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Conflit en Syrie: comment les Russes perçoivent-ils l'État islamique?

Les commentateurs multiplient les observations sur l'intervention russe en Syrie, mais ils ne nous éclairent pas sur la manière dont les chercheurs russes perçoivent la situation.
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Les commentateurs multiplient les commentaires sur l'intervention russe en Syrie, mais ils ne nous éclairent pas sur la manière dont les chercheurs russes perçoivent la situation. En nous appuyant sur les analyses de Russian Peacekeepers, un organisme privé faisant appel à des experts pour trouver des solutions aux problèmes de relations internationales, nous avons voulu présenter les analyses des chercheurs russes sur l'État islamique et la situation de crise en Syrie.

L'État islamique, "une des principales menaces pour la sécurité internationale"

L'organisation Russian Peacekeepers estime à une fourchette de 50.000 à 200.000 le nombre de combattants en Irak et en Syrie contrôlant une superficie de 90.000 km². Les estimations occidentales récentes tablent sur 30.000 combattants étrangers et 10 000 combattants sunnites, soit 40.000 combattants. Le chiffre de 200.000 combattants provient de Fouad Hussein, chef d'état-major du président du Kurdistan, M. Barzani (The Independent, novembre 2014). En réalité, les chiffres sont difficiles à connaître en raison des déplacements des unités, de la dispersion des troupes et surtout de l'hétérogénéité des combattants: volontaires étrangers, membres des tribus, déserteurs de l'armée syrienne ou irakienne, anciens membres des forces de sécurité de S. Hussein, enfants et adolescents enrôlés dans les troupes de l'État islamique comme gardes ou combattants.

Concernant la superficie du territoire contrôlé par l'État islamique (EI), les médias occidentaux avancent le chiffre de 300.000 km² qui est la superficie contrôlée par l'EI en comptant les déserts syrien et irakien. En comptant la surface réellement occupée, le chiffre de Russian Peackeepers est plus proche de la réalité. On est donc plus proche d'un territoire proche de la superficie de la Serbie que celle de l'Italie.

Les objectifs à long terme de l'EI seraient, selon Leonid Medvedko, docteur en histoire, spécialiste de l'Orient à l'Académie russe des sciences humaines, de créer un califat allant du Moyen-Orient au Maghreb, ce qui expliquerait les affiliations l'EI d'organisations islamistes de Tunisie, de Libye et d'Égypte devenus les émirats de ce califat. L'EI se veut aussi le bras armé d'une idéologie religieuse millénariste: il se considère comme l'avant-garde de "la bataille finale entre les forces du bien et du mal" qui lui permettra d'établir un califat islamique dans le monde entier et détruire Israël.

Comment expliquer l'apparition de l'EI?

Selon, l'historien Peter Akopov, éditorialiste au Vzglyad, il explique l'émergence d'un califat comme "une réponse aux États-Unis et à l'invasion de la région". Cette politique a conduit l'Occident à exacerber les conflits existants en voulant créer un processus de "refondation artificielle et fragile bouleversant ce Grand Moyen-Orient". Les opérations de l'OTAN en Irak et en Libye et le soutien à l'opposition jugée modérée en Syrie ont créé les conditions socio-économiques pour favoriser l'apparition et le développement de l'EI. Ce dernier se présente d'ailleurs comme une réponse arabe à ce néo-colonialisme occidental. Pour Peter Akopov, l'EI est "le plus grand défi lancé à la mondialisation mise en place par l'Occident et à l'Occident lui-même".

Quelles menaces immédiates fait planer l'EI?

Pour atteindre cet objectif, l'EI cherche à se renforcer en tant que centre politique, militaire et économique. Les objectifs immédiats de l'organisation sont de conquérir de nouveaux territoires pour saisir l'armement militaire et reconstituer son arsenal militaire, s'emparer d'entreprises et d'infrastructures économiques pour se renforcer sur le plan économique et financier, attirer des sympathisants de l'Occident, de la Russie et des pays d'Extrême-Orient pour augmenter ses effectifs militaires par une guerre de l'information, organiser des attentats des pays de la coalition et mettre en place de coopération avec les autres groupes terroristes islamistes en Afrique, au Caucase et en Asie.

