Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La machine à suicide

C'est absurde! Je me suis épuisée à demander de l'aide et j'ai fini par demander de l'aide parce que je n'avais pas d'aide.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Juin 2014. Mon conjoint et moi nous présentons à l'urgence sociale du CLSC. Notre plus vieux, Pascal 3 ans, nous donne du fil à retordre. Un spectre se profile. Nous avons encore du mal à le cerner. Se pourrait-il que notre garçon soit autiste?

Juillet 2014. Rendez-vous avec notre médecin de famille. Le docteur recommande une consultation en pédopsychiatrie. Retour au CLSC. Nous rencontrerons une psychologue, et elle déterminera si Pascal sera évalué par un pédopsychiatre. Je me renseigne davantage au sujet de l'autisme, bien que je lise depuis des mois, à en avoir la cervelle en bouillie.

Août 2014. La psychologue, au retour de ses vacances, nous rencontre enfin. Je lui expose ma théorie. Beaucoup de verbiage. Les siestes, les sourires, le retard de langage. Pointait-il? À quel âge s'est-il assis? Pendant ce temps, mon fils, ce fils que je ne comprends pas depuis sa naissance, n'a toujours pas l'aide dont il a besoin. Il y a bien l'orthophoniste de ce même CLSC, devant laquelle je mentionne le mot autisme, mais elle répond en souriant : « Je ne vois pas ça du tout! »

Septembre 2014. Cul-de-sac. Notre demande d'évaluation en pédopsychiatrie a été bloquée. Ni l'orthophoniste ni la psychologue ne voient ce que nous leur décrivons. D'ailleurs, personne ne semble observer ce que j'observe. Ni ma famille ni les intervenants. Même mon conjoint, parfois, semble sceptique. Retour au CLSC. Je demande à la travailleuse sociale s'il est possible d'obtenir l'aide d'un éducateur spécialisé. Mais la liste d'attente est longue. La T.S. nous inscrit, mon conjoint et moi, à un cours de 10 semaines, dont le but est d'outiller et de soutenir les parents d'enfants ayant des problèmes de comportement. Rien à voir avec l'autisme.

Octobre et novembre 2014. Les cours vont bon train. Nous y allons d'abord à reculons, mais le soutien moral du groupe s'avère bénéfique. On nous propose quelques solutions concrètes pour résoudre certains conflits. Une aide, oui, mais pas adaptée. Et insuffisante.

Décembre 2014. Je ne prononce plus le mot autisme. J'ai l'impression d'être perçue comme une mère anxieuse qui trouve des diagnostics à son fils sur le Web. Pour mon entourage, ça semble être un dossier clos. Pas pour moi. Pascal a terminé ses séances d'orthophonie offertes par le CLSC. Il accuse encore un léger retard. Son dossier est transféré à l'hôpital. Il recevra de l'aide, quand ce sera son tour, au bout de la longue liste d'attente, qui s'éternise à cause des priorités.

Janvier 2015. En juin 2014, nous avions demandé de l'aide parce que Pascal était agressif et violent, qu'il n'était toujours pas propre et qu'il avait des problèmes d'endormissement et de sommeil. Six mois plus tard, j'avais l'impression d'être passée par Sept-Îles pour aller à Montréal, mais en partant de Matane, sans prendre le traversier, évidemment. J'avais eu l'occasion de consolider ma relation avec mes enfants, de me perdre dans un verbiage souvent répétitif, mais mon fils, qui aurait bientôt 4 ans, ne demandait pas à aller aux toilettes, ne demandait pas d'aide, n'arrivait pas à s'habiller seul, ne comprenait pas bien les consignes, accusait un retard de langage, ne tenait pas convenablement son crayon, n'arrivait pas à donner des coups de ciseaux, ne faisait que des gribouillis. J'appelle donc la T.S. Ce n'est plus la même. Encore du verbiage. Et là, dans ce flot de paroles, elle prononce le mot autisme. « Ça vaudrait la peine qu'il voie un pédopsychiatre. » « Mais la demande a été bloquée. » « On pourrait faire évaluer votre fils par une éducatrice, et cette évaluation pourrait conduire votre Pascal chez le pédopsychiatre... » Les démarches des derniers mois m'ont épuisée, mais j'accepte sa proposition.

