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Assez de plus : mieux, c’est mieux

En travaillant mieux, on se sent mieux, on est plus heureux et on vit mieux. Nos sociétés deviennent meilleures… et démocratiquement durables.
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Assez de PLUS : de toute cette production et cette consommation excessives, avec son gaspillage et son réchauffement néfastes. Toujours PLUS cause des problèmes pour nos entreprises, nos sociétés, notre planète et nous-mêmes. Nous pouvons faire mieux.

Lancer une entreprise Vous avez une idée intéressante et beaucoup d'énergie; vous lancez alors votre entreprise. Vous n'avez peut-être pas beaucoup d'argent, mais avec l'aide d'un banquier compréhensif, et de votre propre capital de sueur – ces journées de 15 heures –, vous réussissez! Vos clients sont ravis, vos employés sont impliqués, vous êtes heureux et l'économie en profite. Tout le monde y gagne.

Bon, vous avez peut-être fait cela pour gagner beaucoup d'argent, pour connaître la gloire ou pour éviter d'avoir à répondre à un patron. Toutefois, si vous êtes un véritable entrepreneur, votre motivation était plus profonde, vous désiriez bâtir quelque chose d'extraordinaire : une entreprise engagée avec son propre sens de la communauté, au-delà du leadership.

Tandis que l'entreprise croît, par contre, vous vous inquiétez. Et si vous vous faites frapper par un camion, si vous désirez prendre votre retraite sans changer de rythme de vie ou si vous avez envie de faire croître votre entreprise plus rapidement que ne le permettent les ressources dont vous disposez? Vos amis de la finance vous diront de lancer un PAPE, un premier appel public à l'épargne : encaissez ou obtenez de l'argent. Laissez les nouveaux actionnaires financer une croissance plus rapide. Ça semble intéressant, alors vous acceptez. C'est le moment décisif.

En prendre PLUS

Le premier signe de problème est de découvrir que, alors que vous en désiriez plus, le marché boursier entend en prendre PLUS. Le marché ne se préoccupe pas de vos idées, de vos clients ou de vos travailleurs, sauf comme un moyen d'arriver à une croissance inexorable et unidimensionnelle de la « valeur actionnariale ». Vous comprenez que cela n'a rien à voir avec de bonnes valeurs, y compris les vôtres. Vous dirigez dorénavant une société cotée en bourse et vous devez satisfaire l'appétit insatiable du monstre*.

De ce fait, une nouvelle sensibilité s'installe au sein de votre entreprise, supplantant son sens de la communauté. Les analystes de marchés analysent, les spéculateurs à très court terme spéculent, les requins de la finance rôdent, le marché boursier est insatiable... il exige un rapport de rendement tous les trois mois! Comment diriger une entreprise dans ces conditions? Le PAPE en valait-il la peine?

Il est toutefois trop tard. De toute façon, votre entreprise connaît une meilleure croissance, même si celle-ci s'accompagne d'une forte pression. Finalement, vous vous retrouvez à court de clients habituels puisqu'il est difficile de trouver de nouveaux clients avec de vieilles idées, ou de nouvelles idées avec cette nouvelle valeur. La question déterminante est donc de savoir « comment en faire PLUS, alors qu'il n'y en a pas plus, du moins pas dans le même sens que votre entreprise d'origine? »

Piller l'entreprise

Les réponses ne sont que trop évidentes : il suffit d'examiner d'autres PAPE. (1) Exploiter les clients actuels. Embobiner les clients avec une stratégie de prix est une bonne idée; ils n'y verront que du feu. Ou encore amoindrir la qualité : obtenir PLUS en offrant moins. Il est également possible d'exiger des frais de service excessifs pour les produits avec lesquels vos clients sont pris. (2) Il existe une autre bonne vieille idée pour attirer de nouveaux clients : dénigrer la marque. Vendez à ceux qui refusaient de payer pour ce produit de haute qualité dont vous étiez si fier. Autrement dit, touchez votre héritage, sans tarder! (3) S'il est impossible d'augmenter les revenus, il est possible de couper dans les dépenses : coupez dans l'entretien, dans la recherche, dans tout ce qui est caché, sauf dans les bonus de la direction. (4) N'oubliez surtout pas de tirer le maximum des employés, en ayant des travailleurs sous contrat à court terme, à salaire inférieur et sans avantages sociaux. Mieux encore, congédiez-les tous et transférez la production à l'étranger. (5) Puis, quand toutes les autres tentatives auront échoué, diversifiez-vous. Embarquez-vous dans toutes sortes de nouvelles entreprises auxquelles vous ne comprenez rien. Peu importe. Vous êtes maintenant important, et vous avez de l'argent à gaspiller.

