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L'opposition iranienne bâillonnée avant la présidentielle

L'opposition iranienne bâillonnée avant la présidentielle

Quatre ans après les manifestations contre les résultats de la présidentielle de 2009 réprimées dans le sang, les autorités iraniennes ont pris des mesures pour museler l'opposition en prévision du scrutin de vendredi et éviter de montrer à nouveau au monde un pays déchiré et des arrestations par milliers.

Maintenus en résidence surveillée dans des conditions draconiennes, les chefs de l'opposition sont cette fois dans l'incapacité d'exploiter le mécontentement grandissant des Iraniens face à la crise économique, la répression et l'isolement diplomatique du pays.

Les réformistes Mirhossein Moussavi et Mehdi Karoubi, qui avaient mené la contestation contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009, sont assignés à résidence sans inculpation depuis plus deux ans, depuis qu'ils ont appelé à manifester pour soutenir les mouvements de révolte dans le monde arabe en 2011.

Les deux septuagénaires sont sous surveillance constante et n'ont pratiquement pas de contact avec leurs familles qui craignent pour leur santé. Le fils de Mehdi Karoubi, Mohammed Taghi Karoubi, souligne « l'illégalité » de cette assignation à résidence « même au regard de la législation iranienne ».

Certains parlent de véritable « enlèvement » de la part d'autorités prêtes à tout pour bloquer les réformes. La foule a plusieurs fois demandé leur libération ce mois-ci.

Ironie de la situation, le mécontentement est sans doute plus fort aujourd'hui qu'il y a quatre ans - les sanctions contre le programme nucléaire iranien ont entraîné une hausse des prix et du chômage - mais rien n'apparaîtra. Ceux qui pouvaient lancer la protestation sont prisonniers chez eux.

Portes condamnées

Selon des personnes proches de leurs familles, les deux hommes mènent une existence très solitaire, avec pratiquement aucun contact extérieur, leurs faits et gestes étant contrôlés par les forces de l'ordre.

Mirhossein Moussavi, 71 ans, est retenu à son domicile non loin de la rue Pasteur dans le centre de Téhéran, avec sa femme, Zahra Rahnavard, 67 ans, artiste connue et universitaire.

Leur maison, dans un quartier administratif proche du domicile du Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, a été transformée en véritable prison. Deux des portes ont été condamnées et la troisième est surveillée en permanence par les autorités.

Des caméras ont été installées tout autour de la maison ainsi que des projets et d'autres appareils de surveillance. Les poignées intérieures des portes ont été enlevées de sorte que celles-ci ne peuvent être totalement fermées, dit-on de source proche de leurs filles.

« L'équipe qui supervise leur kidnapping est grossière et violente », explique-t-on sous le sceau de l'anonymat.

« Ils ont dit : ''ils n'ont pas de religion et quoi que nous leur fassions, ils le méritent. Ils sont aux ordres des États-Unis et de la Grande-Bretagne" », raconte cette personne.

Moussavi, architecte de profession, a été le dernier premier ministre de l'Iran - entre 1981 et 1989 - avant la suppression de ce poste par une modification de la Constitution.

Au cours des 20 années suivantes, il n'a pratiquement plus participé à la vie publique, jusqu'à sa candidature à la présidentielle de 2009 où il est apparu comme le principal candidat réformiste.

Briser une vitre avec le poing

Pendant les deux premiers mois de la mise en résidence surveillée du couple, les forces de sécurité ont occupé les étages inférieurs de leur maison ainsi qu'un bâtiment voisin.

« À cette époque, ils n'avaient pas de journaux, ni de livres, ni de papier, ni de matériel pour écrire », indique-t-on.

« Toutes les fenêtres ont été hermétiquement fermées et ces deux-là ont été emprisonnés dans une pièce au dernier étage de la maison. »

Documents personnels, dessins, sculptures, ordinateurs, téléphones, radio et autres documents politiques de l'époque où Moussavi était premier ministre ont été confisqués.

