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Lac-Mégantic : la résilience d'une population qui se permet encore de rêver

Lac-Mégantic : la résilience d'une population qui se permet encore de rêver

Ce sont parfois les petites choses qui font toute la différence. Depuis la tragédie ferroviaire du 6 juillet, les citoyens de Lac-Mégantic ont reçu la visite de l'Orchestre symphonique de Montréal, du Canadien de Montréal et d'une brochette de dignitaires. Mais ce qui a fait sourire dans les chaumières, à l'aube de la nouvelle année, c'est la réouverture de la succursale de la Société des alcools (SAQ).

Le commerce a été le premier à ouvrir ses portes, le 9 décembre dernier, dans les nouveaux condos commerciaux de la ville. À terme, environ une vingtaine de marchands doivent y emménager dans l'espoir de raviver une économie locale sous respirateur artificiel depuis le drame qui s'est joué l'été dernier.

« Entre 17 h 30 et 19 h, il y avait environ 150 personnes en même temps dans le magasin. Il y avait aussi une chorale, alors les gens étaient vraiment heureux. La clientèle nous félicitait d'avoir ouvert à temps pour les Fêtes », a relaté Renaud Dugas, relationniste à la SAQ.

La réouverture de la SAQ est effectivement survenue juste à temps, alors que Noël et le Jour de l'an se profilaient à l'horizon -- juste à temps, aussi, pour aider les citoyens de Lac-Mégantic à passer à autre chose.

Des deuils... et des deuils

« On a toutes sortes de deuils à faire. Le deuil des personnes, le deuil des bâtisses de notre centre-ville et le deuil de l'environnement », a illustré la Méganticoise Lucie Bilodeau, dont le conjoint a perdu une nièce dans la nuit du 6 juillet.

Dans la petite municipalité estrienne, les derniers mois se sont en effet déroulés sous le signe du deuil. Les obsèques des victimes du drame se sont succédé les unes aux autres. Certains Méganticois ont dû se résigner à appuyer sur la pédale de frein en cours de route, émotionnellement vidés. « J'ai arrêté d'aller à des funérailles après la huitième cérémonie. Il y a une journée où j'en avais trois. À un moment donné, je me suis dit que je prendrais soin de moi. Je n'étais plus capable », a laissé tomber Mme Bilodeau.

Même son de cloche du côté de Pierre Paquette, dont le frère Roger fait partie des 47 victimes de la tragédie. « Moi, j'étais parti avec l'intention d'assister à beaucoup de funérailles, mais finalement, je me suis confiné aux cinq ou six personnes incontournables, pour toutes sortes de raisons », se souvient-il.

Au Centre funéraire coopératif du Granit, les dernières funérailles ont été célébrées à la fin octobre. Étant donné que les corps n'ont pas tous été libérés en même temps, le salon funéraire n'a pas été pris de court par le nombre de cérémonies à organiser, a souligné Manon Grenier, directrice générale de l'établissement.

En revanche, tant les circonstances des décès que le jeune âge de nombreuses victimes -- plus de la moitié avaient moins de 40 ans -- ont rendu ces services particulièrement éprouvants, selon Mme Grenier. « La communauté vivait des funérailles de jeunes personnes à répétition. Souvent, ils avaient laissé de jeunes enfants derrière eux. C'est ça qui devenait lourd », a-t-elle relaté.

Certains n'ont pas attendu d'obtenir une identification formelle du Bureau du coroner avant d'organiser des funérailles pour leurs êtres chers. C'est le cas de la famille Boulet, qui a décidé de célébrer la mémoire de leur Marie-France le 21 septembre dernier à l'église Sainte-Agnès. Quelques semaines plus tard, le 6 décembre, la nouvelle est finalement tombée: il sera impossible d'identifier officiellement les restes de Marie-France Boulet, et ce, malgré les expertises réalisées dans divers laboratoires de médecine légale, dont celui de Montréal et un autre en Bosnie-Herzégovine.

« Moi, ça m'a soulagée de l'apprendre. Marie-France était une fille qui se couchait tard, et lorsqu'elle se couchait, elle s'endormait immédiatement. Alors probablement qu'elle s'est endormie et qu'elle-même n'a pas eu conscience de ce qui s'est passé. C'est ce que j'espère », a soufflé sa soeur aînée, Louise Boulet.

Il faut dire que le logement de Marie-France Boulet était situé en plein coeur de la « zone rouge », où l'explosion du convoi pétrolier a fait grimper les températures jusqu'à environ 3500 degrés Celsius, selon le Service de sécurité incendie de la région de Lac-Mégantic. De l'immeuble qu'elle habitait, il ne restait plus que le solage, un sommier enroulé et un pied de lampe torchère, se souvient Louise Boulet, qui a été la seule de sa famille à pouvoir se rendre sur les lieux du drame quelques semaines après le déraillement, sous escorte policière.

Voie ferrée au centre-ville

S'il accepte aujourd'hui avec une certaine sérénité la mort de sa soeur cadette, Bernard Boulet souhaite pour sa part que ce décès, tout comme les 46 autres, « serve à quelque chose ». « On ne veut plus la voie ferrée qui traverse le centre-ville inutilement. On veut que la voie ferrée demeure, parce que c'est extrêmement important, mais il faut juste la déménager légèrement », a lancé l'ancien contrôleur de circulation ferroviaire.

« On n'en parle pas assez, et ça me stresse un peu. Je trouve que ça se parle du bout des lèvres, parce que tout de suite, le monde dit: "Ça va coûter 100 millions $, t'es malade?". Mais il va y avoir un "payback" », a-t-il plaidé avec verve, militant par le fait même pour l'implantation d'industries diverses et la mise en place de mesures visant à stimuler le tourisme à Lac-Mégantic.

En cela, Bernard Boulet fait exactement ce que la mairesse de la petite municipalité de 6000 habitants, Colette Roy-Laroche, a invité les citoyens à faire: il rêve d'un avenir meilleur pour sa ville. Ottawa et Québec ont beau débloquer des millions de dollars et promettre mer et monde aux Méganticois, en bout de piste, il reviendra à ces derniers de décider de l'avenir de leur ville, a fait remarquer la première magistrate en entrevue avec La Presse Canadienne.

« J'espère que les gens auront l'espoir de renaître de cette tragédie. Et je leur souhaite d'avoir des rêves et de faire des projets », a fait valoir Mme Roy-Laroche lorsqu'on lui a demandé ce que l'on pourrait souhaiter à ses concitoyens pour l'année 2014. « Ça, je le constate avec les marchands qui sont à réaliser un projet de réinstallation. Tant et aussi longtemps qu'on n'a pas de rêves, pas de projets, il est difficile de sortir de ce deuil », a-t-elle poursuivi.

Ce deuil, Louise Boulet et sa famille le surmontent peu à peu. En souvenir de Marie-France, ses 10 frères et soeurs ont désormais en leur possession un fragment des petits morceaux d'or qui ont été retrouvés par les enquêteurs dans les décombres de son immeuble rasé par les flammes. Il reste que pour l'heure, le plus grand souhait de Mme Boulet est « que l'année 2013 finisse au plus sacrant ». « Disons que ça n'a vraiment pas été notre année. Mais on reste positifs », souffle-t-elle.

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