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Lapidation en Afghanistan: le retour de la barbarie, vraiment?

M. le premier ministre, le Canadien en moi vous supplie d'utiliser tous vos pouvoirs et votre influence pour lancer un message clair au gouvernement de l'Afghanistan que la communauté internationale et le Canada - qui a participé à sa libération - n'accepteront pas le retour à des pratiques barbares de ce genre. Faites briller nos valeurs fondamentales au-delà de nos frontières.
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M. le premier ministre,

Je m'adresse à vous aujourd'hui sous votre statut de chef du gouvernement et représentant suprême du Canada à l'étranger.

Je me présente. Je suis étudiant en affaires publiques et relations internationales à l'Université Laval à Québec. Mes champs d'intérêt sont nombreux; le droit international, les dynamiques de conflits et le Moyen-Orient. D'ailleurs, je m'intéresse plus particulièrement à un pays que je trouve de loin des plus fascinants: l'Afghanistan.

Je veux souligner au passage que j'y ai été déployé avec les Forces canadiennes pour une période de huit mois en novembre 2012.

Hier matin j'ai eu le souffle coupé. J'apprenais, comme vous probablement, que le gouvernement afghan travaille sur un projet de loi de code pénal fondé sur la charia, ayant entre autres la lapidation comme finalité à une condamnation pour adultère.

Depuis mon retour d'Afghanistan et à titre d'étudiant universitaire, je m'efforce d'écrire un essai qui porte comme titre N'oublions pas l'Afghanistan. Mon objectif est de présenter ce pays de long et en large à la population, la communauté militaire et les politiciens. J'ai malheureusement dû suspendre l'écriture aujourd'hui, car je devrai probablement réécrire le chapitre 5 : «L'avenir au féminin». J'y traite de l'avancée marquante des droits des femmes depuis la chute des talibans avec une émancipation de ces dernières et le retrait de pratique archaïques comme la lapidation. L'organisme Oxfam se penchait d'ailleurs en 2011 sur les progrès institutionnels:

«L'accord de Bonn a mené à l'établissement du premier ministère de la Condition féminine (Ministry of Women's Affairs) et de la Commission afghane indépendante des Droits de l'Homme (Afghan Independent Human Rights Commission). En 2003, l'Afghanistan accède à la Convention sur l'Élimination de toute Forme de Discrimination envers les Femmes (Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women) sans contrainte. Largement remerciée pour faire campagne aux côtés des femmes afghanes, supportée par les alliées internationaux, la constitution de 2004 a garanti des droits importants pour les femmes incluant le droit à l'égalité devant la loi (Article 22), le droit à l'éducation (Article 43 et 44) et le droit au travail (Article 48). Le gouvernement a aussi développé un Plan d'Action nationale pour les Femmes (National Action Plan for Women) sur 10 ans, lancé en 2008.»

Un sondage auprès de 4700 femmes par Global Rights en 2008 a démontré que 87.2% des répondantes ont expérimenté au moins une fois dans leur vie des formes de violences physique, sexuelle, psychologique ou un mariage forcé. Pour la femme, vivre sous une telle législation est un calvaire. Les crimes d'honneur font partie des jugements les plus sévères et s'accompagnent des châtiments les plus extrêmes. Encore appliquées aujourd'hui dans les provinces rurales du pays, le pouvoir central doit mettre en priorité l'arrêt de ces pratiques. La communauté internationale, le Canada et les ONG doivent continuer à faire pression non seulement sur le pouvoir à Kaboul, mais sur les gouverneurs, les mullahs et les chefs de villages.

Vous savez probablement que le crime d'honneur tombe lorsqu'une femme devient indigne de sa famille et que cette dernière l'élimine.

Une autre atrocité de cette charia, cette future procédure pénale à l'étude, est la lapidation. Un supplice décrit par Djemila Benhabib dans son livre Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident (p98):

«L'accusé est solidement ligoté, enfoncé dans un trou, les yeux bandés, une portion du corps ensevelie. Le trou, comme un aimant, attire la pluie de pierres. Le bruit de leur percussion sur le visage se mêle aux cris sauvages des lanceurs. Le corps devient un amas élastique à perforer, la chair corrompue décline, la colonne vertébrale lâche, la tête se fragmente, le corps se tord, la respiration s'amenuise, le râle d'agonie se perd dans la poussière. Puis, plus rien. Plus un souffle. Plus rien du tout...»

