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Johnson & Johnson vient d'arrêter la mise sur le marché de son robot appelé Sedasys. Les anesthésistes n'ont pas vu d'un bon œil cet intrus.
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La firme américaine Johnson & Johnson, qui produit des appareils médicaux, vient d'arrêter la mise sur le marché de son robot de sédation anesthésique appelé Sedasys, pour des raisons purement commerciales et non pour des questions de sécurité.

La machine, qui a fonctionné dans plusieurs hôpitaux américains dont celui de Tucson, délivrait un produit anesthésique sous le contrôle des constantes biologiques classiques tels le rythme cardiaque et l'oxymétrie, comme dans toute anesthésie.

Mais les anesthésistes américains n'ont pas vu d'un bon œil cet intrus qui pouvait pourtant les aider à contrôler plusieurs endoscopies de dépistage du colon à la fois. Le prix modéré de 150 dollars pour la machine contre en moyenne 2 000 dollars pour le spécialiste en chair et en os a manifestement joué son rôle de détonateur.

La FDA (Food and Drug Administration), après un premier refus, avait pourtant accepté en 2013 que l'appareil soit mis en circulation pour des anesthésies chez de patients encore assez jeunes et en bon état général selon la classification ASA des anesthésistes. La levée de bouclier de la profession fut violente et massive. Mes confrères américains se sentirent menacés dans leur savoir, leur responsabilité et leurs revenus. Or, la machine était conçue pour optimiser la prestation, délivrant au fil de l'eau le produit selon des critères bien définis. Rien n'y fit et au pays des procès à tout va, les ventes du Sedasys ne décollèrent pas, d'où le retrait de la firme.

Cette triste histoire est emblématique d'une série de combats d'arrière-garde qui sera longue. Les médecins batailleront contre ces envahisseurs numériques silencieux, taillables et corvéables à merci. Depuis l'ordinateur capable de poser le bon diagnostic, jusqu'à proposer le meilleur traitement pour un patient donné, personnalisant d'autant l'indication thérapeutique grâce aux multiples données collectées pour un malade précis.

Il ne s'agit que d'un retour en 1812, quand les ouvriers tisserands du Lancashire se révoltèrent contre les premiers machines industrielles à tisser la laine et le coton. Révoltes dites des «Ludittes», en hommage à Captain Ludd, un artisan tisserand qui cassa à coups de masse deux machines à tisser en 1780.

Exactement deux siècles plus tard, nous revivons sur un mode plus soft ce refus d'embrasser la modernité, au nom, comme toujours, du risque de voir la machine tomber en panne ou se dérégler, mais surtout piquer le boulot. Les agrément plus éculés sont bons à clamer pour empêcher la diffusion des robots. Or, les accidents d'anesthésie sont, dans l'immense majorité des cas, secondaires à des erreurs ou à des fautes humaines, tout comme les accidents de chirurgie ou de transport aérien. Il est trop facile de crier au scandale en invoquant un risque aggravé de dangers potentiels quasiment jamais confirmés.

Les robots vont peu à peu remplacer nombre de métiers, ou à tout le moins permettre de diminuer notablement le nombre de spécialistes et de techniciens dans tous les domaines de l'activité humaine. En Europe, le cabinet Roland Berger table sur la perte de trois millions et demi d'emplois d'ici 2025, dont de nombreux cols blancs. Aux États-Unis, le cabinet Forrester annonce la perte de plus de 9 millions d'emplois (7 %) à la même échéance. Nous aurions tous intérêt a apprendre à travailler avec ces machines qui nous aideront. Ce qui arrive aux anesthésistes est en train de venir à grands pas pour les chirurgiens avec les télémanipulateurs, et demain les vrais robots qui opéreront seuls mais sous contrôle humain.

À terme, les anesthésistes, comme tous ceux qui s'opposeront à cette évolution, perdront la bataille, tant sur le plan de la sécurité que sur celui du coût des procédures.

Plus nous résisterons, plus le gâchis social sera lourd. Ce n'est pas demain qu'il faudra envisager des politiques adaptées à ces nouveautés, c'est aujourd'hui, tout de suite! Au lieu de refuser l'inévitable, accompagnons ces innovations pour le bien des malades.

Entendre les cris d'orfraie de détracteurs d'un tel progrès nous montre la difficulté qu'auront les responsables politiques à agir dans une société qui perd des emplois avant d'en créer peut-être moins que prévu. Transition délicate qui appelle dès maintenant à l'urgence de formations professionnalisantes au moyen d'écoles adaptées aux domaines du numérique, de la robotique et des aides mécaniques en tous genres, gisements de milliers d'emplois pour la bonne cause, au lieu de voir ces innombrables étudiants incapables de terminer leur cursus universitaire pour ne pas trouver d'emploi.

Nous aurons aussi à prévoir la création de milliers de métiers de relations pour compenser le manque d'empathie qui pourrait apparaître entre la machine et l'homme. Plus la technique sera à notre service, plus nous aurons besoin de nous retrouver en société. Changement considérable qui pose la question d'autres modes de redistribution de richesses. Quel candidat a la présidentielle se préoccupe vraiment de ce sujet essentiel?

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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