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Le bilan de Barack Obama : qui a tué l'espoir ?

Qui a tué l'espoir ?
President Barack Obama speaks during a campaign stop, Wednesday, Aug. 22, 2012, in North Las Vegas, Nev. (AP Photo/Isaac Brekken)
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President Barack Obama speaks during a campaign stop, Wednesday, Aug. 22, 2012, in North Las Vegas, Nev. (AP Photo/Isaac Brekken)

En cette semaine de convention démocrate, nos collègues du Huffington Post américain se penchent en profondeur sur le premier mandat de Barack Obama pour en faire un bilan très mitigé.

Durant les jours qui suivirent l'assassinat de John F. Kennedy en 1963, Lyndon B. Johnson a dû poursuivre l'agenda législatif inachevé de son prédécesseur. Les initiés à la Maison-Blanche considéraient la tâche presque impossible. La loi des droits civils était retenue par le Comité des lois à la Chambre des représentants, dont le président voulait jouer la montre jusqu'aux prochaines élections. Une réduction d'impôts cruciale était, elle, enlisée au Sénat, où le président du Comité des finances la détenait en otage.

Plutôt que de négocier avec le Congrès, Johnson se servit de la bonne volonté de la nation pour frapper fort le parti républicain et élargir autant que possible le champ des réformes. Il s'adressa directement au peuple américain, lui rappelant que le parti républicain avait été un jour "le parti de Lincoln", et envoya des chefs religieux faire pression sur le Congrès.

Il en résulta une baisse d'impôt considérée par beaucoup comme responsable de l'ère de croissance qui suivit, et surtout, le Civil Rights Act de 1964. Si Johnson avait choisi de jouer cette partie prudemment, il aurait été éliminé tout de suite.

Des leçons à tirer

Barack Obama aurait pu apprendre quelque chose de L.B. Johnson. Alors qu'il était candidat, il avait promis de changer la façon de fonctionner de Washington, et surfait sur une vague de popularité qui l'a conduit jusqu'à la Maison-Blanche. Ses deux premières années de mandat ont souvent été comparées au New Deal sous Franklin Roosevelt et à la Great Society sous Johnson, avec les réformes historiques de la santé, de Wall Street et d'autres priorités de politique intérieure.

Mais le premier mandat d'Obama aura aussi laissé de nombreux supporters déçus, se demandant si ces réussites auraient pu avoir plus d'envergure et d'impact. La législation de la réforme de la santé a été largement construite sur un modèle conservateur, qui a poussé des millions de personnes dans un marché privé de l'assurance santé. La loi de réforme des régulations du marché comporte des restrictions pour le secteur privé et est considérée par beaucoup comme n'ayant pas une portée suffisante pour juguler les pires pratiques du secteur bancaire. La Maison-Blanche a fait peu d'effort pour promouvoir la clause des travailleurs comme l'Employee Free Choice Act, qui aurait garanti pour nombre d'entre eux plus de possibilités pour former des syndicats. Certes la guerre d'Irak est finie, mais celle d'Afghanistan s'est intensifiée, avec une confusion persistante sur les raisons pour lesquelles il y a toujours des troupes là-bas.

Les démocrates sont beaucoup moins enthousiastes qu'il y a 4 ans

Deux mois à peine avant les élections, Obama souffre d'un déficit d'engagement. Selon un récent sondage Gallup, seulement 39% des démocrates ont déclaré qu'ils étaient "plus enthousiastes" que d'habitude pour aller voter. Ce nombre était de 61% au même moment en 2008. Pendant ce temps, les Républicains s'enflamment plus aujourd'hui (51%) qu'en 2008 (35%).

Obama n'est plus considéré par la majorité des électeurs comme un réformateur constructif. Le 21 août, un sondage NBC NEWS/Wall Street Journal indiquait que seuls 37% des sondés pensaient qu'il pourrait apporter "les changements nécessaires" lors de son second mandat.

Bien que les démocrates tendent à plus aimer leur président que les Républicains n'apprécient Romney, sa réélection est loin d'être assurée. Comment un candidat qui attira deux millions d'individus à son inauguration et détient 13 millions d'abonnés sur sa liste e-mail a-t-il pu perdre cette magie?

