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Sauvé dans les griffes de Rizzuto fils

Sauvé dans les griffes de Rizzuto fils

L'entrepreneur Paul Sauvé affirme que le fils du parrain de la mafia, Nick Rizzuto fils, et les entrepreneurs Tony Renda, Mike Argento et Giancarlo Bellini sont intervenus en sa faveur afin qu'il décroche un contrat de plus de 10 millions de dollars pour la réfection de la toiture de l'hôtel de ville de Montréal en 2008.

Un texte de François Messier

En échange de leur intervention, offerte lors d'une rencontre tenue au printemps 2008, les quatre hommes ont exigé que Paul Sauvé leur remette 500 000 $ à la fin du contrat et qu'il embauche Toitures Trois Étoiles, propriété de M. Bellini, à titre de sous-traitant.

MM. Renda et Rizzuto fils lui demanderont en outre 40 000 $ pour soudoyer des conseillers municipaux. « Beaucoup de bouches à nourrir, les conseillers », aurait déclaré le fils du parrain à Paul Sauvé en appui à cette dernière demande, mais sans donner de noms.

L'entrepreneur soutient toutefois que Tony Renda a ouvertement parlé de ses liens avec Frank Zampino et Sammy Forcillo, respectivement président et vice-président du comité exécutif de la Ville à l'époque.

Paul Sauvé a bel et bien embauché Toitures Trois Étoiles à titre de sous-traitant et a payé Mike Argento par chèque pendant un certain temps pour couvrir le paiement de 40 000 $. Il n'a cependant jamais versé la somme de 500 000 $ puisqu'il n'a pu terminer le chantier comme prévu.

Un contrat bloqué

LM Sauvé avait décroché le contrat de réfection de la toiture de l'hôtel de ville de Montréal avec une soumission de 10,67 millions de dollars. Le comité de sélection avait initialement retenu Toitures Trois Étoiles, mais cette compagnie, propriété de Giancarlo Bellini, n'avait pas respecté un « très grand nombre de critères obligatoires » et avait été disqualifiée.

Le 14 mars 2008, Paul Sauvé apprend donc qu'il est le soumissionnaire conforme ayant obtenu le plus de points selon l'évaluation du comité. L'information lui vient du chargé de projet Robert Paradis, prêté à la Ville par Genivar. L'approbation du conseil municipal tarde cependant à venir, ce qui ne manque pas de l'inquiéter.

Il se souvient que M. Bellini lui avait dit avant que les soumissions ne soient déposées : « C'est nous qui allons avoir ce contrat-là. C'est nous qui avons la panoplie de contacts dans l'appareil municipal. » Il entend en outre des rumeurs selon lesquelles le patron de Toitures Trois Étoiles fait des pieds et des mains pour que le projet déraille.

« Dans les appels d'offres de cette envergure-là, ça prenait un contenu italien, point à la ligne », soutient Paul Sauvé.

Tony Renda appelé à l'aide

Déterminé à obtenir le contrat, Paul Sauvé se rend donc sans rendez-vous chez l'entrepreneur en construction Tony Renda, qu'il connaît grâce à un client commun. Il avait déjà expliqué dans son livre que l'homme exerçait une « influence considérable » au sein de l'industrie montréalaise de la construction.

« C'est un milieu rough dans lequel ça joue du coude, ça joue dur. Et je veux avoir un son de cloche d'un membre de la communauté italophone qui est entrepreneur pour me dire comment ça marche », dira-t-il à la commission, qui était intéressée à connaître la raison de cette démarche.

Avant même que M. Sauvé ne lui expose la raison de sa visite, l'entrepreneur lui lance : « T'es ici pour la Ville de Montréal », ce qui ne manque pas de l'étonner. Il lui demande des détails sur le projet en cause, dont le nom de ses concurrents pour l'appel d'offres, et lui dit au bout d'une vingtaine de minutes qu'il lui reviendra à ce sujet.

Tôt le lendemain, Tony Renda l'appelle et lui dit : « Viens au bureau immédiatement, il faut qu'on se voit là, tout le monde est ici ». Paul Sauvé se rend sur place, et constate à son arrivée que M. Renda est accompagné de son concurrent Bellini et de deux autres hommes, qu'il ne connaît pas. Il s'agissait en fait de Nick Rizzuto fils et de Mike Argento.

Nick Rizzuto fils, qui dira « être cousin ou membre de la famille » de Giancarlo Bellini, demeurera « très effacé » dans cette affaire.

« Il est là. C'est le fils du père », soutient M. Sauvé.

Une offre que Sauvé ne peut refuser

MM. Renda, Argento et Bellini ouvrent rapidement leur jeu. « Il faut trouver une façon de réintégrer Toitures Trois Étoiles. C'est pas correct qu'elle ait été disqualifiée, elle a des compétences », lui disent-ils en somme. Paul Sauvé comprend qu'il s'agit là d'une « condition » pour obtenir leur aide et se montre disposé à y donner suite.

Tony Renda lui demande ensuite « une participation au profit du chantier » de l'ordre de 500 000 $. Cette demande, qui équivaut à 5 % de la valeur du contrat de l'hôtel de ville, était « énorme », affirme Sauvé, qui précise cependant qu'il s'agissait d'un chiffre « théorique » modulable selon le déroulement du chantier.

