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"L'imposture" de la traduction en langue des signes de l'hommage à Mandela

"L'imposture" de la traduction en langue des signes de l'hommage à Mandela

Qui diable a recruté l'interprète en langue des signes de l'hommage à Nelson Mandela? La question était dans tous les esprits jeudi en Afrique du Sud, partagée entre pitié, rire et indignation après que son charabia gestuel a fait le tour du monde.

L'homme qui a pu se tenir près de cinq heures à côté des plus puissants dirigeants du globe et des membres de la famille Mandela dont il ponctuait les discours de mouvements inarticulés des mains, "n'est pas un interprète professionnel", a admis jeudi la vice-ministre aux Personnes handicapées Hendrietta Bogopane-Zulu.

"Mais on ne l'a pas ramassé dans la rue", s'est-elle défendue, admettant "la possibilité d'une erreur à partir du moment où les autres gens n'ont pas compris l'interprète" et affirmant que le gouvernement aurait été "floué" par l'entreprise de l'interprète. "Ils ont disparu dans la nature", a-t-elle dit.

C'est avec des accents d'homme traqué que Thamsanqa Jantjie, le malheureux interprète, tentait de son côté de se défendre, pourchassé par les médias, alors que la communauté des sourds criait à l'"imposteur".

"Si je ne fais pas du bon travail, où était celui censé le faire et pourquoi ne l'a-t-on pas envoyé ?!", s'étranglait-il sur radio Highveld, visiblement dépassé, plaidant dans une autre interview avoir eu une subite attaque de schizophrénie, être sous traitement, avoir entendu des voix et perdu tous ses moyens.

"Je fais de l'interprétariat depuis pas mal de temps! Ce n'est pas le premier événement! J'ai fait les obsèques de Maman Sisulu!", la veuve d'un autre héros de la lutte contre le régime d'apartheid décédée en 2011, gémissait-il encore à la radio. "C'est seulement maintenant qu'on m'accuse de faire du sale boulot", a-t-il ajouté, haletant dans le téléphone.

En direct, Mme Delphin Hlungwane, porte-parole de la principale association de sourds d'Afrique du Sud (Deaf SA) qui la veille encore ne décolérait pas, l'accusant de "gesticuler dans l'air sans grammaire, ni structure, ni règle", l'a pris en pitié et invité à la recontacter pour lui proposer de l'aide, sous-entendu une formation.

La ministre sud-africaine a nié qu'"il y ait là matière à un embarras national" avant de dire à l'AFP qu'elle "s'excusait auprès des sourds".

Un porte-parole du Secret Service, la police protégeant le président américain Barack Obama, a souligné jeudi que la vérification des antécédents des participants à la cérémonie "relevait de la responsabilité des organisateurs" sud-africains.

"Dans le cas de cet hommage (à Mandela), cela inclut le passage en revue des antécédents criminels ou d'autres vérifications pertinentes" de ces participants", a relevé Brian Leary, le porte-parole.

La veille, le porte-parole adjoint de la Maison Blanche, Josh Earnest, avait trouvé "dommage qu'une cérémonie consacrée à rendre hommage à la vie et à célébrer l'héritage de l'un des grands dirigeants du XXe siècle ait été parasitée par cela et d'autres questions qui sont bien moins importantes que l'héritage de Mandela".

La Fédération mondiale des sourds (WFD) comme celle des interprètes de langue des signes (WASLI) ont réagi, rappelant "l'importance d'avoir des interprétations de qualité pour tout événement public".

Un téléspectateur entendant mais attentif pouvait se rendre compte que le pauvre Thamsanqa racontait n'importe quoi.

Il suffisait de comparer ses gestes avec ceux produits dans une incrustation ovale, en bas des écrans de télévision par un interprète officiel de la chaîne publique SABC, pour voir que les deux versions n'étaient pas d'accord.

"Ça a été un choc et une surprise quand on l'a vu à la cérémonie d'hommage", a raconté Bruno Druchen, le directeur de Deaf SA sur le plateau de la chaîne d'information eNCA.

Les piètres prestations de M. Jantjie avaient déjà été remarquées lors d'autres événements de l'ANC, notamment son centenaire en janvier 2012, et Deaf SA avait envoyé un rapport au gouvernement, resté au placard.

"Imaginez que vous êtes dans un pays de langue espagnole, que le président Barack Obama est là pour s'exprimer et que quelqu'un prétend faire l'interprétation mais ne connaît pas un mot d'espagnol, tout le monde serait désespéré", soulignait à l'AFP Myriam Vermeerbergen, une linguiste belge spécialisée.

Les langues des signes --il en existe 130-- sont les langues naturelles créées et transmises parmi les sourds, soulignent ses écrits universitaires.

Elles possèdent une grammaire et une syntaxe, sont indépendantes des langues parlées, et le plus souvent apprises à l'école par les enfants sourds qui naissent en majorité de parents entendants.

L'Afrique du Sud a attendu la présidence de Mandela en 1994 pour avoir des interprètes durant les journaux télévisés faisant des sourds "des citoyens" à part entière, souligne Mme Hlungwane.

Pour les personnalités, ou bien on épelle leurs noms, ou bien on recourt à un corpus de signes établis: la pipe pour désigner l'ancien président Thabo Mbeki, la main repliée devant le front pour évoquer la forme de crâne du président Zuma ou un doigt indiquant la raie des cheveux sur le côté pour Mandela, telle qu'il la portait avant d'être emprisonné en 1962.

sn-clr/via

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