Moins de pouvoir que prévu

Selon les responsables de la campagne, conseillers à la Maison-Blanche, membres du Congrès, chefs stratèges du parti, dirigeants syndicaux et avocats progressistes, la raison principale est qu'Obama en est venu à ressembler aux créatures de Washington contre lesquelles il avait combattu. Là où Franklin Roosevelt et Lyndon Johnson étaient parvenus à organiser le peuple américain comme une arme dans un combat législatif, Barack Obama est arrivé à Washington pour se mettre à jouer comme un vieux briscard.

Un président, par définition, joue de l'intérieur, chargé de gérer une série difficile de négociations politiques. Mais sans l'énergie de sa campagne, Obama s'est retrouvé avec bien moins de pouvoir qu'il ne s'y attendait. "Ils sont allés à Washington et sont devenus 'de là-bas', pensant que par la vertu d'un e-mail estampillé 'Maison-Blanche', tout le monde dirait 'Ah, d'accord'", s'est ainsi exprimé Michael Steele, l'ancien chef du Comité national républicain.

Van Jones, un ancien fonctionnaire de la Maison-Blanche dont le passé dans les organisations de terrain lui donne une perspective différente de ses homologues issus de l'administration Clinton, résume ainsi la consternation de nombreux supporters d'Obama: "Qui a tué l'espoir? Que s'est-t-il passé?"

"A la traîne de la droite"

Une fois élu, l'envolée rhétorique des élections laissa vite place aux réalités législatives. Ainsi que son conseiller le plus proche, David Axelrod le faisait remarquer dans une interview, Obama s'était engagé à "trouver et à former des coalitions" lorsqu'il serait président. Ne pas le faire une fois en place aurait constitué une promesse non tenue. Mais promettre de mener une politique sans esprit de parti, et faire en sorte que les législateurs jouent le jeu sont deux choses bien différentes.

"On dit parfois avec légèreté 'Vous aviez la Maison Blanche et la chambre des représentants et après que Arlen Specter ait changé de bord, vous aviez une majorité empêchant l'obstruction parlementaire au sénat. Pourquoi n'avez-vous pas été plus visionnaire?'" raconte Jared Bernstein, ancien principal conseiller économique du vice-président Joe Biden. " C'est une vision de la réalité très peu nuancée. Il y avait de nombreux démocrates dont les idées n'étaient pas du tout alignées sur les notres."

Résoudre le défi posé par la récession a aussi mis Obama à rude épreuve durant les premiers mois de son gouvernement, lui demandant le travail rapide et secret qu'il avait auparavant critiqué.

"Obama sait nager. Ce n'est pas un nageur olympique, mais il sait nager", a récemment dit le chef démocrate de la majorité au Sénat, Harry Reid (Nevada) dans un récent entretien sur son travail. "Il s'est retrouvé dans cet énorme fleuve, le courant allait contre lui. Le pays avait perdu huit millions d'emplois, Obama savait qu'il devait remonter à la surface de temps en temps pour ne pas se noyer. Et c'est ce qu'il fait. Il remonte respirer comme il peut. Pour moi, il a toujours été là, même si le flot allait contre lui. Il a toujours été capable de sortir de l'eau et de nous aider. Je pense que son jeu selon les lois du système était juste un moyen de garder le pays en vie."

Il a joué le jeu par nécessité

Mais si Obama a été forcé de jouer le jeu du système par nécessité, les critiques progressistes du Président remarquent qu'il n'a jamais vraiment essayé de voir si jouer en dehors de ce système pouvait marcher.

Par exemple, lors de l'élaboration du plan de relance économique durant l'hiver 2008-2009, les principaux conseillers économiques d'Obama partirent du postulat qu'il y avait des limites à ce qui était politiquement possible. Lorsque Christina Romer, qui devait bientôt diriger le Comité des conseillers économiques, suggéra que 1800 milliards de dollars étaient nécessaires pour boucher le trou de l'économie, Larry Summers, principal conseiller économique du Président, la rabroua, qualifiant ce montant d'irréaliste.

