secoue le sommet de l'Etat a aggravé les inquiétudes autour des faiblesses du pays, comme son fort déficit public (plus de 7%) et son inquiétante inflation (+6,2% en 2012 et +7,4% en 2013).

De nombreux analystes ont d'ores et déjà révisé à la baisse leurs prévisions de croissance pour cette année, que le gouvernement persiste à maintenir inchangées à 4%.

"Ceux qui ont placé leur confiance dans les performances et la stabilité à long terme de la Turquie ne le regretteront pas", a assuré cette semaine à Davos le vice-Premier ministre en charge de l'économie, Ali Babacan.

"Depuis que le dollar augmente, les investisseurs sont nerveux. Ils ne savent plus où placer leur argent", rectifie le bijoutier Ahmet Argin, "nous perdons plein d'opportunités".

Même les touristes à forte devise ne sont pas là pour compenser. La Turquie figure pourtant dans le top 10 des pays les plus fréquentés de la planète avec plus de 32 millions de visiteurs en 2013. Mais les professionnels du secteur assurent n'en avoir tiré aucun bénéfice.

"Cela aurait eu un effet positif si nous étions en été, quand la plupart des touristes sont là. Mais nous sommes en pleine morte saison", rouspète Mustafa Coban, un vendeur de tapis.

De toute façon, ajoutent certains commerçants, la fronde antigouvernementale de juin dernier et la sévère répression qu'elle a entraînée ont définitivement écorné l'image du pays.

"Le nombre de touristes a chuté depuis les manifestations", affirme M. Argin, "la période est très mauvaise depuis". La politique, encore.

dg-pa/pt

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