Dans ces premiers mois, son épouse Rahnavard a eu des problèmes respiratoires, sans doute par manque d'air frais. Les autorités ne l'ont pas écoutée et elle a dû briser une vitre avec le poing pour respirer librement, se blessant à la main. Les autorités ont alors autorisé l'ouverture d'une fenêtre.

Rahnavard a perdu 17 kg et souffre d'arthrite. Moussavi en a perdu 12. Il a été hospitalisé en août pour un caillot sanguin.

Un jour, Moussavi est resté inconscient pendant deux heures sous l'il des caméras de sécurité, mais malgré les appels à l'aide de Rahnavard, personne n'est venu les aider. Leurs familles ont demandé leur dossier médical, mais les autorités ont refusé.

Certaines de ces restrictions ont ensuite été levées et ils ont pu recevoir la visite de leurs familles. Mais celles-ci passent souvent des mois sans nouvelles de leur santé.

Les forces de sécurité sont présentes lors des quelques visites autorisées. La conversation ne doit porter que sur des questions liées à la famille et doit se faire à haute voix.

Moussavi et son épouse, qui avaient l'habitude de se lever tôt, se couchent tard et se réveillent tard. La lecture du Coran et les prières rythment leurs mornes journées. Ils peuvent quelquefois dessiner grâce à du matériel qui leur a été donné.

Ils ont de temps en temps accès à une cour avec jardin. Ils n'ont ni journaux ni radio, mais peuvent regarder la télévision publique. Ils ont parfois accès à leur riche bibliothèque.

Stefan Zweig et Calvin comme arme

L'autre chef de l'opposition, Mehdi Karoubi, ancien président du Parlement, a d'abord été retenu à son domicile dans le nord de Téhéran pour ensuite être transféré dans une maison de la capitale fournie par le ministère du Renseignement.

Il loge dans un étage de ce bâtiment de trois niveaux, les deux autres étant occupés par les services de sécurité, raconte son fils Mohammad Taghi Karoubi. Il n'y a pas de jardin et son père, âgé de 75 ans, ne peut sortir à l'air libre.

Mehdi Karoubi a été hospitalisé en novembre après une perte de poids, des nausées et des vertiges, avait annoncé à l'époque le site d'opposition Sahamnews. « Actuellement, il est en bonne santé, a déclaré son fils. « Il a très bon moral. »

Il est autorisé à regarder la télévision publique. Il peut lire trois journaux propriété de l'État. Ses demandes de lecture d'autres journaux n'ont pas été acceptées.

Un autre de ses fils, Mohammad Hossein Karoubi, n'a pu se rendre chez son père qu'une fois ces sept derniers mois, à l'occasion de la nouvelle année iranienne, en mars, raconte Mohammad Taghi Karoubi. D'autres membres de la famille ont été récemment autorisés à le voir pour des visites hebdomadaires de deux ou trois heures en présence de responsables de la sécurité.

En raison de leur isolement et du peu d'informations dont ils disposent, Karoubi, Moussavi et Rahnavard ont décidé de ne pas faire de commentaire sur le scrutin de vendredi. Ils n'en restent pas moins influents dans le pays.

Moussavi a commencé à recommander des livres à ses partisans. Ses avis sont très suivis. Après avoir comparé sa captivité en 2011 à Journal d'un enlèvement de l'écrivain Gabriel Garcia Marquez sur les prisonniers d'un cartel de la drogue, cet ouvrage est devenu un succès de librairie en Iran du jour au lendemain.

En 2012, il a recommandé Le droit à l'hérésie de Stefan Zweig, sur le théologien du XVIe siècle Sébastien Castellion, qui prônait la tolérance et s'opposait aux exécutions d'hérétiques ordonnées par Jean Calvin, voulant faire ainsi le parallèle avec la situation en Iran.

Le message de Moussavi aux autorités iraniennes est le suivant, indique-t-on : « Vous ne pouvez arrêter le mouvement qui a commencé, même avec une répression sévère. [...] J'utiliserai toutes les occasions pour crier et dire ce que j'ai à dire. Même si un seul passant l'entend, il le transmettra aux autres. »

Reuters

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