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Loser, quelle définition ? Des chercheurs se penchent sur la question (VIDÉOS)

Qu'est-ce qu'un loser? Des chercheurs se penchent sur la question
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SOCIÉTÉ - Le loser serait-il une figure en vogue? Sans doute, si l'on en juge par ces deux journées d'étude, intitulées "Anthropologie de la lose", qui s'achèvent ce vendredi 14 décembre, à l'Université de Nanterre.

Objectif de cette rencontre organisée par les ethnologues Isabelle Rivoal et Anne de Sales: esquisser méthodes et théories pour aborder cette fameuse "lose". Est-elle un symptôme de notre temps? Ou existe-t-elle ailleurs? Comment et pourquoi devient-on un loser? Le HuffPost aussi a voulu en savoir plus.

Car difficile de savoir de quoi on parle exactement. Quand on évoque les losers, on pense avant tout à des personnages. Pour les uns, c'est Jean-Claude Dusse. Pour d'autres Gaston Lagaffe ou Iznogoud, tandis que pour d'autres encore, sa figure la plus emblématique serait Homer Simpson. Alors qui sont vraiment les losers?

Les définir précisément relève de la gageure et ce, pour une raison très simple. Nous ne disposons pas de données sur les losers, parce que personne ne s'intéresse à eux. Ce qui prouve d'ailleurs bien que ce sont des losers. Explications.

Le loser, ou l'incarnation de la "désynchronisation"

Si l'on a pas d'idée précise sur l'origine de la lose, l'ethnologue Isabelle Rivoal a bien quelques idées sur le sujet. Pour elle, c'est une "figure de la désynchronisation." En langage humain, on dirait que le loser est à côté de la plaque, décalé, à l'ouest. Et s'il a du mal à suivre, c'est parce qu'aujourd'hui, tout va très vite, trop vite.

"Paradoxalement, la technique nous enlève du temps. Plus elle se développe, plus on a le temps de rien. Il faut dépenser une énergie considérable pour rester à la page, pour vivre avec son temps et ne pas paraître déconnecté," explique l'ethnologue. Figure du décalage donc, sa définition est ouverte.

Si le loser était un vêtement, ce serait sans doute un gilet, en laine, trop grand et avec des trous. S'il s'agissait d'un plat, ce serait des pâtes, probablement sans beurre, avec du gruyère. S'il était scolarisé, ce serait un collégien (cf. Les Beaux Gosses). S'il s'agissait d'une ville, elle aurait moins de 20.000 habitants. Une nation, quelque chose comme la Macédoine (quoique la Grèce, toute proche, pourrait aussi fournir un bon exemple). En réalité, chacun peut mettre à peu près ce qu'il veut dans la lose.

"Le loser c'est quelqu'un qui ne sait pas être", raconte l'ethnologue. Mais si c'était un sexe? "Ce serait un homme", répond Isabelle Rivoal, et il serait célibataire. Oui, le loser est une figure de cette fameuse crise de la masculinité. Les femmes, il n'y arrive pas. Déstabilisé par leur émancipation et la nouvelle donne qui s'impose, le loser ne sait pas s'il en fait plus, et donc trop, ou pas assez.

Leçon de drague, par Jean-Claude Dusse

Désavantagé par son physique, il boîte, loupe le coche et donc la couche. Une simple recherche sur Google permet de s'en convaincre, et on ne compte plus les articles proposant tuyaux et conseils aux jeunes femmes pour savoir si elles ont affaire à un loser.

Mythologie de la lose

"Le loser, c'est l'antithèse du golden boy des années 1980", explique l'ethnologue. "Avec lui, l'image de l'homme hyperindividualiste qui réussit s'effondre complètement. Du coup, le loser s'indiffère au monde qui l'entoure".

L'émergence de figures telles que celle de Homer Simpson sont symptomatiques de cette époque. Mais un autre personnage mythique créé par les frères Coen, incarne peut-être mieux que tout autre la lose. C'est Jeff Lebowski, plus connu sont le nom de The Dude (le Pote).

