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Aux lendemains des attentats de Nairobi: le défi local, l'enjeu global

Cette dernière attaque au Kenya est à la fois un message et un test. Un message des Shebab au monde et au gouvernement kenyan pour leur dire que la guerre est loin d'être terminée.
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Source : ESSEC Knowledge, le portail en ligne de l'ESSEC dédié à la recherche, à l'expertise et au leadership académique de son corps professoral.

Comme le phénomène plus large de la mondialisation, le terrorisme international fonctionne sur la base d'une mobilisation de rentes économiques pour entretenir une rente idéologique. Dans cette optique, les attentats de Nairobi rentrent dans le cadre d'une opération de développement international, mais c'est nous qui les vivons comme une attaque contre le monde.

Il se trouve que la partie du monde à laquelle nous appartenons, et qui ne partage pas l'idéologie fondamentaliste de la charia comme ordre sociopolitique, est majoritaire et dominante numériquement, géographiquement et en moyens économiques. Cet ordre sociopolitique qui est le nôtre est vécu par ces fondamentalistes ni plus ni moins comme une domination idéologique insupportable. Dans cette opposition dominant/dominé, le dominé cherche à prendre le dessus dès lors qu'il peut combiner un leadership idéologique suffisamment jusqu'au-boutiste et une rente économique pérenne.

Cette dernière attaque au Kenya est à la fois un message et un test. Un message des Shebab au monde et au gouvernement kenyan pour leur dire que la guerre qu'ils leur ont déclarée en Somalie depuis 2008 en les obligeant à abandonner des positions stratégiques est loin d'être terminée. Les principales revendications des Shebab dans cette attaque sont d'ailleurs le départ des troupes kenyanes du sol somalien et la libération des prisonniers.

Pays voisin de la Somalie, le Kenya, peuplé de 44 millions d'habitants à 80% chrétiens et 10% musulmans, avec un PIB de 42 milliards USD est la 9e puissance économique africaine et la principale puissance est-africaine. En complément des opérations de l'Union africaine engagées depuis 2008 en Somalie, il s'est énergiquement mobilisé sur le plan militaire pour repousser les Shebab établis qui représentent une menace permanente à sa frontière nord-est même sur son territoire. Cette attaque des Shebab sert aussi à tester les capacités du nouveau gouvernement du président Uhuru Kenyatta, au pouvoir depuis le 9 avril 2013 seulement.

Les attentats de Nairobi : à la fois un message et un test

Les Shebab n'en sont pas à leur première attaque au Kenya. Ils ont régulièrement proféré des menaces surtout depuis l'engagement militaire du Kenya en Somalie en 2011 et on se souvient de l'attentat d'octobre 2011 dans une discothèque de Nairobi qui avait fait plusieurs blessés. L'attaque actuelle est toutefois, il faut le dire, la première de cette nature au Kenya c'est-à-dire dans un immense centre commercial fréquenté par de nombreux étrangers, et surtout des Kenyans de la classe moyenne et aisée. Les Shebab cherchaient à faire un maximum de victimes, moyen courant de propagande et de recrutement, mais surtout à faire pression sur le gouvernement kenyan pour qu'il réponde à leurs revendications.

Le mode opératoire est tout à fait inédit, fait d'assaillants multinationaux, y compris européens, lourdement armés qui s'introduisent dans un lieu public bondé aux heures de grande fréquentation et font des otages qu'ils tuent au fur et à mesure. Il est évident que le gouvernement kenyan n'était pas préparé à cet enchainement des faits et ne disposait pas d'informations suffisantes pour organiser la riposte en temps et en heure, même si on sait que les services de renseignement étaient déjà alertés. Il a dû s'adapter au fur et à mesure de la découverte de l'ampleur de l'attaque, mais, sa réponse immédiate a été plutôt énergique. On verra dans quelques mois comment cette réponse se prolongera vis-à-vis des Shebab établis sur le territoire kenyan et sur le territoire somalien. Une grande majorité des Kenyans se montrent aujourd'hui reconnaissants envers leurs forces spéciales qui ont malgré toute la confusion de cette opération pu répondre aux assaillants et limiter le nombre de victimes, avec l'appui des partenaires stratégiques du pays.

Le défi actuel : rassurer les populations locales et internationales

Les populations sortent de cette attaque choquées et meurtries, parce qu'un proche est décédé ou a été blessé. L'émotion est d'autant plus prise au sérieux par les autorités locales que la classe moyenne a été directement touchée. Le président kenyan va devoir réajuster le dispositif de veille et d'intelligence en matière terroriste au regard de ce mode opératoire. Va-t-on désormais installer des scanneurs à l'entrée de tous les bâtiments à grande fréquentation ? Le Kenya ne dispose pas des moyens d'un immense plan de sécurisation des frontières et des lieux publics type Vigipirate. Il va devoir davantage perfectionner son système de renseignements et d'alerte. Ceci étant, des mesures de sécurité symboliquement visibles doivent être prises pour rassurer les populations, en particulier les touristes et les investisseurs dans ce pays qui a massivement investi depuis plusieurs années pour attirer des investissements directs étrangers et protéger ses principales sources de devises que sont le tourisme et l'exportation de fleurs.

Les Shebab ne menacent pour l'instant pas directement toute l'Afrique ou des pays non africains, mais surtout le Kenya et les forces africaines basées en Somalie. Avec cette attaque toutefois, l'ensemble du continent prend encore plus conscience de la diversité de ses points de vulnérabilité. Ces vulnérabilités ne sont pas seulement économiques ou sociales, elles sont aussi de nature sécuritaire et terroriste. Le terrorisme sous les formes qu'expérimentent le Kenya, le Nigeria ou le Mali en rajoute à une forme de "terrorisme économique" qu'est la dépendance des pays africains vis-à-vis d'importations massives de biens, services et capitaux qui certes dans certains cas permettent aux populations locales d'économiser du pouvoir d'achat, mais qui fragilisent le patrimoine industriel, économique et financier du continent. Faire face aux défis terroristes n'engage pas un seul pays, mais nécessite une coopération régionale effective et la mobilisation de moyens aussi importants que ceux dont le continent a besoin pour son développement socioéconomique. Dans cette mondialisation où l'Afrique n'occupe pas les premiers rangs, bon nombre d'Africains ont le sentiment de subir les effets des différentes formes d'affrontements internationaux qui l'accompagnent, à l'instar sur le plan économique des impacts environnementaux et sociaux qui affecteront l'Afrique plus durement que d'autres via le changement climatique.

Dans le cas du terrorisme, le continent est pris en sandwich entre les idéologies concurrentes, démocratiques d'une part et fondamentalistes sur fond religieux d'autre part, et doit trouver les moyens endogènes d'organiser sa participation à cette mondialisation. Les enjeux de sécurité et de terrorisme deviennent en effet un enjeu à part entière du développement. La fragile Union africaine s'en est saisie depuis quelques années en structurant son dispositif de paix, sécurité et prévention des conflits, car il s'agit d'une question de vie ou de mort pour la plupart des États africains. Mais cette institution qui reste largement sous perfusion de financements étrangers gagnerait désormais à compter sur une contribution financière plus régulière de l'ensemble de ses États membres pour véritablement imaginer et construire avec eux et de manière inclusive un avenir moins incertain pour les peuples africains.

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