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L'expérience démocratique d'un village chinois vire à l'amertume

L'expérience démocratique d'un village chinois vire à l'amertume

Après leur rébellion victorieuse il y a deux ans contre des dirigeants corrompus, les habitants du village chinois de Wukan avaient élu leur comité municipal et espéraient récupérer leurs terres confisquées. Mais leurs attentes ont fait place à d'amères désillusions.

La révolte de cette petite bourgade du sud de la Chine avait attiré l'attention du monde en décembre 2011 et conduit à une élection au suffrage universel --un résultat inhabituel en Chine communiste--, mais "le modèle de Wukan" s'est avéré de peu de poids face à l'inertie d'une hiérarchie pesante et à la toute-puissante machine du Parti unique.

Alors que les habitants s'étaient soulevés pour réclamer les terres dont ils avaient été dépossédés, pratiquement aucune ne leur a été restituée et aujourd'hui, un meneur de la rébellion, Yang Semao, élu au comité municipal, fait face à d'innombrables récriminations.

Un des sept membres du comité a démissionné et Yang, qui en est l'un des responsables adjoints, n'est lui-même pas certain de se représenter aux prochaines élections l'an prochain -- ni même de l'emporter s'il remettait en jeu son mandat.

"Les gens viennent en permanence voir le comité et cherchent à faire des histoires", se lamente M. Yang, 46 ans, en recevant l'AFP dans un petit bureau aux murs nus.

"Nous avons réalisé certaines améliorations, mais ce n'est pas ça qui les intéresse en réalité. Leur objectif est de récupérer autant de terres que possible", poursuit-il.

Les 13.000 habitants de ce village proche de la mer s'étaient soulevés à partir de septembre 2011, exaspérés par des saisies de terres arbitraires depuis des années et soupçonnant les cadres locaux du Parti communiste d'en tirer profit.

Leur rébellion s'était intensifiée durant dix jours en décembre 2011, après la mort d'un villageois lors de sa détention par la police. L'affaire avait suscité un intérêt soutenu sur les réseaux sociaux chinois et dans les médias internationaux.

Contre toute attente, les autorités provinciales du Guangdong avaient finalement accepté l'organisation d'élections locales libres dans le village, une concession sans précédent.

Mais l'enthousiasme des débuts a fait place au désenchantement, quand les rebelles nouvellement élus ont découvert qu'ils n'avaient pas le pouvoir d'obtenir la restitution des terres -- face à la résistance des autorités du district qui inclut Wukan, mais aussi en raison d'influentes entreprises locales et de contrats de vente juridiquement contraignants.

En dépit de l'absence de progrès tangibles, certains villageois rencontrés par l'AFP reconnaissent être au moins heureux de ces prémisses de démocratie et d'avoir l'occasion de retourner aux urnes l'an prochain.

"Savoir ce que c'est que d'agir tous ensemble, d'être aux manettes... J'ai plus de 40 ans, et c'est la première fois que je vois cela", affirme M. Liu, 45 ans, tenancier d'une modeste boutique.

"Au bout du compte, il y a quand même eu certains changements, les choses maintenant sont plus équitables et transparentes", fait valoir de son côté une jeune fille de 22 ans, nommée Huang.

De fait, Yang Semao rappelle que le comité a sensiblement réduit les dépenses publiques, et qu'il en publie désormais le détail chaque mois --une transparence rare dans l'administration chinoise.

Mais sur la question des terres confisquées, il admet l'échec du comité: sur environ 6.500 mu (430 hectares) que les habitants de Wukan cherchent à récupérer, seul un peu plus de 10% ont été restitués et environ un tiers est considéré comme définitivement perdu.

La superficie exacte des terres concernées est elle-même objet d'âpres discussions, les autorités du district refusant de clarifier les frontières du village de Wukan, ajoute Hong Ruichao, l'autre responsable adjoint du comité local.

"(Les électeurs) ne nous font plus confiance parce que nous n'avons pas servi leurs intérêts", observe-t-il, déplorant l'amertume et la défiance de la plupart des villageois.

L'un d'eux, Qiu, 30 ans, qui s'est élevé aussi bien contre les anciens cadres que contre le nouveau comité, dit ne plus croire aux mouvements d'inspiration populaire.

"Wukan n'a rien à montrer dont il puisse être fier, juste quelques routes qui ont été réparées. Maintenant, je n'ai plus confiance. Tant d'efforts qui n'ont servi à rien", soupire-t-il.

Pour Zeng Yongnian, professeur à la National University de Singapour, les blocages rencontrés à Wukan n'ont rien de surprenant, face aux rouages du Parti communiste.

"De plus en plus de gens doivent réaliser que la solution n'est pas tellement d'élire un comité de village. Ce n'est pas aussi simple. (Tout progrès) dépend de l'adoption ou non de réformes majeures au sein du Parti", explique-t-il.

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