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Réflexion sur la profession infirmière d'une jeune retraitée

Soutenir les personnes qui donnent les soins devrait être une préoccupation constante pour ceux qui ont à cœur le bien des patients.
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Je suis devenue infirmière en 1983. J'ai commencé ma carrière en centre hospitalier. Puis pendant plusieurs années, j'ai travaillé en milieu communautaire. À l'automne 2000, je suis devenue enseignante en soins infirmiers, au niveau collégial. Le 23 janvier dernier, j'ai pris ma retraite. Très peu de temps après, par un curieux hasard, le fil des événements a amené la situation des infirmières au premier plan de l'actualité québécoise, aussi bien dans les médias sociaux que traditionnels.

Le début d'une retraite amène naturellement à faire le bilan des années passées sur le marché du travail. Pour moi, cette réflexion personnelle se double d'une réflexion sur la profession infirmière au Québec, particulièrement sur les conditions de travail dans lesquelles elle s'exerce.

Je constate leur désir de préserver par-dessus tout la qualité des soins aux patients, et je suis fière de les entendre proclamer, malgré tout, leur amour de la profession.

Les dénonciations faites par des infirmières à ce sujet me touchent de plusieurs façons. Je salue le courage de celles et ceux qui parlent et font connaître au grand public ce qui se passe dans les établissements de santé. Je constate leur désir de préserver par-dessus tout la qualité des soins aux patients, et je suis fière de les entendre proclamer, malgré tout, leur amour de la profession.

Bien que ce qui se dit actuellement sur la profession ne soit pas une surprise pour moi, une question me revient sans cesse : comment cela est-il possible ? Ce que j'entends et que je lis dans les médias, je l'ai lu et entendu tant de fois dans ma carrière. L'exaspération qui amène ces infirmières à parler, à dénoncer, elle n'est pas nouvelle. La surcharge de travail, le temps supplémentaire obligatoire, cela n'a rien de nouveau. Écouter une infirmière dire qu'elle exerce la plus belle profession du monde, mais qu'elle doit le faire dans des conditions plus que pénibles, c'est peut-être nouveau pour certaines personnes, mais pas pour moi.

Pour qu'elles aient choisi délibérément à deux reprises de briser le respect des lois, c'est que leur situation était insoutenable.

Deux fois au cours de ma carrière, en 1989 et en 1999, les infirmières du Québec, poussées à bout, ont fait une grève illégale. Pour qu'elles aient choisi délibérément à deux reprises de briser le respect des lois, c'est que leur situation était insoutenable. Il y a eu des lois spéciales; des sanctions furent imposées au syndicat et aux grévistes. J'en faisais partie. Mais le plus important, c'est que les infirmières avaient parlé. On aurait pu penser que ces actions des infirmières auraient mené à une amélioration de leurs conditions de travail.

Comment se fait-il que j'aie une telle impression de déjà vu ? Comment est-il possible qu'après presque 30 ans, il y ait une vague de dénonciations qui porte, non sur des situations nouvelles, mais bien sur une dégradation de conditions qui sont toujours restées pénibles ? J'ai l'impression de vivre un très désagréable retour dans le temps. Je me balance entre un grand respect pour mes plus jeunes collègues qui ont décidé de se tenir debout, et un découragement au moins aussi grand.

Toutes ces années ont passé et il semble que personne n'ait trouvé un moyen décent et sensé de gérer l'organisation du travail dans les établissements de santé, du moins dans de nombreux endroits. Pourtant, il existe d'autres modèles de gestion des ressources humaines que le recours aux agences privées et au temps supplémentaire obligatoire. Certains centres ont trouvé des façons de fonctionner plus souples, plus humaines. Soutenir les personnes qui donnent les soins devrait être une préoccupation constante pour ceux qui ont à cœur le bien des patients.

Soutenir les personnes qui donnent les soins devrait être une préoccupation constante pour ceux qui ont à cœur le bien des patients.

À un autre niveau, j'ai aussi eu l'impression de revenir au passé, et même à un passé très ancien, lorsque j'ai écouté les réponses de messieurs Couillard et Barette aux déclarations des infirmières. J'ai cru entendre un discours tout droit sorti du début du 20 siècle, ou même d'avant, d'une époque où les infirmières étaient « admirables » par leur dévouement et leur abnégation (mais ne pouvaient espérer obtenir autre chose que de l'admiration), d'une époque où une bonne infirmière était celle qui se taisait et travaillait fort. J'ai cru entendre une version infirmière du « Sois belle et tais-toi. » Sommes-nous en 2018 pour tout le monde ?

Monsieur Barette a rencontré la présidente de la FIQ, madame Nancy Bédard. Il semble que ce fut positif. Une autre rencontre est prévue. Tout cela portera-t-il fruit ? Ce qui m'inquiète, c'est l'illusion que le grand public pourrait avoir que la situation est réglée. Les infirmières ont en général l'appui de la population. Mais on peut penser que son attention sera bientôt détournée vers le prochain sujet à occuper le premier plan de l'actualité. Les partis d'opposition, qui présentement talonnent le gouvernement sur ce sujet, choisiront-ils un autre cheval de bataille ? Les médias parleront-ils des travaux sur l'établissement des ratios infirmières/patients et de leurs résultats ? Verrons-nous des reportages sur l'amélioration, ou non, des conditions d'exercice de la profession infirmière ? L'intérêt que suscite présentement la situation des infirmières pourrait retomber aussi vite qu'il est apparu. Ce ne serait pas la première fois.

Les infirmières sont les professionnelles les plus nombreuses du système de santé. Depuis des années, elles dénoncent les conditions dans lesquelles elles doivent donner des soins. Il est arrivé à quelques reprises que ces dénonciations touchent l'opinion publique et fassent la une des médias. C'est le cas actuellement. Mon plus grand souhait, c'est que cette fois soit la bonne. Les infirmières du Québec ont assez attendu. Leurs patients aussi.

Avril 2018

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