Février 2015. Pascal est enfin propre. Il a encore des ratés lorsqu'il est trop anxieux. Il est de plus en plus violent. Les problèmes de sommeil empirent. La T.S. nous propose de nous fixer des objectifs afin d'offrir un milieu sain à Pascal et à son petit frère Francis, qu'on a si souvent tendance à oublier dans le coin parce qu'il est si gentil, si drôle, si fin, si... normal. L'éducatrice rencontre mon plus vieux. J'évite de prononcer le mot autisme. Mais je continue de lire sur le sujet. Plus les jours passent, plus ça crève les yeux. Comportements et langage stéréotypés. Trouble de sommeil. Rigidité. Hyper et hyposensibilités. Mémoire phénoménale. Intérêts restreints. L'orthophoniste de l'hôpital m'appelle. Pascal sera évalué. Je me contente d'évoquer mes suspicions en utilisant un vocabulaire éloquent, qui crie TSA (trouble du spectre de l'autisme).

Mars 2015. L'éducatrice arrive à la conclusion que notre fils a besoin d'aide pour visser un bouchon et apprendre à se tenir sur un pied. « Madame, vous crevez de faim, alors on va vous offrir une jolie coutellerie en argent qui va au lave-vaisselle. » Je demande à la T.S. si mon fils sera finalement vu par un pédopsychiatre ; elle me répond qu'il n'en a jamais été question. « Vous avez dû mal comprendre, Madame... » Plus de 200 jours d'attente. Des semaines à demander, à attendre, à espérer de l'aide, qui ne vient toujours pas. Je m'effondre. Comme un milieu de lac gelé qui cale ; je craque. Mes jambes lâchent. Je tombe tout d'un coup. La mère de mon conjoint me dit : « Demande de l'aide ! » « Mais c'est ce que je fais ! » J'appelle Autisme Québec, en larmes, en cris, en crise, en morve et en morceaux. « C'est triste, je ne devrais pas vous dire ça, mais allez au privé. » 1 800-Papa. 1 800 Beau-Papa. Tout ce que je pourrai ramasser.

Avril 2015. Rendez-vous avec une neuropsychologue au privé. Ça ne lui prend pas une heure pour nous dire qu'avec tout ce que nous avons remarqué, ça vaut la peine d'évaluer Pascal. Après quelques rencontres, elle me dit : « Vous n'étiez pas dans le champ. »

Juin 2015. Le 5, un an après le début de nos démarches, nous recevons le diagnostic provisoire. TSA. Pour ma part, le deuil de l'enfant normal est déjà entamé. Juste ça, il me semble que ça suffit. Mais ajoutez à cela l'impuissance parentale. L'impuissance face au système. Nous n'avons pas les moyens de payer les spécialistes dont notre fils aurait besoin. Retour au public. Le 8, je téléphone pour entamer les démarches en vue d'obtenir des services. On doit me rappeler dans un délai de 24 à 72 heures. Une semaine après, je rappelle. Ils sont débordés, sont désolés, ont bien mes coordonnées, vont me rappeler. Ça ira finalement à la fin du mois de septembre. Je pleure tous les jours. Je suis dépassée. Je me décompose. Je me défais, m'use, vieillis. Et je dois continuer à m'occuper de mes 2 enfants, sans moyen. À gérer les crises, les morsures, les coups de pied. Je continue ma route avec mon fardeau. Rompue de fatigue. Je m'informe, cherche des solutions. Les idées suicidaires s'installent. Je fais des cauchemars. La possibilité d'un drame se transforme en certitude.