Les hommes placés sous terre jusqu'à la taille et les femmes jusqu'aux épaules sont arrosés de jets de pierres jusqu'à leur mort.

En aout 2010, deux jeunes amoureux étaient lapidés dans la province de Kunduz pour avoir quitté respectivement leur fiancé et leur femme pour s'enfuir vivre un amour impossible. Les talibans étaient responsables de ce jugement. Amid Karzaï a répondu mollement à cette exécution en affirmant qu'il a «demandé aux forces de sécurité et à l'appareil judiciaire de faire les efforts nécessaires pour traduire les organisateurs de la lapidation devant la justice». Ce cas est le seul reporté par Amnesty International depuis le renversement des talibans en 2001.

«Cette lapidation a eu lieu deux jours après que la plus haute instance religieuse islamique en Afghanistan, le Conseil des oulémas, eut appelé le gouvernement à appliquer plus strictement les châtiments corporels prévus par la charia (droit musulman), cette mesure représentant une concession faite aux talibans dans le but de mettre fin à la guerre».

Une autre lapidation a eu lieu en octobre 2013 dans la province de Ghazni, alors qu'un poseur de bombe fut battu, trainé, fusillé et lapidé par une centaine de villageois après que ces derniers l'aient accusé, sans réel procès, d'avoir perpétré le meurtre de 18 personnes qui se dirigeaient vers un mariage le jour d'avant. On voyait à l'œuvre la justice barbare de la rue.

Cependant, ce n'est pas la rue qui dirige à Kaboul, c'est un gouvernement. Ce dernier doit forcer les autorités religieuses à condamner les cas de lapidation, d'amputation, de coups de fouet et de morts pour crimes d'honneur et non en faire un projet de loi! Il doit aussi dénoncer les accusations de crimes moraux et juger les vrais criminels - si tel est le cas - uniquement devant un tribunal civil et légal.

Nous avons reconnu le gouvernement de la République islamique de l'Afghanistan comme souverain et légitime. Toutefois, nous avons des devoirs selon tous les traités et accords signés avec les différents partis de la communauté internationale à défendre les droits de l'homme et condamner les atteintes à ces derniers. D'ailleurs, l'article 1 de la Charte des Nations-Unies nous invite à travailler vers le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous. Soyons clairs, les hommes sont aussi susceptibles d'être punis de cette façon, mais l'histoire nous démontre que c'est un sort privilégié chez les femmes, déjà vulnérables dans le pays.

En science sociale - vous avez étudié l'économie, vous savez -, nous avons comme mandat d'avoir un esprit empirique et objectif. Toutefois, hier matin, je n'ai pu que laisser les émotions prendre le dessus de mon corps. Par respect pour ces femmes et ces hommes, par respect pour nos soldats qui ont fait des sacrifices incroyables pour ne plus que ce genre d'atrocités se reproduisent, par respect pour tous les Canadiens qui ont contribué par milliards à la réforme de ce pays, je vous demande d'agir. Je vous exhorte de convaincre le parlement afghan sur la portée désastreuse d'un tel geste. Si l'ingérence vous fait peur, alors appliquez des sanctions, coupez le financement et écoutez toutes ces ONG qui crient à la catastrophe humaine que serait le retour de cette pratique. La Conférence de Tokyo en 2012 promettait des sommes titanesques à condition d'un avancement des droits de l'homme. Je crois fortement qu'il s'agit ici d'un recul majeur dans ces droits qui trouvent, rappelons-le, une place de choix dans une Charte enchâssée dans notre constitution nationale.

De plus, si l'État retrouve ces habitudes sauvages, nous aurons probablement droit à une nouvelle vague de réfugiés qui quitteront le pays pour échapper à nouveau à cette loi médiévale.

Le Canadien en moi vous supplie d'utiliser tous vos pouvoirs et votre influence pour lancer un message clair au gouvernement de l'Afghanistan que la communauté internationale et le Canada - qui a participé à sa libération - n'accepteront pas le retour à des pratiques barbares de ce genre. Faites briller nos valeurs fondamentales au-delà de nos frontières.

Merci.

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