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Vaillancourt a dirigé l'ingénieur Ashkar vers Jean Gauthier

Vaillancourt a dirigé l'ingénieur Ashkar vers Jean Gauthier
Capture d'écran

L'ingénieur Bahjat Ashkar a expliqué à la commission comment il a pu prendre pied dans le marché de Laval au tournant des années 2000 en finançant le PRO des Lavallois, par l'intermédiaire du notaire Jean Gauthier, puis a expliqué son implication dans le système de collusion dans le génie mis en place en 2002.

Ce notaire avait déjà été décrit par Roger Desbois comme jouant auprès des firmes de génie le rôle de collecteur de fonds occultes - le fameux 2 % - que lui-même jouait pour les entrepreneurs collusionnaires.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

Le témoignage de M.Bahjat Ashkar est terminé. Il est suivi à la barre par M. Lucien Dupuis, ex-vice-président de Cima+.

M. Ashkar, consultant solitaire jusqu'à l'achat de sa firme BAFA par LBHA en 1999-2000, a profité de ses relations passées avec le maire Gilles Vaillancourt pour faire entrer cette importante firme de génie-conseil dans le système, à titre de responsable du « développement des affaires » pour Laval.

M Ashkar dit avoir rencontré le maire Vaillancourt, début 2000, pour lui demander combien de contrats il pourrait décrocher pour LBHA et lui demande du même souffle s'il peut contribuer à la caisse du parti. « Tout le monde avait dit : il faut contribuer à la caisse électorale », a fait valoir M. Ashkar.

Le maire lui dit alors de s'adresser au notaire Jean Gauthier. M. Ashkar en informe dans le détail un de ses patrons, Jean Leroux. M. Ashkar effectue son premier paiement à Jean Gauthier, vers 2000.

Lors de cette première rencontre, M. Gauthier lui aurait dit :« Monsieur le maire va être au courant, ce soir ou demain »

Ces remises d'argent, que M. Ashkar recevait de Jean Leroux, se poursuivront dans les années suivantes. M. Leroux viendra incidemment avec M. Ashkar, en 2007-2008, remettre l'argent à Jean Gauthier. M. Ashkar soutient qu'il n'a jamais vraiment su combien d'argent contenaient les enveloppes qu'il remettait au notaire.

La collusion se met en place

Lorsque la loi 106 qui resserre les règles d'attribution des contrats dans le génie est adoptée en 2002, le maire Vaillancourt lui dit d'aller voir le directeur de l'ingénierie Claude Deguise, qui lui explique que les firmes auront « les contrats à tour de rôle », comme par le passé, grâce à de l'information privilégiée qu'il leur fournira.

Comme prévu, dans les années suivantes, Claude Deguise avertira donc le gagnant quelques jours avant le dépôt des soumissions. Le gagnant doit alors s'arranger avec les autres collusionnaires, dont les noms sont fournis par Deguise, pour qu'ils fassent des soumissions de complaisance. Les autres firmes procédaient de même manière, M. Ashkar donnant en exemple ses contacts avec Laval Gagnon de CIMA+.

Déçu des contrats obtenus dans un premier temps, M. Ashkar va voir le maire en 2004-2005 pour s'en plaindre. Lorsque M. Vaillancourt lui réplique : « Il faut faire vos devoirs », il en déduit que LBHA ne donne pas assez.

« Je trouve que le maire, lorsqu'il a inventé ce système, c'était pour rester chacun son tour », a plaidé M. Ashkar, qui explique qu'on ne parlait pas alors de contrats truqués.

M. Ashkar dit n'avoir jamais parlé directement de collusion ou des contrats arrangés avec le maire dans la foulée dans l'adoption de la loi 106. Il parlait cependant plus librement avant 2002 de contrats avec M. Vaillancourt, alors qu'il était légal pour le maire de s'occuper de l'attribution des contrats de génie.

Les firmes de génie collusionnaires et les interlocuteurs, selon Bahjat Ashkar : CIMA+ (Laval Gagnon), Dessau (Serge Duplessis), Genivar (Yannick Bouchard), Tecsult-AECOM (Roger Desbois), Equiluqs (Guy Jobin), MLC (Claude Chagnon), Filiatrault McNeil (Alain Filiatrault). Ashkar n'est pas certain d'avoir fait affaire avec Triax.

En février 2011, LHBA met fin à son lien d'emploi, en raison du volume déclinant de contrats qu'il y rapporte.