Juillet 2015. Toujours pas de nouvelles de notre demande de services. Le diagnostic provisoire doit être confirmé par un pédopsychiatre. Le 18, je demande à notre médecin de famille d'acheminer une demande au CLSC. J'écris au médecin. Relance le médecin. Grâce à la mélatonine, les problèmes de sommeil de Pascal sont réglés. Mais il est de plus en plus violent.

Août 2015. Rien. Que des appels pour recevoir, envoyer et signer des papiers. Ma mère tombe malade. J'en prends soin. On me trouve un nodule à la thyroïde. J'ai de violents maux de tête depuis des mois. Je prends des pilules, et d'autres pilules, et encore plus de pilules. Et d'autres pilules pour diminuer les effets secondaires des pilules que je prends. J'ai perdu le contrôle de ma vie. Je bougeais, je mangeais bien. Et là, je déambule au lieu de marcher d'un bon pas. Je ne fais plus mes exercices. Je prends du poids. Mon estime de moi diminue. Et mon sourire s'éteint.

Septembre 2015. Nous nous inscrivons à un groupe de support, au privé, animé par une psychoéducatrice. Étant donné que Pascal est en attente d'évaluation de services, il n'a pas droit aux séances d'orthophonie offertes par l'hôpital. L'orthophoniste accepte de me superviser afin que j'aide mon fils. Je fais ce que je peux. J'ai aussi des repas à préparer, des bobettes à laver et à plier. Des sous à gagner. Mon conjoint est aux études. Il travaille, fait des stages. Moi aussi, je travaille. Je reçois un appel pour l'évaluation des besoins de mon fils. Il est question d'un délai de 3 mois après la signature d'une lettre qui devrait m'être acheminée sous peu. Quand je la reçois, on m'avise qu'il est possible que ce soit encore plus long.

Octobre 2015. Je relance le médecin de famille pour la demande de consultation en pédopsychiatrie. Il ne me répond pas. J'ai déjà perdu 3 mois à attendre après lui. Un après-midi, mon conjoint se met à pleurer. Il vient de tomber au combat. Épuisement professionnel et parental. Ça lui prend un papier pour justifier son absence au travail. On oublie le médecin de famille. Plus de place au sans-rendez-vous. Des heures d'attente à l'hôpital. Nous retournons à l'urgence sociale, dans le même bureau qu'en juin 2014. C'est une autre T.S. La troisième depuis que nous avons entamé ces démarches. Nous redemandons de l'aide. Ménage, repas, gardiennage. Soutien moral. En fin de rencontre, elle me demande si j'ai des idées suicidaires. « Oui! » Elle m'invite à demander de l'aide si... Elle rit de moi ou quoi ? Les idées suicidaires, elles sont la conséquence de mes demandes répétées d'aide! Une aide que j'attends encore! Ça fait presque 18 mois que je demande de l'aide! Ergothérapie, orthophonie, pédopsychiatrie, éducateur, répit, soutien psychologique pour moi et mon conjoint...

C'est absurde! Je me suis épuisée à demander de l'aide et j'ai fini par demander de l'aide parce que je n'avais pas d'aide. Si on m'avait dit, en juin 2014 : « Madame, on ne vous aidera pas, on ne peut pas vous aider », j'aurais agi autrement. Je ne me serais pas perdue dans les dédales bureaucratiques du système. Je serais allée au privé tout de suite. Je n'aurais pas perdu autant de temps. Je n'aurais pas ressenti autant de colère. Et surtout, surtout, j'aurais évité de passer par la machine à suicide.

Êtes-vous dans une situation de crise? Besoin d'aide? Si vous êtes au Canada, trouvez des références web et des lignes téléphoniques ouvertes 24h par jour dans votre province en cliquant sur ce lien.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

1 enfant sur 50 est atteint d'autisme

Autisme: 10 faits saillants

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.