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Inde: le mariage inter-castes, une aventure encore périlleuse

Inde: le mariage inter-castes, une aventure encore périlleuse

Kathir, un "intouchable" et sa femme Tilakam, de caste supérieure, filent le parfait amour depuis leur mariage il y a 12 ans mais leur couple est une exception en Inde où de telles unions, bien qu'en progression, peuvent s'avérer périlleuses.

Tout les séparait: Kathir - de son nom complet A. Vincent Raj - est chrétien et sa femme hindoue, l'un vient d'une famille pauvre et l'autre riche et les crispations ont surgi dans leur entourage à l'annonce de leur rencontre.

Mais, "mon père est quelqu'un de très ouvert, il a compris notre choix et il a affronté les résistances de nos proches", explique Tilakam à l'AFP, au téléphone depuis Madurai (sud).

Kathir, qui a créé une association de défense des droits des intouchables, et sa femme se sont rencontrés en 1999 dans une ONG qui les employait tous les deux. Les heures passées ensemble au travail leur ont permis de découvrir un intérêt commun.

"Nous nous sommes mariés et depuis nous sommes très heureux", ajoute t-elle.

La banalité du propos est trompeuse car le mariage d'un "dalit" - un intouchable - avec un conjoint d'une autre caste reste un phénomène rare, bien qu'en progression: en 2012, 9.623 mariages de ce type ont été enregistrés en Inde, soit presqu'un tiers de plus qu'en 2011 (7.617), selon de récentes statistiques officielles dévoilées par le Times of India.

Ces chiffres ne recensent que les couples qui se sont déclarés auprès de l'Etat, ce qui leur permet de toucher une aide allant jusqu'à 50.000 roupies (600 euros). Même partielles, ces statistiques suggèrent que le mariage d'un intouchable avec un membre d'une autre caste reste une exception à l'échelle d'une population de 1,2 milliard d'habitants.

Les castes organisent la société hindoue en classes héréditaires, les intouchables placés hors des castes souffrant historiquement de cette situation. La loi indienne proscrit en théorie toute discrimination selon les castes.

Plus largement, le nombre de mariages inter-castes représentait de 6% à 10% du nombre total de mariages en 2005, selon les chercheurs qui s'appuient sur la dernière étude nationale sur la famille disponible.

"Même si les parents peuvent être d'accord avec le choix de leur enfant, leurs inquiétudes quant à la réputation et au respect de leur famille les forcent souvent à aller à l'encontre de cette décision", explique à l'AFP Srinivas Goli, professeur à l'institut des études sur le développement (Giri) de Lucknow en Inde et auteur d'un article de recherche sur le sujet.

En effet, accepter le choix de leur enfant peut "aboutir à des menaces, de la violence, des agressions", ajoute t-il.

Le 11 octobre, Sasikala, une hindoue de haute caste âgée de 21 ans, se mariait secrètement avec un dalit, Kottaisamy, dans un temple près de Sathirakudi (sud) contre la volonté des parents de la jeune femme, a rapporté la presse indienne.

Les deux jeunes gens, ensemble depuis 2 ans, décidaient de s'échapper, par crainte des parents de Sasikala. Ces derniers alertaient la police de sa disparition, finissaient par retrouver leur fille et la ramènaient chez eux.

Quelques jours plus tard, renseignée par un coup de téléphone, les forces de l'ordre trouvaient les parents en train de brûler le corps de Sasikala après l'avoir probablement obligée à absorber un poison, selon le quotidien Indian Express.

Militante des droits des femmes, Jagmati Sangwan s'est particulièrement engagée contre l'influence de certains khap panchayat, des comités de village, qui dans l'Etat rural de l'Haryana (Nord), peuvent prendre des diktats bannissant certains mariages.

Leurs décisions peuvent marginaliser toute une famille ou aboutir à des crimes d'honneur quand une famille estime son nom sali.

"La plupart des dalits de l'Haryana n'ont pas de terre. Or le mariage (d'un dalit, ndlr) avec une femme ayant des terres menace de changer l'équilibre du pouvoir, ce qui est intolérable pour les partisans du statu quo qui veulent maintenir leur hégémonie sur les ressources économiques", explique Mme Sangwan à l'AFP.

Mais pour le chercheur Srinivas Goli, "l'urbanisation, les études et l'emploi des femmes, ainsi que le renforcement de la classe moyenne ouvrent la voie à une hausse des mariages intercastes".

Sutapa, une chercheuse de 39 ans, et son mari se sont rencontrés sur les bancs de leur université à Bombay où ils poursuivaient un doctorat. Ils sont mariés depuis 11 ans et ont deux garçons de 4 et 9 ans.

Tous deux viennent d'une caste différente - ni défavorisée ni supérieure. Leur famille parle une langue différente, lui est végétarien et pas elle, ce qui leur a demandé des efforts pour fonder leur couple.

"Nous avons dû nous ajuster l'un à l'autre mais nos études supérieures nous ont aidés", explique t-elle à l'AFP.

"Nous avons mis 3 ans à convaincre nos familles d'accepter notre mariage", ajoute-t-elle, estimant que "les étudiants installés dans une grande ville, loin de leur village, peuvent plus facilement rencontrer quelqu'un d'une autre caste".

Et, assure-t-elle, "en grandissant nos deux garçons sauront sûrement ce qu'est un mariage d'amour".

ef/gab/ob

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