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La Kapisa, un avant-goût "à la française" du retrait de l'Otan en Afghanistan

La Kapisa, un avant-goût "à la française" du retrait de l'Otan en Afghanistan

Des combats qui s'intensifient dans des zones d'influence talibanes mais épargnent la capitale régionale : un an après le départ des forces françaises, la province stratégique de Kapisa offre un avant-goût amer de l'Afghanistan après le retrait de l'Otan fin 2014.

Par un matin d'hiver à Mahmud Raqi, des hommes accroupis près d'un poêle à bois boivent un thé vert fumant dans un café transpercé des premiers rayons de soleil, discutent politique, mangent un bout de viande coincé dans du pain chaud, avant de saluer la petite assemblée et quitter les lieux paisiblement.

Dans cette ville de 50.000 âmes au pied des montagnes aux cimes enneigées, des étudiantes sont en classe et les marchands s'activent dans le bazar achalandé.

La vie suit son cours tranquille. Un an après le retrait des soldats français, le ciel n'est pas tombé sur la tête des habitants de Mahmud Raqi, capitale de la Kapisa, province stratégique aux portes de Kaboul, où cohabitent les deux principales ethnies du pays, les Tadjiks et les Pachtounes.

Quel est le bilan de la présence française? La question semble déjà obsolète pour les habitants plus préoccupés par leur quotidien, l'avenir du pays et l'insécurité dans les secteurs infiltrés par les rebelles, talibans et autres, de la province comme Tagab et la vallée d'Alasay, véritables points noirs sécuritaires.

"La situation est très mauvaise dans 90% de Tagab", souffle Qalandar, un chauffeur originaire de ce district assis devant un café de Mahmud Raqi. "Il y a des affrontements entre les tribus, entre les familles, et les talibans y sont très présents", ajoute-t-il, sans en vouloir aux soldats français de ne pas avoir réglé ces problèmes locaux profonds.

Depuis le retrait des Français, les insurgés n'ont pas gagné de terrain en Kapisa, mais ils ont en revanche intensifié leurs attaques dans des zones comme Tagab, où les tribunaux talibans sont plus populaires que les cours civiles défaillantes.

"Il y a d'intenses combats aujourd'hui", explique Aziz ul-Rehman Tawab, vice-gouverneur de la province. Contrairement aux forces françaises avant, "les forces afghanes manquent d'hélicoptères et ne peuvent compter sur un soutien aérien, ce qui offre plus de latitude aux talibans pour opérer", explique-t-il.

La Kapisa ne semble pas un cas isolé. Dans des districts reculés où les forces de l'Otan se sont retirées, les insurgés concentrent leurs attaques sur les soldats et policiers afghans qui n'ont pas ou peu d'appui aérien.

Le Pentagone estime que l'insurrection talibane "consolide" ses positions dans certaines zones reculées et inflige davantage de pertes à l'armée et la police afghanes, tout en soutenant que le nombre d'attaques recule dans le pays cette année.

L'ONU voit en revanche "un niveau de violences" contre les forces afghanes et internationales "qui n'avait pas été aussi élevé depuis 2010". Si la situation se détériore dans les zones reculées, aucune des 34 capitales provinciales n'est encore tombée aux mains des rebelles à ce jour.

"Dans la majorité des endroits où les forces de l'Otan se sont retirées, les affrontements sont plus importants... Nous laissons derrière nous un pays en feu", estime Graeme Smith, analyste à l'International Crisis Group (ICG) à Kaboul, un constat tiré de ses déplacements récents dans quatre provinces.

Au fur et à mesure que les soldats étrangers se replient autour des grandes villes, ils perdent par ailleurs leur capacité à collecter des informations sur les attaques rebelles dans les zones périphériques, qui deviennent ainsi des "trous noirs".

"Pour l'instant, le gouvernement tient bon... mais il doit s'assurer d'obtenir un soutien aérien et faire en sorte que les salaires (des policiers et soldats) soient versés", souligne M. Smith.

Or le président Hamid Karzaï refuse de signer un accord de sécurité encadrant le maintien de soldats étrangers, notamment Américains, après 2014, qui pourrait garantir un meilleur soutien aérien aux 350.000 membres officiels des forces de sécurité afghanes. Et les Etats-Unis, premiers bailleurs de fonds de Kaboul, ont annulé une commande d'hélicoptères russes MI-17 destinés aux forces afghane...

En Kapisa comme dans d'autres régions d'Afghanistan où l'Otan s'est retiré, les Occidentaux continuent de payer pour ériger des hôpitaux, former des infirmières, électrifier des zones reculées, des efforts tout sauf naïfs.

"On renforce l'autorité locale grâce à des projets de développement, c'est d'une certaine manière de la stabilisation" visant à "contenir les insurgés", souligne une source diplomatique occidentale à Kaboul.

Mais les ONG, elles, soutiennent vouloir aider la population afghane sans souscrire à l'objectif politique de "stabilisation" avancé par les Etats occidentaux.

"Nous n'aimions pas les militaires français, mais nous voulons des projets de développement", lance dans un village de Kapisa Rahmatullah Abed, barbe de charbon et regard d'acier. "Mais personne ne sait ce qui va arriver après le retrait de l'Otan. Tout est possible".

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