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Charte des valeurs québécoises: Bernard Drainville s'explique au Huffington Post Québec (ENTREVUE)

Charte des valeurs: Bernard Drainville s'explique (ENTREVUE)
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La semaine dernière, le ministre des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville, a pris son bâton de pèlerin pour convaincre les Québécois du bien-fondé de sa Charte des valeurs québécoises. Son projet de loi vise à encadrer l'application des accommodements raisonnables, mais également à interdire les signes religieux «ostentatoires» dans la fonction publique et dans les institutions publiques (CPE, écoles, hôpitaux, etc.). Cette dernière proposition a soulevé un tollé dans les médias et un récent sondage démontre que la population est divisée pratiquement à égalité sur le sujet.

En plus de convaincre la population, le gouvernement minoritaire de Pauline Marois devra obtenir l'appui d'au moins un des principaux partis d'opposition s'il veut faire adopter son projet. La Coalition Avenir Québec semble être le seul parti avec lequel le gouvernement pourrait s'entendre. Le parti de François Legault appuie l'idée de baliser les accommodements religieux et d'interdire les signes religieux aux fonctionnaires en position d'autorité. La CAQ refuse toutefois d'appliquer cette règle à l'ensemble des employés des institutions publiques. De son côté, le ministre de la région de Montréal, Jean-François Lisée, a entrouvert la porte à des ajustements mardi en affirmant que le gouvernement ferait preuve de «souplesse».

À l'occasion de la rentrée parlementaire, Bernard Drainville s'est assis avec le Huffington Post Québec pour discuter de la Charte, de tensions religieuses, du voile islamique et de souveraineté.

Huffington Post Québec: Mardi matin, Jean-François Lisée a semblé ouvrir la porte à des ajustements à votre projet de Charte des valeurs, en disant que le gouvernement sera ferme sur les objectifs, tout en étant souple sur les moyens. Pouvez-vous préciser ce qu'il a voulu dire?

Bernard Drainville: C'est ce que nous disons depuis le début. À la lumière des commentaires des citoyens, nous serons ouverts à améliorer le projet, à le bonifier. Nous sommes en mode «écoute», présentement. Nous avons reçu 89 000 visiteurs uniques sur le site Internet que nous avons mis à la disposition des citoyens. On vient de dépasser le seuil des 10 000 commentaires. Les gens participent au débat. Nous allons prendre tout ça en considération dans la rédaction finale du projet de loi.

HPQ: Croyez-vous que vous pourrez trouver un consensus avec un des partis d'opposition afin de faire adopter le projet?

BD: On l'espère. On prend acte de l'esprit d'ouverture de la CAQ. Je dirais même, la main tendue de la CAQ. C'est une très bonne nouvelle pour la suite des choses. Maintenant, j'entends M. Legault qui voudrait qu'on procède immédiatement à des discussions interpartis. Moi, je lui dis d'être patient un peu. On ne peut pas court-circuiter le processus démocratique. On a dit aux citoyens «faites-vous entendre», alors il faut prendre le temps de les écouter. Ensuite, nous pourrons nous asseoir avec les autres partis et voir comment on peut faire cheminer ce projet de loi le plus rapidement possible.

Par contre, nous sommes beaucoup plus déçus de l'attitude du Parti libéral, qui est contre la Charte. La semaine dernière, M. Couillard a même dit qu'il était prêt à «bloquer» le projet. Je trouve ça inquiétant parce que, comme opposition officielle, ils ont les moyens de tout bloquer. Ils pourraient décider de filibuster le projet quasiment ad vitam aeternam. C'est une attitude contre-productive qui ne va pas dans le sens du dialogue que nous souhaitons avoir avec les citoyens. Je trouve ça assez cavalier de sa part.

HPQ: Avez-vous été surpris par la réaction dans la population?

BD: Non. On savait que ça allait susciter un débat et ça en suscite tout un. Et c'est très bien ainsi. Ça fait trop longtemps que les discussions autour des accommodements durent sans qu'on y apporte de solution. Au cours des dernières années, il y a eu plusieurs cas d'accommodements déraisonnables. Et, malheureusement, le gouvernement précédent n'a pas jugé bon de mettre en place des balises claires pour encadrer les demandes d'accommodements religieux. On a connu beaucoup trop de tensions et de frustrations au sein de la société québécoise au cours des dernières années. Nous sommes convaincus qu'une des principales raisons de ces tensions était l'absence de règles. Les libéraux ne s'en sont pas occupés. Nous avons pris l'engagement de le faire et nous respectons notre engagement.

HPQ: Il semble y avoir un certain consensus dans la population sur l'idée d'encadrer les accommodements raisonnables, mais d'où vient le besoin de légiférer sur les signes religieux ostentatoires?