Selon Noam Schreiber de The New Republic, Romer descendit sa proposition à 1200 milliards, mais Summers considérait le chiffre comme toujours trop haut pour être porté au Sénat. La proposition que Summers remit finalement au Président présentait 800 milliards comme le montant maximum.

L'un des principaux fonctionnaires de la Maison-Blanche a précisé au Huffington Post que des propositions aux montants plus importants étaient alors toujours débattues. Mais l'équipe de représentants d'Obama à la Chambre apprirent alors que les Démocrates modérés ne suivraient pas au delà de 800 milliards; ils décidèrent alors d'opérer à l'intérieur de ces contraintes plutôt que d'essayer de les élargir.

Au contraire de Lyndon Johnson, l'administration Obama n'alla pas défendre son cas auprès du peuple américain et se contenta de quelques tentatives infructueuses pour gagner des députés républicains modérés à sa cause.

Du coup, pendant que la Maison-Blanche s'embourbait dans des négociations, les républicains s'emparèrent de la méthode démocrate en s'adressant directement au peuple américain.

"Nous avons utilisé leur façon de faire et ce qui m'a surpris, c'est qu'ils arrêtent, eux, de l'utiliser" déclara Steele au Huffington Post.

"J'ai toujours cru qu'Obama pratiquerait les deux stratégies : qu'il jouerait le jeu du système tout en construisant une stratégie en dehors par le biais d'un réseau global, où il lui suffirait d'appuyer sur un bouton pour que 1300 personnes répondent présentes en dix minutes, a expliqué Steele. J'ai été en fait très surpris. Je pense qu'ils ont cru que cela allait de soi, que 'Si les gens m'aiment, ils seront toujours derrière moi'. Et bien, à Washington, l'amour est bref, c'est un sentiment inconstant."

Aujourd'hui, la réussite du plan de relance est toujours en débat. Le livre The New New Deal , de Michael Grunwald du Time, expose l'idée que c'était un investissement historique dans le remodelage de l'économie américaine sur les lignes établies sous Franklin D. Roosevelt. Mais les économistes ont aussi prouvé à quel point le Recovery Act était insuffisant pour boucher le trou de la récession. Et pour de nombreux démocrates, l'incapacité à combattre sur le terrain en faveur d'une politique qui correspondrait vraiment à la gravité de la situation reste une erreur fatale.

"La seule chose que j'ai apprise quand j'étais à la Maison-Blanche, c'est que nous pensions avoir tout ce qu'il fallait pour gouverner : Obama, Pelosi - le meilleur chef de majorité parlementaire qui soit -, les 60 votes au Sénat (Specter changerait de camp après l'instauration du plan de relance)" a expliqué Van Jones, qui depuis qu'il a quitté la Maison Blanche, milite avec les organisations de terrain.

"Il s'avère que nous n'avions qu'une des trois cartes dont nous avions besoin. Il faut avoir les médias de son côté - les vrais, comme par exemple la Fox pour les républicains. Il faut aussi un mouvement populaire issu de la rue, comme l'ont les républicains avec le Tea Party. Si vous n'avez ni l'un ni l'autre, vous êtes impuissant."

Jones a indiqué au Huffington Post qu'il était sidéré de voir les conservateurs s'organisant mieux que la Maison-Blanche.

"Comment se fait-il que durant deux ans la droite a eu le monopole sur la lutte de terrain, les manifestations et la guerre des idées ? C'est presque sans précédent. Comment nous sommes-nous retrouvés à la traîne de la droite en période de catastrophe économique ?"

Arrangements d'antichambre

Après le plan de relance, la réforme de la Santé montra jusqu'à quel point le Président était prêt à jouer la politique du compromis.

La décision même de s'attaquer à cette réforme partit d'un postulat peu inspiré. Bien qu'Obama ait souvent parlé lors de sa campagne de la nécessité morale d'étendre l'accès aux soins aux non-assurés, c'est une simple comptabilité qui l'a convaincu de se lancer au printemps 2009. Les coûts de la santé sont une des principales cause de l'alourdissement de la dette nationale, En maîtriser la hausse n'est donc pas simplement un objectif politique, mais aussi une nécessité gouvernementale.

