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Les paradis fiscaux et la menace à la démocratie moderne

Nous avons un système fiscal à deux vitesses où les mieux nantis et les grandes entreprises peuvent se soustraire à leurs obligations, pendant que la plupart d'entre nous ne le peuvent pas.
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«Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.» - Jean de La Fontaine

L'un des principes de base de toute démocratie moderne est l'égalité devant la loi. Ce principe s'applique aussi à la Loi sur l'impôt. Personne n'aime payer d'impôts. Il est souvent dit qu'il s'agit du prix à payer pour la civilisation. Après tout, les impôts aident à défrayer le coût de nos écoles, de nos routes, de notre système de santé et du filet de sécurité sociale qui aide à réduire les inégalités de revenu. Il faut toutefois dire que la pilule est plus facile à avaler lorsque tous et toutes paient leur juste part.

Il est de plus en plus clair qu'au Canada, et dans la plupart des pays industrialisés, plusieurs ne le font pas. Nous avons un système fiscal à deux vitesses où les mieux nantis et les grandes entreprises peuvent se soustraire à leurs obligations, pendant que la plupart d'entre nous ne le peuvent pas.

Dès 1992, le Vérificateur général du Canada avait souligné les dangers de cette situation injuste lorsqu'il a averti que «ces stratagèmes d'évitement fiscal ont aussi un effet défavorable sur l'équité et l'intégrité du régime fiscal et sur les attitudes envers l'observation spontanée de la loi. Habituellement, ce ne sont que les personnes qui ont les moyens de se payer des conseils coûteux qui ont accès à ces stratagèmes. Ceux qui n'en ont pas les moyens peuvent alors se voir refuser un traitement équitable ou impartial.»

Dans une longue réponse insensible de deux pages, le ministère des Finances a rejeté les recommandations du Vérificateur général et n'a même pas daigné répondre à la question de l'équité fiscale qui avait été soulevée.

Le Vérificateur général du Canada a aussi, dans plusieurs rapports publiés au cours des 25 dernières années, averti le gouvernement canadien que notre système fiscal se compare à une véritable passoire, particulièrement en ce qui a trait à l'usage des paradis fiscaux.

Les statistiques sont aujourd'hui renversantes

Selon Statistique Canada (2015), les Canadiens les mieux nantis et les grandes entreprises ont placé environ 200 milliards $ dans divers paradis fiscaux, ce qui leur épargne (et nous coûte) jusqu'à 8 milliards $ par année en revenus d'impôts.

Lorsque les mieux nantis tentent de frauder le fisc par des mécanismes douteux, on leur donne une deuxième chance.

L'investissement étranger direct (IÉD) du Canada dans la Barbade a augmenté de 56 milliards $ en 2011 à 80 milliards $ en 2015, ce qui représente plus que notre investissement étranger direct total en Asie et en Océanie (incluant la Chine, le Japon et l'Australie). La Barbade, un pays avec une population de la taille de la ville de Gatineau, est la troisième destination d'importance du Canada pour ses «investissements», derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

Dans les Îles Caïman, l'IÉD canadien est passé de 17 milliards $ en 2006 à 49 milliards $ en 2015, un montant qui est plus du double des investissements canadiens dans l'ensemble des autres pays du G7 (Allemagne, France, Italie et Japon), et ce, avec un pays dont la population ne compte que 58 000 habitants.

Il s'agit de fonds qui ont été déclarés, et donc abrités légalement parce que les lois fiscales sont rédigées et interprétées de façon à permettre à ceux qui les envoient offshore de s'en tirer avec un traitement préférentiel. Ces statistiques n'incluent même pas les revenus non déclarés qui sont cachés à des fins d'évasion fiscale.

Mais la légalité de cet état de fait n'implique pas sa moralité. Elle est légale parce que les parlementaires, à titre de législateurs, lui ont permis de prévaloir.

Les Canadiens sont de plus en plus exposés à cette réalité et des rapports réguliers confirment l'ampleur du problème. Au cours des huit dernières années, nous avons été témoins de scandales impliquant KPMG et l'Île de Man, les Panama Papers, le mécanisme d'évasion fiscale de la banque suisse UBS, l'affaire du Liechtenstein, la fuite du Luxembourg et bien d'autres.

Le mécanisme de la firme KMPG à l'Île de Man a, en particulier, démontré que lorsque les mieux nantis tentent de frauder le fisc par des mécanismes douteux, on leur donne une deuxième chance. Ils peuvent, selon un «programme de divulgation volontaire», avouer leur tricherie, après quoi il leur est demandé de rembourser les sommes dues à l'impôt, avec intérêt réduit et sans pénalité. D'un autre côté, les Canadiens ordinaires font, eux, l'objet de lourdes pénalités doublant ou triplant parfois les sommes dues, même en cas d'erreur de bonne foi.

Les Canadiens ont l'impression que le système est injuste et que les dés sont pipés. Ils veulent que tous et toutes paient leur juste part, et d'assurer que les Canadiens les mieux nantis ainsi que les grandes entreprises contribuent également aux coûts sociaux et aux investissements en infrastructures de ce pays. Ils ont raison.

Mais clairement, le système est brisé. Pourquoi ne le réparons-nous pas? Les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années ont montré très peu d'appétit à s'attaquer à la situation.

Dans les prochaines semaines, cette série de textes démontrera sans ambiguïté que les demi-mesures, les assurances du ministre et les mesures de réinvestissement annoncées ne peuvent fonctionner, et ne fonctionneront pas.

La nature du problème est systémique

Pour freiner l'évasion fiscale, la planification fiscale abusive, l'attitude deux poids deux mesures et la culture du secret, nous devons réformer le système au Canada et sur la scène internationale. Il y a un grand consensus au Canada sur le besoin d'attaquer ce problème de front. Il n'y a aucune excuse de ne pas le faire.

Ce billet de blogue est le premier d'une série de six sur le Canada et la question des paradis fiscaux. Le prochain texte: KPMG, l'Île de Man et l'impuissance du Parlement

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