Les limites de la stratégie occidentale en Syrie

Selon Russian Peacekeepers, Washington et l'Occident ont pris conscience de la gravité de la menace de l'EI pour le monde. Par conséquent, les États-Unis ont déclaré leur soutien à toutes les forces opposées à l'État islamique. Mais la coordination des efforts internationaux aurait échoué en raison des divergences entre les alliés des États-Unis dans la région que sont la Turquie, Israël, le Qatar et l'Arabie saoudite. En effet la Turquie instrumentalise le combat contre l'État islamique pour lutter contre le PKK en Irak et en Syrie. Elle n'empêche pas les volontaires de l'EI de passer par son territoire pour rejoindre la Syrie. Quant à l'Arabie saoudite et le Qatar, selon cette organisation russe, ils financeraient l'EI; de plus, certains Arabes ou Qataris occuperaient des postes de responsabilité au sein de l'État islamique. Les États-Unis sont également pris dans une contradiction: ils veulent l'affaiblissement de Bachar al-Assad tout en soutenant son opposition armée, ce qui bénéficie aux islamistes fondamentalistes que sont Al-Qaïda (le front Al-Nosra) et l'EI.

La stratégie de frappes aériennes menée par la coalition a montré ses limites. Selon les analyses de Semen Bagdasarov, directeur du centre des études du Moyen-Orient et de l'Asie centrale, les frappes aériennes n'ont pas atteint leurs objectifs, car les insurgés s'y sont adaptés. Ils ont dispersé leurs troupes et ne se rassemblent qu'au dernier moment pour livrer une offensive ponctuelle. Ils ont décentralisé et autonomisé les postes de commandement. L'EI répugne à utiliser les contacts par téléphone portable trop facile à intercepter. Ils camouflent leurs installations et créent des leurres pour les bombardements. De plus, les bombardements accentuent les masses de réfugiés qui fuient la Syrie et les pays voisins pour l'Europe.

La position de la Russie

En intervenant en Syrie, Moscou cherche à détruire le pouvoir de nuisance de l'EI qui recrute des combattants du Caucase et d'Asie centrale. Au Tadjikistan, il y aurait plus de 400 combattants de l'EI et plusieurs centaines de combattants dans le Caucase ont été formés en Syrie. Ce sont d'ailleurs pas moins de 2 400 Russes qui serviraient au sein de l'EI, selon le FSB. La stratégie de la Russie en luttant contre l'EI est destinée à contrer à la fois les menaces sur la sécurité intérieure de la Russie ("l'émirat du Caucase") et à empêcher la propagation de l'EI dans l'espace asiatique post-soviétique. Récemment, la ville de Kunduz a été prise par les Talibans, agglomération située à 50 km de la 201e base militaire russe au Tadjikistan.

Fort de son expérience pour résoudre les crises au Moyen-Orient (retrait des armes chimiques en Syrie, solution pour le nucléaire iranien), V. Poutine a déclaré, le 4 septembre 2015, vouloir travailler à former une coalition internationale contre le terrorisme. Selon le chercheur émérite à l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales, Viktor Nadein-Rajewski, la Russie qui ne souhaite pas envoyer de troupes sur le terrain cherche à coordonner les forces terrestres et à combler les lacunes de la coalition américaine. Les troupes au sol pourraient être le fait d'une alliance de l'armée syrienne de Bachar al-Assad, de l'Iran, de l'Irak, trois États qui ont décidé de coordonner leurs forces en créant un centre de renseignements à Bagdad. Un appui terrestre pourrait être également fourni par le Hezbollah chiite libanais, les Pasdarans iraniens et les Palestiniens du Fatah pour le camp de réfugiés palestiniens du Yarmouk dans la banlieue de Damas.

Un consensus pourrait peut-être être trouvé entre les États-Unis et la Russie, selon le chercheur en sciences politiques à l'École supérieure d'économie, Leonid Isaev, si les États-Unis s'engageaient à ne pas cibler les forces gouvernementales et la Russie, l'opposition dite modérée. Les deux pays pourraient alors s'unir pour cibler l'EI.

Après l'échec de la coalition dirigée par les Américains pour lutter contre l'EI, la Russie est entrée dans le chaos syrien en appuyant les seules forces du régime contre tous ceux qui pourraient l'affaiblir, comme l'Armée de la conquête (union d'Al-Nosra et de l'Armée syrienne libre) et l'EI. Tout le problème sera de savoir si les ouvertures que fera le régime de Bachar aux tribus sunnites syriennes qui viendraient à se retourner contre l'EI seront acceptées par celles-ci après quatre ans de guerre civile... Peut-on même croire qu'il sera possible de faire cohabiter à nouveau alaouites et sunnites en Syrie et sunnites et chiites en Irak au sein d'un même État? On peut en douter... Enfin, la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite vont-ils rester passifs face à cette intervention russe alors que celle-ci est en train de réduire à néant leur politique anti-Bachar? Le problème est donc moins l'intervention militaire russe que le plan politique que proposera la Russie pour reconfigurer le Moyen-Orient pour faire naître ou non un État arabe sunnite.

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