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Le "grand jeu" des gazoducs à l'approche du retrait de l'Otan d'Afghanistan

Le "grand jeu" des gazoducs à l'approche du retrait de l'Otan d'Afghanistan

Des pays assis sur des gisements de gaz naturel colossaux, des multinationales qui rivalisent pour exporter cette manne et des rebelles plantés sur les routes de transit : de l'Asie centrale à l'Inde, la géopolitique des pipelines s'intensifie à l'approche du retrait occidental d'Afghanistan.

C'est l'un des plus ambitieux projets au monde, relier les champs gaziers d'Asie centrale au sous-continent indien.

Après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan à la fin des années 1980, les sociétés américaine Unocal et argentine Bridas s'étaient cassées les dents en tentant de construire ces autoroutes du gaz dans un remake du "grand jeu", célèbre lutte au 19e siècle entre la Russie et la Grande-Bretagne pour le contrôle de cette région stratégique.

Mais la flamme du gazoduc espéré ne s'est jamais vraiment éteinte. Et aujourd'hui, à un an du retrait des forces de l'Otan d'Afghanistan, les jeux se multiplient en coulisses pour construire le TAPI, un gazoduc de 1.700 kilomètres reliant les champs gaziers du Turkménistan à l'Inde, via l'Afghanistan et le Pakistan.

Le Pakistan et l'Inde cherchent désespéramment de l'énergie pour assurer leur croissance économique et l'Afghanistan démuni pourrait y gagner des centaines de millions de dollars de droit de passage.

"L'Afghanistan est un pont entre l'Asie centrale et le sous-continent indien, ce projet est le premier exemple pour le prouver", se félicite Abdul Jalil Jumriany, directeur général de l'Autorité afghane du pétrole.

Les trois pays en aval ont déjà signé des contrats d'approvisionnement en gaz avec les autorités turkmènes. "La balle est désormais dans le camp du Turkménistan", qui doit ces prochains mois fournir à ses trois partenaires une liste de sociétés avec lesquelles il serait prêt à construire ce pipeline, insiste M. Jumriany.

Mais qui acceptera d'investir au moins 7,6 milliards de dollars pour un gazoduc traversant des régions instables d'Afghanistan et du Pakistan ?

Les géants américains Chevron et ExxonMobil, le malaisien Petronas et la britannique British Gas ont déjà "exprimé leur intérêt" pour construire ce gazoduc en échange de frais de transport à long terme, ont indiqué à l'AFP des sources proches du dossier.

Mais ces groupes pourraient monnayer cher leur participation, et réclamer en plus au Turkménistan des participations dans l'exploration et la production gazière. "Elles n'en font pas mystère", souligne Mobin Saulat, directeur de l'Inter State Gas systems, société gérant les dossiers de gazoducs internationaux au Pakistan.

Reste à savoir ce que le Turkménistan acceptera d'accorder à des sociétés étrangères et les garanties exigées des pays qui les soutiennent, en particulier les Etats-Unis, d'autant plus favorables au TAPI qu'ils sont hostiles au second projet de pipeline régional, l'IP, censé relier l'Iran et le Pakistan.

L'Iran a célébré plus tôt cette année la fin de la construction de sa portion de l'IP, un projet de 7,5 milliards de dollars devant relier le champ gazier offshore de South Pars au sud du Pakistan.

Une avancée à laquelle Washington n'a pas caché son hostilité, le Département d'Etat soulignant qu'"il y a d'autres solutions à long terme pour répondre aux besoins énergétiques du Pakistan" et que ce dernier a plutôt "intérêt à éviter toute activité susceptible de sanction".

"Le Tapi et l'IP sont tous deux compatibles, car nos besoins énergétiques sont supérieurs au volume des deux projets combinés", juge toutefois un haut cadre du ministère pakistanais du Pétrole. Seul hic, le Pakistan, sans le sou, n'a toujours pas lancé la construction de sa partie du pipeline, au coût estimé à deux milliards de dollars, et juge désormais "irréaliste" la fin d'éventuels travaux en 2014.

Les Etats-Unis oseront-ils imposer des sanctions au Pakistan, allié clé dans la "guerre contre le terrorisme", car ce dernier traite avec l'Iran? Islamabad nie toute menace, mais des experts du dossier évoquent des pressions de Washington, et ce malgré le récent dégel américano-iranien.

Chaque projet de gazoduc est confronté à des défis sécuritaires qui pourraient décourager des investisseurs.

L'IP comme le TAPI doivent traverser la province pakistanaise du Baloutchistan (sud-ouest), théâtre d'une guerre larvée entre l'armée et des mouvements sécessionnistes.

Le second y ajoute en plus des bastions rebelles talibans en Afghanistan. "Mais le TAPI ne sera pas forcément gêné par les talibans afghans" qui pourraient être incités à l'accepter par ll'interma&diaie du Pakistan, toujours en contact avec une partie d'entre eux, note Didier Chaudet, chercheur français à l'IPRI, un centre de réflexion pakistanais. Et les rebelles afghans pourraient accepter le gazoduc en échange de droits de passage informels, note-t-il.

A l'approche du retrait de l'Otan, ces pipelines sont pour les puissances régionales une incitation économique à travailler ensemble pour stabiliser une zone déchirée par les conflits depuis plus de trente ans, notamment en Afghanistan. Un espoir qui vaut parfois au TAPI le surnom de "gazoduc de la paix".

"C'est vrai en théorie", estime l'analyste indien Bharat Karnad, qui ne cache toutefois pas son scepticisme, estimant que le TAPI ne pourra éventuellement voir le jour qu'"à très long terme lorsque tous les conflits inter et intra-étatiques de la région seront résolus". L'IP ne sera pas non plus simple à réaliser.

Le jeu en vaut pourtant la chandelle, souligne l'ancien ministre pakistanais des Finances Salman Shah, car si ces gazoducs finissent par voir le jour "c'est toute la région qui décollera économiquement".

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