"je crois qu'il a été persuadé de s'occuper de la santé par Peter Orszag (le directeur du budget), et non par Ted Kennedy (champion vertueux de la réforme de la santé)" raconte l'un des alliés important d'Obama au printemps 2010, qui a demandé l'anonymat pour s'exprimer plus librement.

Ayant atteint cette conclusion, Obama et ses conseillers prirent des décisions stratégiques pour mettre en place la réforme de la santé. La première était que tout devait être payé. Ils ne souhaitaient pas vraiment de nouveaux déficits après les dépenses du plan de relance économique et le plan de sauvetage de l'industrie automobile. La deuxième était que le Congrès aurait son mot à dire concernant le processus législatif.

Au départ, l'ouverture signifia tenir des forums publics où chacun, des syndicats aux compagnies d'assurances privées, pouvait faire entendre ses idées sur tout aspect de la réforme.

Mais dans les coulisses, la Maison-Blanche se démena pour s'assurer qu'aucun groupe ou législateur lié au projet de loi ne soit mis à mal par les négociations. D'après des démocrates très au fait de la situation, l'administration Obama décida de ne pas mobiliser sa liste massive d'abonnés internet, en faveur de "l'option publique", un organisme fédéral qui aurait fourni une couverture sociale. Le gouvernement ne voulait pas prendre le risque de décevoir ceux qui s'étaient battu pour cette mesure, persuadé que cette dernière serait forcément bradée.

"Obama les ménageaient pour les batailles politiques à venir au lieu de les lâcher dans la mêlée " explique un ancien conseiller au Sénat. "Il a mis des années pour construire cette formidable machine de soutien populaire et ne s'en est pas servi pour des priorités comme le système de santé !"

Pendant ce temps, la Maison-Blanche marchandait avec des opposants traditionnels à la réforme de la santé dans le but d'acheter leur soutien, ou au moins minimiser leurs critiques. Le gouvernement promit aux assureurs privés que le projet de réforme final comprendrait un large pan consacré au secteur privé. En échange, AHIP, le groupe de lobby des compagnies d'assurances, devait garder le silence sur ses réserves, bien qu'en réalité, il faisait discrètement passer des fonds à la Chambre du commerce pour financer sa campagne publicitaire contre la réforme.

PhRMA, le groupe lobbyiste de l'industrie pharmaceutique accepta ainsi de participer à hauteur de 100 milliards sur dix ans pour la réforme (un montant qu'ils rabaissèrent ensuite à 80 milliards) en échange d'un élargissement de leur clientèle. L'administration leur promit aussi de ne pas utiliser son droit à faire baisser le prix des médicaments et de s'opposer à l'importation de médicaments moins chers du Canada, deux des priorités de PhRMA.

Des mails que s'est procuré depuis le Huffington Post montrent à quel point dans ce cas le groupe pharmaceutique et le gouvernement ont avancé de concert.

Le chef démocrate du Comité des finances au Sénat, Max Baucus (Montana), bénéficia d'une grande liberté pour négocier avec les républicains. Les négociations durèrent des mois, alors que l'opinion publique se raidissait contre la réforme, bien aidée par les républicains du Congrès. Durant l'été 2009, des foules en colère envahirent les mairies, accusant les législateurs démocrates de vouloir établir un état totalitaire et des tribunaux de mises à mort.

A l'automne, le Président décida de jouer gros, et tint un discours au Congrès promouvant une réforme à grande échelle, retrouvant la rhétorique ambitieuse qu'il avait utilisée durant sa campagne.

"Nous ne sommes pas venus ici juste pour régler les crises. Nous sommes venus pour construire l'avenir" avait-il alors déclaré. "Ce soir, je suis revenu vous parler d'un sujet qui est fondamental pour ce futur, le système de santé. Je ne suis pas le premier président à m'emparer de cette cause, mais je veux être le dernier."

Il s'en prit ensuite aux législateurs qui utilisaient le débat de la réforme de santé pour marquer des points politiques et déclara que le temps des chamailleries était fini. Las, quand il fallut s'assurer vraiment les votes, Obama et ses alliés continuèrent à utiliser une approche donnant-donnant.

De nombreux sénateurs démocrates exigèrent des contreparties en échange de leur soutien, changeant parfois finalement d'avis. L'administration n'osa pas forcer la main de ces sénateurs capricieux comme Joseph Liebermann (Connecticut), farouche opposant à l'option publique de la réforme.

