Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Luc Leclerc a reçu au moins 500 000 $ en pots-de-vin

Au tour de Luc Leclerc de vider son sac
CEIC

Un texte de François Messier

L'ex-ingénieur de la Ville de Montréal Luc Leclerc confirme qu'il a été corrompu par des entrepreneurs dès le début des années 90, en recevant des pots-de-vin, des cadeaux et d'autres avantages.

C'est ce qu'il a affirmé mercredi lors d'un témoignage livré avec candeur devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction.

M. Leclerc n'a pu dire quelle somme d'argent il a pu recevoir au fil des années. Il s'est contenté d'estimer ses dépenses en argent comptant à environ 500 000 $.

Cet argent a notamment été investi dans un restaurant (175 000 $), dans des projets de rénovation d'un de ses enfants (75 000 $), dans sa maison (50 000 $) et dans d'autres dépenses courantes, comme l'épicerie (110 000 $).

L'ingénieur aujourd'hui à la retraite a aussi remis 90 000 $ à la commission Charbonneau il y a quelques jours. « C'était une question de conscience », a-t-il dit.

Interrogé sur ses motivations à accepter des pots-de-vin, M. Leclerc a soutenu que cela lui donnait une « sensation de pouvoir ». Il a aussi avancé que cela pouvait compenser le fait qu'il était moins payé que les ingénieurs du secteur privé.

Il a cependant affirmé que tout cet argent liquide qu'il recevait n'était « pas facile à dépenser ».

L'ex-ingénieur a reconnu qu'il n'avait pas particulièrement besoin d'argent, étant donné que sa femme faisait elle aussi un bon salaire. Il a même affirmé qu'il aurait pu rester chez lui et recevoir 80 % de son salaire à partir de 2002, mais qu'il avait continué parce qu'il aimait son travail et les relations sociales qui en découlaient.

M. Leclerc dit qu'il a cessé de recevoir des pots-de-vin en 2009, lorsque la Ville a adopté un code d'éthique. La procureure de la commission Sonia Lebel, qui mène l'interrogatoire, lui a rappelé que le code de déontologie des ingénieurs stipulait pourtant qu'il devait favoriser son client en tout temps.

25 % des faux extras

Luc Leclerc était un ingénieur dont la tâche consistait, entre autres, à administrer le budget qu'allouait la Ville pour des travaux de canalisations, de pavages ou de trottoirs.

Tous ces contrats étaient susceptibles selon lui de donner lieu à des activités de collusion. Les contrats d'égouts étaient ceux qui lui permettaient d'empocher le plus d'argent, a-t-il précisé.

Luc Leclerc a confirmé qu'il exigeait « en théorie » 25 % des faux extras facturés par les entrepreneurs dans le cadre de ces contrats.

Il avait tout simplement annoncé aux entrepreneurs qu'il s'attendait à recevoir ce pourcentage. « En réalité, j'acceptais ce qu'on voulait bien me donner », a-t-il dit.

Luc Leclerc a précisé qu'il divisait les réclamations qu'on lui soumettait en zones blanches (réclamations payables), noires (non-payables) et grises (discutables). C'est dans ces zones grises qu'il pouvait « s'exprimer », a-t-il dit.

Il a cependant démenti qu'il vidait systématiquement l'enveloppe des contingences, servant à couvrir des travaux imprévus ou à payer des quantités de matériaux supplémentaires.

Il a expliqué qu'il ne pouvait agir de la sorte pour conserver sa « crédibilité » auprès des deux supérieurs qui devaient approuver ces rapports, Gilles Vézina et Robert Marcil.

Selon lui, les ingénieurs le payaient aussi parce qu'ils étaient « reconnaissants » pour le service de grande qualité qu'il leur offrait, peu importe s'il recevait des pots-de-vin ou non.

« J'avais de belles relations avec tout le monde », a-t-il dit.

La procureure de la commission Sonia Lebel, qui mène l'interrogatoire, a entrepris de passer en revue les relations que l'ex-ingénieur entretenait avec les différents entrepreneurs pour des contrats exécutés dans les années 2000.

Elle a passé en revue les contrats avec les firmes ATA, Asphalte Inter, BP Asphalte, Bentech, Conex, Canasa et DJL. Luc Leclerc a confirmé qu'il a reçu de l'argent ou d'autres avantages de toutes ces firmes.

La recension de ces liens se poursuivra jeudi matin.

Une maison construite en partie par des entrepreneurs

L'ex-ingénieur a soutenu que les entrepreneurs Frank Catania et associés, BP Asphalte, Mivela, ATA et Sintra ont tous fait des travaux sur sa maison, à Brossard.

Au moment de sa construction, cette maison était voisine de celles appartenant de Frank Catania et de son fils, Paolo.

Luc Leclerc a dit qu'il a uniquement insisté auprès de Frank Catania et associés pour ces travaux, puisque sa maison était située à côté de la sienne.

Le témoin a affirmé qu'il s'attendait à recevoir une facture pour ces travaux, ce qui ne s'est pas produit. Il dit avoir « péché par omission » en ne rappelant pas la firme à ce sujet.

Luc Leclerc a aussi affirmé avoir reçu des billets de hockey, des bouteilles de vin, des cigares, des chèques-cadeaux, des paniers de Noël et même un jambon.

Vito Rizzuto, un « excellent compagnon de voyage »

L'ex-ingénieur a par ailleurs admis avoir joué au golf à plusieurs reprises avec le parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto, qu'il dit avoir croisé une première fois en République dominicaine en 1997, lors d'un voyage de golf organisé par Tony Conte.

Luc Leclerc a raconté que Gilles Surprenant et lui avaient d'abord été réticents à faire ce voyage lorsque M. Rizzuto s'est présenté à l'aéroport sans qu'ils aient été prévenus.

L'un de deux ingénieurs de la Ville avait reconnu M. Rizzuto, et ils se tenaient loin de lui au départ, de crainte qu'ils ne soient photographiés par la police.

Luc Leclerc dit avoir rapidement réalisé que Vito Rizzuto était un « excellent compagnon de voyage » et un « gentleman » de commerce très agréable.

Le témoin a aussi avoir fait des voyages dans le sud avec Paolo Catania, avec Lino Zambito et avec Éric Giguère du groupe Soter. À l'exception d'un voyage payé par M. Catania, Luc Leclerc croit cependant qu'il a payé la majorité de ces voyages.

M. Leclerc a travaillé pendant trois mois pour le groupe Soter après avoir pris sa retraite en 2010. Il a expliqué qu'il aimait travailler. Lorsque la commissaire Charbonneau lui a demandé pourquoi il n'avait pas conservé son emploi à la Ville, il a répondu qu'il avait jugé avoir déjà « beaucoup donné ».

INOLTRE SU HUFFPOST

Tony Accurso

La commission Charbonneau en bref

Avril 2009

Construction: la (longue) marche vers une enquête

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.