Piller la société et soi-même

Votre entreprise est devenue une multinationale, sans compte à rendre à qui que ce soit, surtout pas dans votre pays, où vous ne payez plus d'impôts de toute façon. Alors, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout, pour ainsi dire? Bien faire de mauvaises façons. (6) Soyez de connivence avec vos concurrents pour établir un cartel. Mieux encore, rachetez-les tous, au nom de la concurrence. (7) Puis, au nom de la libre entreprise, exercez des pressions auprès des gouvernements du monde entier pour obtenir des subventions pour votre industrie et pour vous débarrasser des règlements ennuyeux. En cas de faillite éventuelle, ce qui arrive parfois aux entreprises profiteuses, ne craignez rien : vous êtes devenu « trop important pour échouer ». Grâce à vos contributions politiques, le gouvernement que vous avez trahi vous sauvera, en faisant porter le fardeau de votre échec à toute la société. (Les économistes, dans la foulée de ces magouilles, appellent cela des « coûts sociaux »!)

Un jour, pourtant, vous vous rendez compte que vous vous détruisez vous-même.

Un jour, pourtant, vous vous rendez compte que vous vous détruisez vous-même. « Suis-je responsable de cette situation, à cause de mon PAPE? J'adorais mon entreprise. Nous prenions plaisir à servir les clients que nous nous efforcions de fidéliser. J'étais fier de notre entreprise, de nos produits et de notre communauté. Aujourd'hui, les clients m'envoient des courriels déplaisants et les employés me dévisagent quand je les croise (ce qui n'est pas fréquent). Pourquoi ai-je touché mon héritage? Pour accumuler tout cet argent que je ne peux dépenser? »

Imaginez un pays où ces entreprises sont légion, ou encore une planète tout entière. Nous y sommes presque. En accaparant les ressources qui pourraient être recyclées pour bâtir des nouvelles entreprises dynamiques, ces entreprises perturbent nos économies et démoralisent nos sociétés. (Pourquoi ne décèdent-elles pas d'un AVC soudain, plutôt que de mourir à petit feu d'un cancer organisationnel?) En dressant les pays les uns contre les autres, ces entreprises minent nos démocraties. Et en encourageant sans cesse la production et la consommation, elles nuisent à la planète. Ce n'est pas le cas de toutes les entreprises, mais de trop d'entre elles. Combien pouvons-nous endurer de PLUS?

Les entreprises unidimensionnelles, comme les personnes unidimensionnelles, sont pathologiques : il s'agit d'une espèce envahissante qui n'a pas sa place dans une société saine. Edward Abbey l'a bien dit en 1975 : « La croissance pour la croissance est l'idéologie de la cellule cancéreuse. » Pourquoi bâtir des entreprises engagées pour jeter l'engagement par-dessus bord?

Tendre vers mieux

Revoyons cette décision fatidique de lancer un PAPE. En lançant votre entreprise, vous étiez un véritable meneur. Pourquoi devenir un suiveur en lançant un autre PAPE? Voulez-vous vraiment être redevable envers le marché boursier? Il y a de meilleures façons de financer une entreprise. (a) Trouvez un capital patient et décent qui vous permettra de croître de façon responsable et durable. (b) Ou encore, lancez un PAPE qui tiendra les analystes à distance en émettant deux options d'actions, comme l'ont fait Tata en Inde et Novo Nordisk au Danemark, alors que des fiducies familiales contrôlent une majorité des actions avec droit de vote. (c) Songez à convertir l'entreprise en société à but lucratif, en vous engageant, juridiquement ou volontairement, à respecter les besoins sociaux et environnementaux. Mon propre éditeur, Berrett-Koehler, qui est rentable au sein d'une industrie en difficulté, a choisi l'option juridique de la société à but lucratif. Berrett-Koehler a également offert ses actions directement à ses propres auteurs ainsi qu'à d'autres actionnaires. (Révélation : je suis en partie propriétaire de mon éditeur!) (d) Cela permet d'envisager une autre option, le sociofinancement, alors que beaucoup de gens achètent une petite part de la propriété.

