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Institution de financement du développement: une conjoncture défavorable?

Si le Canada crée une IFD, comment saurons-nous si notre argent va aux entreprises et aux secteurs qui ont le moins accès aux marchés des capitaux privés?
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Au cours des derniers mois, il a beaucoup été question de l'établissement d'une institution de financement du développement (IFD) par le gouvernement du Canada. Des organismes tels qu'Ingénieurs sans frontières méritent nos félicitations pour avoir lancé une conversation importante sur l'avenir de l'aide canadienne au développement, du point de vue de la création d'une IFD. Et il semblerait que le gouvernement du Canada soit impatient de donner suite à l'idée. Dans une allocution prononcée lors d'une conférence d'Ingénieurs sans frontières, en janvier, le ministre du Développement international, Christian Paradis, a déclaré : « Je crois fermement que d'établir (une institution de financement du développement) comblerait un important manque dans notre coffre à outils de développement ».

Les IFD ont indéniablement le potentiel de favoriser le développement. Mais combleraient-elles vraiment un important manque dans le coffre à outils du Canada en matière de développement? Et est-ce le bon moment et le bon gouvernement pour lancer un tel projet? Je n'en suis toujours pas convaincue.

Les tenants de l'idée disent qu'une institution de financement du développement peut jouer un rôle clé dans la « catégorie intermédiaire » de l'aide au développement. En théorie, les IFD offrent, dans les pays en développement, des prêts garantis par l'État à des entreprises et des entrepreneurs qui, autrement, n'auraient accès à aucun capital d'investissement. Cette pratique devrait permettre le développement d'un solide secteur privé qui crée des emplois et élargit l'assiette fiscale. L'aide à ces marchés à risque élevé peut ensuite attirer d'autres investissements du secteur privé, et stimuler davantage la croissance économique dans les pays en développement. Les IFD sont conçues pour être autosuffisantes, réinvestissant le rendement des prêts dans d'autres projets de développement.

Il y a toutefois lieu de se méfier. Selon plusieurs études d'Eurodad (réseau européen de la dette et du développement), les modèles d'IFD employés aujourd'hui par d'autres pays ont montré d'importantes lacunes. Une grande partie des investissements des IFD, environ 50 % en 2010, est allée au secteur financier, qui connait mal les problèmes de développement locaux, contrairement aux organisations sur place. En utilisant le secteur financier comme intermédiaire du financement des IFD, il devient pratiquement impossible d'assurer la transparence et l'efficacité de la répartition des fonds aux personnes qui en ont besoin. Plutôt que de favoriser l'investissement dans des marchés qui ont cruellement besoin de fonds, le financement des IFD est acheminé aux industries qui offrent de moindres risques et des rendements plus sûrs. Cette primauté de la rentabilité par rapport au développement est tout à fait contraire au principe de financement du développement. Des indices montrent aussi qu'une partie importante des entreprises qui reçoivent des fonds des IFD sont basées dans des paradis fiscaux, ce qui signifie que l'avantage prévu en matière de recettes fiscales est perdu.

Ces écueils peuvent tous être facilement évités, pourvu que notre IFD soit planifiée avec rigueur et mise en œuvre de façon responsable. Malheureusement, les néo-démocrates ont de sérieux doutes sur la capacité du gouvernement conservateur à faire l'un ou l'autre. Ces doutes doivent être dissipés avant que nous puissions appuyer l'attribution de fonds, qui sont de plus en plus rares, à un nouveau mécanisme ou institution d'aide au développement.

Nous devons vérifier qu'une IFD canadienne respectera les principes fondamentaux de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle (LRADO). Ces principes fondamentaux que sont la réduction de la pauvreté, la propriété locale et le respect des droits de la personne ont été systématiquement bafoués par le gouvernement conservateur par le passé (comme en témoigne le vérificateur général dans son rapport de 2013 sur l'APD du Canada à l'égard des organisations multilatérales). Une IFD canadienne doit mettre l'accent sur la réduction de la pauvreté plutôt que de servir de cheval de Troie aux intérêts commerciaux.

Le gouvernement doit aussi clairement indiquer la provenance du capital de lancement. S'agira-t-il de nouveaux fonds ou de fonds provenant du budget de l'APD, qui a déjà été réduit tant officiellement qu'en catimini? Pendant trop longtemps les gouvernements libéraux et conservateurs ont promis d'augmenter l'aide canadienne au développement international, sans donner suite à leurs promesses. En fait, sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien, l'APD du Canada est passée de 0,49 % en 1991-1992 à 0,25 % en 2000-2001. Sous les conservateurs, le ratio APD/RNB du Canada passera sous les 0,24 % en 2015, ce qui signifie que le Canada se classera parmi les pires pays donateurs. Dans ce contexte, il est essentiel que nos fonds d'aide au développement (de plus en plus rares) soient dépensés judicieusement et de manière à en optimiser l'effet. L'établissement d'une IFD est-il justifié alors que l'APD du Canada subit d'importantes réductions?

En outre, comment l'effet sur le développement sera-t-il mesuré? Qui décidera où et comment les fonds seront investis? Et comment être certain que les fonds d'une IFD correspondront aux priorités d'investissement des pays en développement?

Si le Canada crée une IFD, comment saurons-nous si notre argent va aux entreprises et aux secteurs qui ont le moins accès aux marchés des capitaux privés? Des mesures de contrôle rigoureuses doivent être mises en place. Compte tenu du bilan scandaleux des conservateurs relativement au Programme de coopération industrielle de l'ACDI, nous doutons grandement de leur capacité à assurer un tel niveau de transparence.

Le rôle du Canada en matière de développement international a été gravement diminué sous le gouvernement en place. En théorie, une IFD pourrait être utile pour exploiter notre capacité en matière de développement et optimiser l'effet de nos fonds d'APD. En pratique, cependant, et sous les conservateurs plus particulièrement, rien ne garantit qu'il en sera ainsi. La conjoncture n'est peut-être pas favorable.

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Mai 2017

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