BD: C'est un choix de société. Est-ce qu'on souhaite avoir un État neutre sur le plan religieux? Nous pensons que c'est nécessaire dans une société de plus en plus multiethnique et multireligieuse d'avoir des règles et des valeurs communes qui nous permettent de bien fonctionner les uns avec les autres. Ces règles seront une source d'harmonie, notamment pour prévenir d'autres dérapages, d'autres épisodes malheureux.

HPQ: Est-ce qu'il y a eu des dérapages au sujet des signes religieux dans la fonction publique?

BD: Bien, écoutez... Des cas, je dirais, liés au port de signes ostentatoires... Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a des parents qui témoignent, privément, de leur malaise. Notamment lorsqu'ils déposent leurs enfants dans un service de garde où il y a des personnes qui portent un signe religieux. Il y a des parents qui sont mal à l'aise. Qui ont l'impression que ce n'est pas au CPE d'exposer leurs enfants à une présence religieuse. Ils jugent que ce n'est pas le mandat d'un service public.

Nous croyons que l'État est neutre. Alors, les représentants qui travaillent pour l'État, au sens très large, doivent l'être également. Cette neutralité doit être à la fois réelle et apparente. La neutralité n'est pas seulement le comportement de la personne, mais aussi l'image que le représentant de l'État projette.

HPQ: Votre projet de loi insiste sur l'importance de l'égalité hommes-femmes. Selon vous, est-ce que le port du voile va à l'encontre de cette égalité?

BD: Ce n'est pas à moi, comme ministre, de juger des raisons pour lesquels un homme ou une femme décide de porter un signe religieux. Je suis conscient du fait qu'il y a un débat autour du voile. Il y a ceux qui pensent que certaines femmes le portent parce qu'elles se sentent obligées. D'autres disent que le voile peut très bien être porté librement. Ce n'est pas à moi de trancher. J'ajouterais qu'il y a certainement des personnes qui portent le voile parce qu'elles se sentent obligées de le faire, mais il y en a certainement aussi qui le portent tout à fait librement, sans contrainte ni pression.

HPQ: Avec le départ de la députée Maria Mourani du Bloc québécois et la réaction des communautés culturelles, craignez-vous que la Charte des valeurs nuise au mouvement souverainiste?

BD: Je ne crois pas. C'est sûr qu'il y a un débat, au sein de la société et au sein de la famille souverainiste, et c'est normal. Il y a un débat au sein des sympathisants de tous les partis. Plusieurs personnes appellent dans nos bureaux de comté pour nous dire que, même s'il votent habituellement libéral, là-dessus ils sont avec nous et qu'ils vont peut-être voter pour nous aux prochaines élections.

Ce débat nous sort de l'habituel clivage souverainistes-fédéralistes. Il transcende cette ligne de partage. Moi, je sens que la vaste majorité des souverainistes et des partisans du Parti québécois sont avec nous, mais il y a visiblement des exceptions. Je sens aussi qu'on va chercher des appuis ailleurs, dans les autres familles politiques. Et ça, je pense que c'est une bonne nouvelle parce que l'objectif que nous recherchons est d'aller chercher le maximum d'appuis pour convaincre les autres partis politiques de collaborer avec nous pour faire adopter ce projet.

HPQ: D'accord, mais qu'en est-il des communautés culturelles au sein du mouvement souverainiste?

BD: J'ai espoir qu'au fil du temps, au cours du débat, les gens qui expriment actuellement des réticences, ou même des craintes, vont peu à peu se rallier. Parce qu'ils vont voir que le projet est raisonnable. Que c'est un bon équilibre entre le respect des droits individuels et le respect des valeurs communes. C'est à moi de leur expliquer que cette proposition s'inscrit dans un choix de société que nous avons fait il y a 50 ans, au moment de la Révolution tranquille; quand on a décidé de séparer l'État de la religion catholique. Quand on a demandé aux religieux et religieuses de renoncer à leurs habits religieux afin de continuer à enseigner dans les écoles publiques.

J'ai espoir de convaincre les néo-Québécois qui ont des réticences, ou des craintes, que notre projet se veut rassembleur. Nous ne faisons pas cela contre personne. Nous faisons cela pour le Québec. Pour les Québécois. Nous voulons poursuivre le mouvement de laïcisation entamé dans les années 1960.

Dans le fond, ce que je leur dis, c'est que dans les années 1960 on a décidé que la laïcité était une bonne idée pour les catholiques. Je veux les convaincre que si c'était une bonne idée pour les catholiques dans les années 1960, c'est une bonne idée pour toutes les religions aujourd'hui.

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