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Toutes les (dé)routes mènent à une mosquée

J’ai cru que le crépuscule obscur de janvier dernier avait tracé le chemin à ne pas suivre. Mais hélas, quels chemins avons-nous empruntés depuis ?
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L'année 2017 touche à sa fin. Beaucoup d'entre nous réfléchissent déjà aux nouvelles résolutions alors que d'autres tentent tant bien que mal de faire leurs bilans. Si les résolutions sont faciles à prendre, les bilans le sont beaucoup moins. Les premières s'apparentent plus à une deuxième chance ou encore à une nième, alors que les seconds nous rappellent celles que nous n'avons pas saisies.

Les résolutions relèvent du rêve, du possible, de la vie. Le rêve de repartir à zéro, de pouvoir encore se rattraper, de s'excuser, de pardonner, d'accueillir, de réunir, de bâtir. Les bilans, quant à eux, nous mettent face à la réalité, au non-retour, au deuil. Le deuil de ce que l'on ne pourra pas réparer, de ceux qui sont partis, du sang qui n'aurait pas dû couler, des mots que l'on n'aurait pas dû prononcer, des raccourcis que l'on n'aurait pas dû emprunter.

Si chaque instant et chaque jour sont prêts à accueillir nos bilans et nos nouvelles résolutions, nous envisageons les deux à la légère, trop souvent sous l'effet de l'émotion.

J'ai cru aux larmes, aux chandelles et aux gerbes de fleurs.

Plus tôt cette année, de grandes résolutions ont été prises. J'ai cru alors, comme beaucoup de Québécoises et de Québécois, en un nouveau départ. J'ai cru à un nouveau Québec, capable de dresser de vrais bilans et d'assumer de vraies résolutions. J'ai cru aux grands discours sur les imposantes tribunes. J'ai cru aux larmes, aux chandelles et aux gerbes de fleurs. J'ai cru à l'amour, au pardon et à l'examen de conscience.

Plus tôt cette année, j'ai cru que dorénavant, on allait prendre le temps de se parler, de se comprendre. J'ai cru qu'on marcherait ensemble, les uns vers les autres, les uns avec les autres. J'ai cru qu'on ne troquerait plus une vie contre un vote. J'ai cru qu'on ne marcherait plus pour la peur et la division, mais pour le respect et l'inclusion.

J'ai cru qu'on avait fini par voir la main tendue des musulmans du Québec. J'ai cru qu'être musulman et Québécois ou Québécois et musulman voulait enfin dire la même chose. J'ai cru qu'on avait fini par comprendre que les musulmans du Québec ne sont pas ce qu'on a toujours voulu croire ou faire croire. J'ai cru qu'on avait fini par admettre que l'islam est chez lui. J'ai cru que de nouveaux ponts venaient d'être bâtis.

Cela vaut-il vraiment la peine de faire le bilan de l'année qui s'éteint ? Cela vaut-il la peine de parler de la DPJ musulmane ou des islamo-gauchistes ? Des prières collectives dans les parcs ou du visage découvert dans le transport collectif ? De Saint-Apollinaire ou de la Meute ? Des lieux de cultes profanés ou des femmes musulmanes brutalisées ? Du voile des petites filles à l'école ou des femmes dans les chantiers ?

Devrait-on faire le bilan de l'égalité entre les hommes et les femmes servie à toutes les sauces dès qu'on renifle un soupçon d'odeur de musulman ? De la régression de la condition des femmes dès qu'un bout de tissu couvre plus qu'il ne faut ? Du traitement réservé aux femmes musulmanes dès qu'il s'agit de mosquées ?

Quel bilan ferait le poids devant Ibrahima, Mamadou, Khaled, Abdelkrim, Azzedine et Aboubaker ? Quelles résolutions égaleront la tendresse et le chagrin de la petite fille enlaçant une dernière fois le cercueil de son père, faute de pouvoir serrer son corps autrefois son oasis et son refuge?

J'ai cru que le crépuscule obscur de janvier dernier avait tracé le chemin à ne pas suivre. Mais hélas, quels chemins avons-nous empruntés depuis ?

J'ai cru que le crépuscule obscur de janvier dernier avait tracé le chemin à ne pas suivre. Mais hélas, quels chemins avons-nous empruntés depuis ? Sans surprise et en dépit de tous les bilans et de toutes les résolutions, nous avons encore une fois préféré les raccourcis qui pointent du doigt et mènent tout droit à la mosquée la plus proche.

Naïvement, j'ai cru à beaucoup de promesses. J'ai fait mon propre examen de conscience bien que je ne pus m'empêcher de ressentir un malaise face à « je suis québécois ». Cela sonnait tout simplement faux. J'aurais pourtant dû comprendre que s'il fut instinctif de crier « je suis Charlie », il était inconcevable de chuchoter « je suis musulman ». Et quand on ne daigne pas, même dans la tragédie et la douleur, proclamer haut et fort « je suis musulman », on est loin des vrais bilans et encore plus des vraies résolutions.

Avril 2018

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