Pour les nouvelles entreprises : (e) Comptez sur du financement par prêts et par bénéfices non répartis, surtout si vous n'avez pas besoin d'un investissement important. Cela s'accompagnera de capital de sueur, le véritable investissement des entreprises entrepreneuriales. (f) Et si vous lanciez l'entreprise comme une coopérative, alors que les actions sont détenues par les clients (comme une banque de coopérative de crédit), ou par les fournisseurs (comme une coopérative d'agriculteurs) ou par les travailleurs (comme c'est le cas de la Corporation Mondragon, du Pays basque en Espagne, fondée en 1955 et qui compte maintenant 74 000 travailleurs répartis dans 268 entreprises et qui enregistre des ventes de 12 milliards d'euros). Soit dit en passant, on compte aux États-Unis plus de membres de coopératives que de personnes. (g) Voici une idée qui peut sembler farfelue : donner votre entreprise actuelle aux employés, à ces personnes qui ont l'entreprise à cœur, contrairement aux spéculateurs à qui elle appartient. Est-ce si farfelu de porter ce genre d'héritage à la tombe plutôt que de détruire ce qui vous avez bâti avec tant de soin? Voilà ce qu'a fait le John Lewis Partnership au Royaume-Uni en 1950. Depuis, alors que de nombreuses chaînes de grands magasins et d'épiceries ont vu le jour et ont disparu, cette rentable entreprise de renom perdure, avec ses 84 000 « partenaires ». Le nom de « John Lewis » serait-il si connu des Britanniques si la famille avait plutôt opté pour un PAPE? (h) Pour aller un peu plus loin, on peut se débarrasser complètement de la propriété et créer une entreprise sociale, une entreprise configurée comme une fiducie dont personne n'est propriétaire. Il suffit de regarder autour de nous, elles prolifèrent. Songez aux YMCA. En fait, bien des ONG exercent des activités commerciales en même temps que leurs activités sociales importantes, afin de les soutenir. La Croix-Rouge, entre autres, vend des cours de natation.

Une société saine est soutenue par une économie diversifiée et responsable, et non pas menée par la force mercenaire d'une croissance unidimensionnelle.

Mieux, c'est mieux Les économistes affirment que PLUS est la voie de l'avenir. C'est n'importe quoi. On fait plutôt marche arrière, tant sur le plan économique que social. Il n'est pas nécessaire de détruire notre progéniture et notre planète au nom d'un dogme absurde. Évidemment que nous avons besoin de développement et d'emploi, mais d'un développement responsable avec une croissance vigoureuse de l'emploi. Une société saine est soutenue par une économie diversifiée et responsable, et non pas menée par la force mercenaire d'une croissance unidimensionnelle. Les marchés boursiers ont causé assez de dégâts.

Les peuples appauvris du monde entier ont besoin de beaucoup plus : plus de nourriture, plus d'emploi, plus d'hébergement, plus de sécurité. Ce dont ils n'ont pas besoin, c'est de ce PLUS qui dévalorise les pays apparemment développés. Quand pourrons-nous tous, dans ces deux mondes, vivre de façon honorable et entière? À quoi sert le développement après tout?

En travaillant mieux, on se sent mieux, on est plus heureux et on vit mieux. Nos sociétés deviennent meilleures... et démocratiquement durables.

Nous aurions tout intérêt à changer notre économie, à passer du PLUS au mieux. Alors que PLUS tient de la quantité, mieux est une question de qualité. Le mieux nous élève plutôt que de nous traîner dans la boue. Il est possible d'investir nos efforts et nos ressources dans des produits durables, des aliments sains, des services personnalisés et une éducation adéquatement financée. Plutôt que de réduire le taux d'emploi, un changement pour le mieux peut l'améliorer, avec des emplois mieux rémunérés dans des entreprises plus saines. En travaillant mieux, on se sent mieux, on est plus heureux et on vit mieux. Nos sociétés deviennent meilleures... et démocratiquement durables.

Imaginez un monde qui va de mieux en mieux, plutôt que de toujours chercher à en avoir PLUS.

*En mars 2015, un pilote perturbé a lancé un avion de la Germanwings contre la paroi d'une montagne, tuant 150 personnes. À peine plus d'un mois plus tard, un article du New York Times rapportait qu'à l'occasion d'une assemblée générale des actionnaires, « alors que Lufthansa était aux prises avec des problèmes commerciaux pressants... plusieurs actionnaires ont manifesté des inquiétudes portant que la tragédie de la Germanwings risquait de compromettre les efforts de redressement de la direction ». Un gestionnaire de portefeuille a affirmé que la direction de Lufthansa « devra revenir à la réalité ». Le meurtre de 150 personnes semblait représenter une distraction; la réalité, c'était de revenir à la gestion de la « valeur actionnariale ».

Avril 2018

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