Au final, le projet de loi étendit l'éligibilité du Medicaid, améliora l'accès à la couverture santé en permettant aux enfants de rester sur l'assurance de leurs parents jusqu'à 26 ans et interdit la discrimination envers des patients ayant certaines pathologies. Il plafonna le montant que les compagnies d'assurances pouvaient dépenser dans des domaines ne dépendant pas de la santé, améliora le remboursement des traitements des seniors et mit en avant la prévention médicale.

Mais tout cela n'incluait pas l'option publique, qui aurait permis d'économiser des dizaines de millions de dollars, selon le bureau des affaires budgétaire au Congrès, ni la mise en place du ticket modérateur. De plus, l'administration avait ainsi limité la possibilité pour le gouvernement de négocier directement avec les entreprises du médicament.

Enfin, l'image politique du président avait été sérieusement écornée par son propre parti.

"Ce qu'il y a de triste à dire, c'est qu'il n'est pas normal que tout en dominant la majorité démocrate, Obama doive autant jouer le jeu du système." s'est ainsi exprimé Andy Stern, ancien chef du Service Employees International Union. "Il n'aurait pas dû devoir jouer ce jeu avec son propre parti. (...) Les démocrates ne voulaient même pas lui accorder les voix nécessaires pour empêcher l'obstruction parlementaire. (...) Je suis persuadé qu'il était frustré. Il pensait qu'il allait rassembler démocrates et républicains, ne s'imaginant certainement pas qu'il devrait rassembler les démocrates."

Une stratégie perdante

Les électeurs infligèrent un camouflet au Président en novembre 2010 lors des élections de mi-mandat. Les démocrates perdirent la majorité à la Chambre des représentants et la réforme de la santé s'avéra être un point de ralliement pour les électeurs républicains. Les principaux conseillers d'Obama en conclurent qu'ils devaient adopter un profil bas.

Cette attitude ne conduisit la Maison-Blanche qu'à un enlisement plus profond dans le jeu du système. La session de cohabitation parlementaire qui suivit les élections vit d'importantes victoires telles le traité de non-prolifération nucléaire et la fin du "don't ask, don't tell", la politique militaire qui de longue date interdisait aux homosexuels de faire l'armée. Mais même avec une population prête à renoncer à une réduction d'impôts pour la tranche d'imposition la plus haute, le gouvernement dut céder aux pressions de son propre parti et négocier un accord avec les républicains pour rallonger de deux ans toutes les réductions d'impôts mises en place sous Bush.

Lors de sessions stratégiques, avec un Congrès désormais divisé, le Président et ses conseillers examinèrent les différents moyens d'enlever certains points de leur programme, de la réforme de l'immigration à un nouveau plan de relance. Les hauts fonctionnaires croyaient que s'ils pouvaient gagner la confiance du public sur le déficit et enlever ce problème de la table, les républicains les rejoindraient sur d'autres points.

Et donc, au printemps 2011, alors que les parlementaires républicains menaçaient de bloquer l'action gouvernementale à moins que les démocrates n'acceptent des réductions drastiques de dépenses, la Maison-Blanche se mit à chercher un terrain d'entente. Sans prévenir, Bill Daley, qui en était alors le chef du personnel, proposa aux dirigeants républicains de la Chambre de plus grandes réductions d'impôts que les parlementaires démocrates n'étaient prêts à offrir, selon de multiples sources participant à ces négociations.

"Nous voulions éviter que l'action gouvernementale ne se trouve bloquée" déclara Daley au Huffington Post. "Le Président était prêt à contrôler la dépense publique, et c'est pourquoi nous avons accepté l'accord qui finit par être passé."

En privé, l'administration avait déterminé qu'Obama serait en position très délicate si l'action du gouvernement venait à être bloquée. Bill Clinton avait emporté cette bataille dans les années 1990, mais il avait tiré profit d'avoir un impétueux chef de la majorité parlementaire, Newt Gingrich, comme sa bête noire politique.