En échange de l'accord de Paul Sauvé, Tony Renda, qui agit comme « porte-parole » du groupe, lui donne quelques assurances. « C'est qu'il connaît des conseillers à la Ville, et qu'il va s'assurer de faire les appels téléphoniques appropriés, et d'établir le contact pour que le projet regagne la bonne rail [sic] et qu'il soit résolu au conseil municipal [...] qu'il doit passer ».

Paul Sauvé acquiesce. « C'est une décision d'affaires », explique-t-il à la commission. « On va trouver un rôle à cette entreprise-là, puis on va l'intégrer dans l'équipe, puis peut-être que ça va avoir le push nécessaire pour que l'appel d'offres ne soit pas mis au rancart. »

Tony Renda lui aurait spécifiquement mentionné lors de la rencontre qu'il avait « un contact avec Frank Zampino », qui était sur le point de quitter ses fonctions, et avec Sammy Forcillo. « Selon les dires de Renda, il serait allé voir Forcillo », soutient Paul Sauvé.

Le conseil municipal accordera finalement le contrat à LM Sauvé le 28 mai 2008. Toitures Trois Étoiles, à laquelle Paul Sauvé comptait n'accorder que 25 % à 30 % du travail sur la toiture, finira par réaliser une bien plus grande portion du travail, qui devait plutôt être confiée à Toitures Saint-Léonard.

Lorsque Paul Sauvé sera écarté du chantier en avril 2009, en raison de problèmes avec sa compagnie d'assurances, la compagnie de Giancarlo Bellini, pourtant écartée par la Ville au terme de la soumission initiale en raison de sa non-conformité, terminera l'ensemble des travaux.

De l'argent pour corrompre

Pendant que les travaux étaient en cours, dit Paul Sauvé, Tony Renda et Nick Rizzuto fils lui ont tous deux demandé 40 000 $ pour « nourrir des bouches » à l'hôtel de ville, mais sans nommer quiconque. Paul Sauvé assure ne leur avoir rien donné; il a plutôt payé Mike Argento pendant un certain temps.

« On sentait qu'il fallait acheter un peu la paix », a expliqué Paul Sauvé.

Mike Argento, cofondateur et copropriétaire du Groupe Ercole, propriétaire de Sept Frères Construction, n'a probablement fait aucun travail sur le chantier, a concédé Paul Sauvé. Mais il essayait constamment de se rapprocher de LM Sauvé.

« Il était constamment en train de me dire : "Tu as besoin d'aide, tu as besoin d'aide, on a un contact très haut placé à la FTQ et au Fonds. On sait que t'as eu des difficultés dans le passé, fais-nous confiance, on va te donner un coup de main. Laisse-nous rentrer dans ton entreprise. On n'est pas des si mauvais garçons que ça" », a-t-il relaté à la commission.

« J'étais allé dans le coin de la cour d'école voir ce que c'était, là, ça ne me tentait pas d'y retourner », a commenté Paul Sauvé, en référence aux problèmes qu'il a vécus avec les Hells Angels vers 2005-2006.

M. Sauvé a abondamment parlé de cette affaire lors de son témoignage, mais ces extraits demeurent frappés d'un interdit de publication, en raison du procès que doivent subir plusieurs accusés, dont le Hells Angel Normand « Casper » Ouimet.

Le maire Tremblay informé de l'affaire

Paul Sauvé soutient avoir néanmoins prévenu le chef de cabinet du maire Gérald Tremblay de cette demande d'extorsion à l'hiver ou au printemps 2009.

« J'avais vraiment mon voyage et je suis allé voir Stéphane Forget, puis je lui ai dit : "Écoute là, ça tient pas la route là, voici ce qui se passe" », a-t-il dit.

Lors de son témoignage devant la commission Charbonneau le 25 avril dernier, l'ex-maire Gérald Tremblay a confirmé avoir été informé de la situation par M. Forget, et que ce dernier avait soutenu que Paul Sauvé disait que l'argent « devait servir à donner une contribution à Sammy Forcillo et à Cosmo Maciocia ».

M. Tremblay disait avoir prévenu la Sûreté du Québec et avoir discuté de l'affaire avec les deux conseillers mis en cause.

En juin 2009, l'avocat de MM. Forcillo et Maciocia, Me Claude-Armand Sheppard, avait fait parvenir une mise en demeure à La Presse, qui avait révélé cette histoire.

On pouvait y lire que ses clients « affirment qu'ils n'ont été mêlés ni de près ni de loin aux incidents allégués, n'ont aucune connaissance des individus qui auraient prétendu agir en leur nom et n'ont trempé en aucune façon dans les agissements mentionnés dans l'article. ».

Me Sheppard a représenté Frank Zampino devant la commission Charbonneau en avril dernier.

Dans une entrevue téléphonique qu'il a accordée en 2010 à notre collègue Alain Gravel de l'émission Enquête, Tony Renda admet avoir rencontré Paul Sauvé et lui avoir conseillé de « partager » le travail. Il confirme connaître Nick Rizzuto fils, mais ne peut dire s'il a rencontré Paul Sauvé en sa présence. Il dit n'avoir jamais entendu parler de l'histoire des 500 000 $. Il confirme en outre qu'il connaît Sammy Forcillo.

Le fils du parrain ne donnera jamais sa version des faits. Il a été assassiné par balle en pleine rue en décembre 2009, dans Notre-Dame-de-Grâce.

Écoutez trois extraits d'une conversation en 2010 entre le journaliste Alain Gravel et Tony Renda :

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