Une longue feuille de route

Ingénieur d'origine libanaise, M Ashkar a été formé à Polytechnique au début des années 60, et spécialisé dans le traitement des eaux. Il retourne travailler au Liban, uvre par la suite au Maroc pour l'ONU, puis revient au Québec dans les années 1970 pour entrer au service de la firme Gendron-Lefèbvre dans le domaine du génie municipal pour le traitement des eaux.

Il quitte alors cette firme en 1985 pour devenir consultant pour la Société québécoise d'assainissement des eaux. Il décide par la suite de proposer ses services comme ingénieur en génie civil et forme CDG, qui fonctionne jusqu'en 1994. Après l'expérience amère de sa fusion avec CIMA+, il a un passage à vide jusqu'à ce qu'il aille rencontrer vers 1997 le maire de Laval, ville où il avait déjà eu des contrats. Il obtient un premier contrat de gré à gré et met sur pied BAFA Consultants. Il a par la suite vendu BAFA en 1999-2000 à la firme de génie LBHA (Leroux, Beaudoin, Hurens et associés) et y devient salarié.

L'ingénieur Bahjat Ashkar est le premier d'une série d'ingénieurs appelés à comparaître dans les prochains jours devant la commission Charbonneau.

BAFA désignée comme collusionnaire par Desbois

Le 22 mai dernier, Roger Desbois, ingénieur à la retraite de la firme Tecsult, a affirmé que M. Ashkar était le représentant de BAFA dans le système de collusion des firmes de génie de Laval.

M. Desbois avait affirmé que ce système avait été mis en place vers 2002 et avait nommé neuf firmes y ayant déjà participé. Il évaluait qu'en termes de volume d'affaires, BAFA était la huitième de ces neuf firmes.

Selon l'ingénieur à la retraite de Tecsult, les firmes collusionnaires (et ses interlocuteurs pour la collusion) étaient Dessau (Serge Duplessis), Cima+ (Laval Gagnon, Louis Farley et Michel Lavoie), Tecsult (Roger Desbois), Genivar (François Perreault puis Yannick Bouchard), MLC (Claude Chagnon), Filiatrault McNeil (Alain Filiatrault), Equiluqs (Guy Jobin), BAFA Consultants (B. Ashkar) et, occasionnellement, Triax (André de Maisonneuve et Rosaire Fontaine).

Roger Desbois avait expliqué que toutes ces firmes devaient verser une ristourne de 2 % au notaire Jean Gauthier. Selon lui, ce notaire proche du maire jouait pour les firmes le rôle de collecteur que lui-même jouait pour les entrepreneurs collusionnaires.

Plusieurs de ces firmes ont été visées par l'UPAC dans le cadre de l'opération Honorer, qui s'est traduite par 37 arrestations le 9 mai dernier. BAFA n'était pas visée.

Selon le registre des entreprises, BAFA a été officiellement dissoute le mois dernier. Le premier actionnaire de BAFA était la firme Beaudoin Hurens et ses administrateurs étaient Serge Beaudoin, Norman Hurens et Jean Leroux.

Un système de ristournes

Roger Desbois avait expliqué que le système de collusion des firmes de génie était dirigé par le directeur du service d'ingénierie de la Ville de Laval, Claude Deguise, mais que le maire Gilles Vaillancourt « était au courant » de toute l'affaire.

Selon lui, M. Deguise désignait les firmes gagnantes avant même les appels d'offres, mais que le processus d'appel allait tout de même de l'avant pour lui octroyer une apparence de légitimité.

Ainsi, pour les appels d'offres sur invitation, concernant des mandats entre 25 000 $ et 100 000 $, Claude Deguise, qui s'occupait de partager les contrats entre les firmes, appelait la firme qu'il avait choisie pour avoir le contrat. Cette dernière appelait alors l'autre firme soumissionnaire pour s'assurer qu'elle fasse une offre de service plus élevée que la sienne.

Pour les contrats de 100 000 $ à 500 000 $, une fois qu'un nombre crédible de firmes avaient demandé les documents d'appel d'offres, Claude Deguise remettait à la firme qu'il avait choisie au préalable les documents avec, dessus, l'estimation des honoraires faite par ses propres services. La firme savait ainsi à quel montant soumissionner pour gagner. Peu d'appels d'offres n'étaient pas arrangés, a conclu M. Desbois.

M. Desbois explique qu'en fait, ces stratagèmes visaient avant tout à perpétuer les façons de faire de l'administration municipale avant la loi 106. Avant 2002, la Ville n'avait aucune obligation d'aller en appel d'offres et décidait, de fait, quelles firmes allaient avoir les mandats.

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