"(Le chef de la majorité John) Boenher n'allait pas devenir l'ennemi" a expliqué l'un des principaux assistants d'Obama." Il n'allait pas devenir celui vers qui les gens se tourneraient pour exprimer leur colère"

Les deux bords parvinrent finalement à un accord de dernière minute pour laisser libre champ au gouvernement. Mais les espoirs de la Maison-Blanche que ce type de négociations autour de la réduction des déficits pourraient être à l'origine d'une détente autour d'autres sujets furent vite anéantis. Les députés républicains commencèrent à comploter sur l'utilisation d'un vote historiquement banal sur le relèvement du plafond d'endettement comme un moyen d'obtenir plus encore de l'administration.

Durant des mois, cette dernière crut que le combat autour du plafonnement de la dette se ferait sans drame majeur. Le 24 juin 2011, les équipes du Président et le chef de la majorité parlementaire, Boenher eurent le premier d'une série d'entretiens secrets pour négocier une entente fondamentale.

Avec très peu d'aide de ses camarades démocrates, Obama fit sacrifice après sacrifice : massives réductions pour des dépenses discrétionnaires (1200 milliards en dix ans), changement progressif de l'âge légal de départ à la retraite pour Medicare, et changement sur la façon dont les allocations sociales seraient versées à partir de 2015. En échange, la Maison-Blanche demanda 800 milliards d'accroissement de recettes.

Comme les négociations se poursuivaient en privé, des dangers émergeaient du Capitole. Un groupe de sénateurs connu sous le nom du Gang des six relancèrent leur propre plan de réduction de la dette. Il ressemblait à celui qu'Obama et Boenher étaient en train de préparer, mais demandait 1300 milliards de recettes supplémentaires.

Ces démocrates que la proposition du Président avait forcément dû mettre en colère devaient maintenant être furieux, sachant combien le marché conclu était mauvais. L'accord historique était en réalité mort. Obama vint réclamer à Boenher plus de recettes mais ce dernier tourna les talons.

Le président s'était enfermé dans son jeu de politiciens, espérant que des négociations menées directement face à face seraient plus fructueuses. Cela marcha presque. On dit que Paul Ryan, aujourd'hui candidat républicain à la vice-présidence, mis plusieurs fois en garde Boenher qu'un accord ne serait pas seulement de la mauvaise politique mais l'assurance pour Obama d'être réélu. Ce dernier tira en effet profit de la preuve de sa bonne volonté à tendre la main aux républicains, lesquels chutèrent du coup dans les sondages. Mais son propre parti était inquiet de voir ce qu'il était prêt à céder dans ce but.

Pour les progressistes, l'incapacité de la Maison-Blanche à voir l'intransigeance des républicains reste le plus grand et le plus inexplicable manquement du premier mandat d'Obama. Le problème, comme l'a énoncé Andy Stern, l'ancien président du syndicat SEIU, ne résidait pas seulement dans le fait qu'Obama joue le jeu du système. Mais plutôt qu'il persista à le jouer sans jamais reconnaître l'inutilité totale d'un tel effort.

Une défaillance d'engagement

Après la débâcle du plafonnement de la dette, la méthode de la Maison-Blanche changea. L'administration avait compris que les négociations législatives avec les députés républicains se réduiraient toujours à une succession de frustrations, à moins de porter le débat au public d'abord.

"Vous ne voudriez pas sortir avec ces gens" confia aux journalistes l'un des hauts fonctionnaires exaspéré le 22 juillet 2011, la nuit où l'accord Boenher-Obama implosa.

"Je pense que durant l'été 2011, il devint évident que la direction de la Chambre n'irait pas plus loin que le montant minimum nécessaire pour éviter un désastre fiscal", expliqua Daley, qui quitta la Maison-Blanche début 2012.

Guidé par son conseiller économique Gene Sperling mais aussi encouragé par Axelrod, le Président détourna son attention de la dette pour la porter à la création d'emploi. Il établit un ensemble de propositions - des réductions d'impôts ciblées, des investissements dans les infrastructures, de l'argent pour le maintien en poste des enseignants, etc. - et fit une tournée électorale du pays pour gagner des soutiens.

L'administration lança une campagne ""We can't wait" pour souligner la réalité des initiatives que prenait le président afin de stimuler lui-même l'économie.