Son passé de roadie et de militant contre la guerre du Vietnam derrière lui, le Dude n'a plus grand chose à faire dans le temps présent, à part, peut-être fumer de la marijuana et boire des white russians.

On pourrait remonter plus loin. Dans La Conscience de Zeno, le roman d'Italo Svevo, publié en 1923, le Zeno en question a déjà quelque chose du loser. Il veut arrêter de fumer mais n'y arrive pas, voudrait reprendre les rênes de la boîte de son père mais n'y parvient pas non plus et fait la cour à une femme, pour finir par épouser sa soeur.

La liste des losers en littérature pourrait s'allonger à l'envie, que l'on songe au Herzog du prix Nobel de littérature Saul Bellow, ou encore à Ignatius Reilly, l'antihéros de La Conjuration des Imbéciles. Étudiant en histoire médiévale, Ignatius déteste son époque et n'hésite pas à le faire savoir. En total décalage avec son temps, il livre une critique cinglante de l'Amérique du début des années 1960.

Ironie de l'histoire, l'auteur du roman, John Kennedy Toole n'est jamais parvenu, à le faire publier. Désespéré, il se suicida en 1969, à l'âge de 31 ans, persuadé d'être un loser. Une véritable tragédie, d'autant plus que onze ans après, La Conjuration des imbéciles fut publié à titre posthume et l'objet d'un immense succès commercial. Ce roman est désormais considéré comme un classique de la littérature américaine.

Anthropologie de la lose

Alors qui sont les losers en 2012? S'agit-il de jeunes auxquels l'avenir ne promettrait rien? Ou ceux qui les précèdent pour bientôt leur laisser la place? "Aujourd'hui, les jeunes jouent avec cette image, ce sont eux qui inventent les figures du loser qui appartient à la génération d'avant", explique Isabelle Rivoal. Le loser, ce pourrait donc être cet employé de banque des publicités CIC, avec son programme d'épargne mis en place en 1974. "Quelque part, le loser n'est pas revenu des Trente Glorieuses," continue-t-elle.

Quel qu'il soit, le loser n'est pas engagé. Il s'agirait d'une figure apolitique, postmoderne. Mais si c'est ainsi qu'il se définirait dans notre société, "il ne se limite pas à notre société", précise l'ethnologue.

La désynchronisation et le décalage ne seraient pas propres à des occidentaux complètement paumés. En témoignent les communications présentées lors de ces journées d'études. L'une d'elles s'intéresse aux chamans d'Ulanbaatar (Oulan Bator), la capitale mongole. Une autre à certaines minorités népalaises, mises au ban de la société par ses évolutions récentes.

"On pourrait même élargir le concept aux Etats, certains étant des Etats losers, comme le Liban", analyse l'ethnologue, par ailleurs spécialiste du Moyen-Orient.

Plus proche de nous, une autre figure importante incarnant la" lose" de façon paradoxale sera abordée. C'est celle du geek. Leur problème: ils sont sur-connectés. Ayant trop investi l'une des dimensions de leur époque, cela les désynchronise du reste.

"Quand on en parle, les informaticiens se sentent immédiatement visés", explique Isabelle Rivoal, "c'est assez surprenant, mais ça les intéresse," se réjouit-elle.

Représentation du décalage, figure universelle et surtout masculine, la lose avec un 'o' se définirait peut-être mieux l'aide d'un autre mot, avec lequel on le confond souvent. Lorsque les Français écrivent lose avec deux 'o', ils font une erreur, mais aussi référence à un autre verbe, loose, qui évoque le relâchement.

Et si ce n'était pas une si mauvaise idée, s'interroge Isabelle Rivoal? Et si ce qui caractérisait le loser, c'était justement ce relâchement? Un peu comme si, derrière l'échec à vivre avec son temps, il y avait une forme de détente, une manière de dire: après tout, on s'en fout. Car les losers sont peut-être ceux qui auront compris que dans la vraie vie, les vrais winners n'existent pas.

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Jeff Lebowski.

Ces losers magnifiques

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