Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Jocaste Reine, au TNM: cette mère qui aime trop (PHOTOS)

Jocaste Reine, au TNM: cette mère qui aime trop (PHOTOS)
Yves Renaud

Jocaste aime Œdipe. Éperdument. Et Œdipe aime Jocaste. Ardemment. Épris comme au premier jour après 20 ans de liaison, quatre enfants devenus grands derrière eux, les tourtereaux goûtent encore chaque parcelle de leur passion, l'expriment en mots, en étreintes charnelles, en regards de braise. Cœurs et corps unis, le couple règne sur le royaume de Thèbes et suscite l'admiration de sa cour. Le fait que monsieur soit en réalité le fils de madame saurait-il troubler la quiétude d'une flamme aussi puissante?

Évidemment. Et on connaît la suite. Sitôt la vérité étalée au grand jour, elle se pendra, tandis que lui se crèvera les yeux pour ne pas affronter son implacable destin. Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) propose depuis la semaine dernière Jocaste Reine, une relecture de la tragédie de Sophocle, exposée cette fois du point de vue de Jocaste, la femme au cœur de la tourmente, alors qu'on a si souvent étudié la vision d'Œdipe en faisant complètement abstraction de sa muse. Dans ce texte de Nancy Huston et cette mise en scène de Lorraine Pintal, le mythe œdipien prend une saveur à la fois féminine, sensible, exaltante, troublante et déchirante.

Jocaste a eu un fils avec son premier époux, Laïos, qui n'a jamais su la rendre heureuse. Effrayés par une prophétie de l'oracle, qui leur avait prédit, avant la naissance de l'enfant, que si celui-ci était de sexe masculin, il en viendrait à tuer son père et marier sa mère, les nouveaux parents ont sacrifié le poupon de peur de voir le mauvais présage se confirmer. Adopté en bas âge par Polybe et Mérope, le roi et la reine de Corinthe, Œdipe souffrira longtemps de son statut de « bâtard ». Quand, plusieurs années plus tard, transformé en un fringant gaillard, il croisera la route de Laïos, il l'éliminera et prendra sa place sur le trône... et dans le cœur de sa belle. Avec la triste issue que l'on sait.

Difficile, pour le spectateur, de jauger à quel moment de l'histoire Jocaste (majestueuse Louise Marleau, qui transcende l'espace à chacune de ses répliques) prend conscience du fait que son amant n'est nul autre, concrètement, que le fruit de ses entrailles. Tout au long de la pièce, elle fait souvent référence à cet amour maternel incommensurable, inconditionnel, qu'elle éprouve envers ce chérubin abandonné et à l'égard d'Antigone, Ismène, Étéocle et Polynice, les descendants de son « deuxième lit ». Or, lorsqu'elle comprend que son homme et elle commettent l'inceste, la souveraine s'emmure dans la pureté de ses sentiments et crie à l'injustice. Pourquoi deux êtres devraient renoncer à un bonheur inébranlable sous le simple prétexte de mots familiaux? Au nom de quelle loi une mère et son garçon ne pourraient partager une exclusive intimité après avoir bâti clan et empire dans l'ignorance de leurs liens véritables? Son tendre ne comprenant pas son ouverture, la dame choisira d'en finir, jetant ainsi une malédiction sur ses héritiers, qui attenteront à leurs jours les uns après les autres.

Jeu convainquant

Bien que le récit repose en grande partie sur les qualités d'actrice de Louise Marleau, toute la distribution de Jocaste Reine, constituée de comédiens de Montréal et de Québec, accomplit un remarquable boulot. Saluons particulièrement les performances de Monique Mercure en Eudoxia et Jean-Sébastien Ouellette en Œdipe. Mention spéciale, également, à Hugues Frenette, qui emprunte les traits du Coryphée. Sorte de narrateur contemporain de cette saga intemporelle, le personnage pose un regard grinçant sur cet univers parfois lourd et déclenche souvent les rires.

Lorraine Pintal nous sert pour sa part une mise en scène dépouillée, ponctuée d'intermèdes musicaux (toujours bienvenues pour permettre au public de souffler entre deux tirades) et de chorégraphies dans un bassin d'eau rectangulaire, qui augmentent en intensité au fur et à mesure que l'action progresse.

Jocaste Reine a connu une première vie en février 2012, sur les planches du Théâtre de la Bordée, à Québec, et sera présentée au TNM jusqu'au 30 mars. Pour informations: www.tnm.qc.ca.

Voyez quelques images de la pièce ici:

INOLTRE SU HUFFPOST

Jocaste Reine au TNM

Jocaste Reine au TNM

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.