" J'ai besoin de vous" a dit Obama au public de Denver en octobre dernier. Il y a encore des types à Washington qui ne comprennent pas le message. J'ai besoin qu'on vous entende. J'ai besoin que vous soyez impliqués. J'ai besoin que vous soyez actifs. J'ai besoin que vous vous adressiez au Congrès. (...) Dites-leur : 'Faites votre travail'".

Tandis que ces efforts eurent peu d'effet sur l'opposition républicaine, cette stratégie enfin tournée vers l'extérieur s'avéra payante. Les parlementaires républicains se retrouvèrent soudain sur la défensive lorsque le Président les pressa d'accepter l'allongement d'un an de sa réduction des prélèvements sur les salaires. Boenher accepta finalement d'étendre les taux sans exiger de réductions des dépenses pour compenser les coûts. La Maison-Blanche avait couru après ce type de victoire durant des mois, voire des années.

"Je pense que le débat sur le plafonnement de la dette fut décisif, parce qu'il était clair que (...) cette question ne serait pas facilement résolue entre les quatre murs du cabinet présidentiel, ou de la salle de conférence du Capitole" indiqua ensuite Axelrod. "La leçon à retenir est que l'engagement public est, en ce cas, absolument vital."

Soudain, l'image d'un président en pleine progression commença à émerger. Et ce fut peu de temps après qu'il annonça sa position en faveur du mariage gay, ainsi que la mise en place d'une nouvelle politique mettant fin à la déportation des immigrants sans papiers détenant de hauts diplômes ou ayant fait leur service militaire.

Malgré tout, la défaillance de soutien pour la campagne d'Obama persiste. Elle s'explique surtout en raison d'une économie stagnante, qui a ôté aux électeurs l'énergie qui les avait portés en 2008. Mais même les défenseurs d'Obama admettent que sa façon de gouverner à l'intérieur du système a altéré leur perception de lui comme vecteur de changement.

"Ce que vous avez, c'est un président en exercice qui a pris peu à peu la mesure de son rôle, loin d'un candidat tout feu tout flamme", a déclaré Hildebrand, ancien directeur de campagne d'Obama, expliquant la différence entre 2012 et 2008.

Pour Jack Markell, gouverneur du Delaware, qui apporte son expérience professionnelle à la campagne de réélection d'Obama : "C'est une époque moins romantique, une campagne moins romanesque."

"Peut-être qu'Obama aurait dû faire plus de choses pouvant être qualifiées de traditionnelles, ajoute Markell. Mais il est certain que les idées d'Obama sont plus proches d'une classe moyenne américaine forte. Il a préparé un plan spécifique pour y parvenir et on voit déjà que les gens pensent qu'il les défendra mieux que Mitt Romney."

C'est peut-être vrai. Des sondages indiquent que les Américains sont d'accord avec Obama sur la plupart des enjeux, du Medicare à la politique étrangère, en passant par les impôts.

Mais jouer à jeu ouvert signifie prendre plaisir au combat. Comme l'a spécifié Jared Bernstein, cela veut dire aller voir quelqu'un et lui dire en face qu'il a tort. Cela veut dire utiliser des forces politiques pour l'emporter d'une courte majorité plutôt que de faire consensus. Cela veut dire abandonner l'idée que le parti républicain cherche à travailler avec vous.

On ne sait pas encore si Obama, dont l"image reste très liée à l'idée que l'esprit de parti peut être dépassé, est tout à fait à l'aise avec ce type de politiques.

Expliquant au printemps comment il ferait pour promulguer son agenda lors d'un second mandat, Obama était toujours impatient à l"idée de s'asseoir pour trouver des accord politiques. Selon lui, les républicains devraient se montrer plus arrangeants puisqu'il ne sera pas en train de briguer un troisième mandat.

"Je pense que si nous emportons ces élections, quand nous remporterons ces élections, que la fièvre pourra s'éteindre parce qu'il y a une tradition plus modérée dans le parti républicain" a-t-il déclaré. "Mon espoir après ces élections c'est que, considérant que le but de battre Obama n'aura plus vraiment sens puisque je ne me représenterai pas, nous puissions commencer de nouveau à coopérer."

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