Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le problème de l'Écosse, c'est la globalisation, pas le Royaume-Uni

Face à ceux qui prétendent que le remède miracle aux problèmes passe par l'indépendance, démontrons que l'interdépendance est un concept plus audacieux, et que la solution passe avant tout par des idées ambitieuses.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

EDIMBOURG, Ecosse - Le référendum écossais a fait l'effet d'un tremblement de terre politique. Parce qu'il pourrait entraîner la disparition du Royaume-Uni, de nombreux observateurs se demandent ce qui est en train de se passer dans les pays développés industrialisés.

Qui plus est, sur le continent, la situation a changé. Après la montée en puissance, très médiatisée, des partis xénophobes et anti-immigration lors des dernières élections européennes, la résurgence de mouvements séparatistes bénéficiant d'appuis solides pose aujourd'hui une question existentielle. Il ne s'agit plus de savoir si l'Union européenne est capable de parvenir à une plus grande unité, mais si les 28 États qui la composent peuvent survivre à cette nouvelle dynamique.

Concrètement, la globalisation représente l'ouverture à des réseaux mondiaux d'approvisionnement en biens et en services. Elle s'appuie aussi sur des mouvements de capitaux à l'échelle de la planète, et dépend de notre capacité à communiquer facilement et instantanément avec le monde entier, par-delà les frontières ancestrales.

Et si l'essor des mouvements séparatistes ne se faisait pas en dépit de cette dynamique, mais à cause d'elle ? Pendant la Révolution industrielle, les populations succombaient aux sirènes du nationalisme pour tenter de résister à la croissance fluctuante, facteur d'inégalités, qui affectait leur région. Aujourd'hui, ceux qui se voient comme les victimes de ces changements trouvent refuge dans les valeurs et les identités traditionnelles, auxquelles ils apportent un soutien politique. Ils tentent de se prémunir contre ce qui leur apparaît comme un mouvement irrésistible et destructeur, qui entraîne des bouleversements économiques et une dégradation du tissu social. Parce que le changement menace de balayer les coutumes, valeurs et modes de vie adoptés de longue date, le nationalisme politique devient un moyen crédible d'organiser la mobilisation.

Une Écosse indépendante est aujourd'hui perçue par beaucoup comme un « modèle » d'adaptation, d'innovation et de souplesse supposée des petits États indépendants qui se disent animés par une philosophie égalitariste. Ces États sont censés mieux répondre aux aspirations sociales de la population, difficiles à mettre en œuvre dans des systèmes plus vastes, plus complexes et plus réticents au changement.

Les observateurs voient l'Écosse comme le symbole septentrional d'une nouvelle vague de social-démocratie, et envisagent le référendum de septembre comme un tournant historique en faveur des petits États nations indépendants. Mais ce tournant ne pourrait-il pas être capital pour une tout autre raison ? Le rejet de l'impulsion séparatiste, s'il se confirmait aujourd'hui, serait peut-être la preuve qu'une identité forte et dynamique est parfaitement compatible, en cette période de globalisation, avec le désir de s'engager sur la voie d'une coopération encore plus large.

En d'autres termes, les résultats du référendum pourront-ils être interprétés comme un signal fort en faveur d'un monde interconnecté qui prend conscience de son interdépendance et s'engage résolument sur cette voie ?

L'union de l'Écosse et de l'Angleterre a toujours été limitée, étant donné que les institutions religieuses, scolaires, juridiques et civiles écossaises conservaient leur caractère distinctif et leur autonomie relative, affranchies du contrôle de Londres.

Qu'est-ce qui explique alors la dynamique actuelle ? Quel est l'impact des bouleversements mondiaux actuels sur une identité écossaise pourtant bien établie ?

Depuis les années 1960, l'Écosse est passée d'une économie reposant principalement sur l'industrie manufacturière et l'exploitation minière à un système où le secteur industriel est encore moins important que celui de l'Irlande du Nord. Confrontée à des changements planétaires déroutants, aliénants et apparemment incontrôlables, l'Écosse a donc eu le sentiment d'être aux premières lignes. Malgré la progression des emplois spécialisés, le travail manuel semble aujourd'hui moins qualifié, moins reconnu et moins bien payé qu'autrefois.

Pourtant, l'effondrement de l'économie industrielle s'est accompagné d'un rapide déclin des institutions civiles. Celles qui ont exprimé et porté l'identité écossaise pendant des siècles semblent à présent incapables de fournir des réponses dans un climat d'angoisse et de doute. En 1951, près de 60% des Écossais -- deux millions d'hommes et de femmes sur une population adulte de 3,5 millions -- étaient presbytériens ou catholiques. Aujourd'hui, seuls 5% des enfants écossais suivent des cours de catéchisme. Si la baisse de l'affiliation religieuse et de la fréquentation des églises est globale, la vitesse et l'ampleur du phénomène sur ce qu'on appelait la pieuse Écosse jusque dans les années 1950 a fait l'effet d'un véritable traumatisme. L'affaiblissement de notre attachement à la quasi-totalité des institutions traditionnelles écossaises -- de nos autorités municipales à notre système bancaire, autrefois influent, en passant par des clubs de foot, mondialement connus, qui réussissaient à faire cohabiter nationalisme culturel pro-écossais et unionisme politique pro-britannique -- a d'ailleurs créé un manque que d'autres se sont empressés de combler. Pour autant, les gens ne se sentent pas moins écossais. Ils ont d'ailleurs besoin de canaliser ce sentiment d'appartenance, ce qui explique la renaissance d'un nationalisme politique qui prétend aujourd'hui être la principale institution de défense de l'Écosse.

Mais la Grande-Bretagne elle-même, dépossédée de son empire et de sa prédominance militaire et économique, a traversé une crise d'identité au moment de la décolonisation. Les Écossais se demandent ce qu'elle représente aujourd'hui, vers où elle s'achemine, et si elle a encore une raison d'être en 2014.

Mais aucun de ces changements -- dus aux nouveaux courants de globalisation -- ne saurait justifier l'indépendance écossaise. Car le problème économique de l'Écosse n'est pas lié à l'Angleterre, mais à la globalisation elle-même. Il suffit de regarder le programme des nationalistes écossais pour comprendre que les mesures de baisse d'impôts n'auraient aucune incidence sur les revenus ou sur les inégalités. Au contraire, elles ne feraient qu'empirer la situation.

La colonisation anglaise n'est pas non plus responsable de l'état de confusion dans lequel se trouvent nos institutions civiles. Seuls les Écossais ont la capacité de les redresser et de les moderniser. Et bien qu'ils doutent de l'utilité de la Grande-Bretagne, ils n'en sont pas pour autant antibritannique. Ils souhaitent simplement que les leaders politiques britanniques redéfinissent la raison d'être de la Grande-Bretagne, comme l'ont fait en leur temps les États-Unis, la France et, plus récemment, l'Afrique du Sud.

L'unité de la Grande-Bretagne ne repose pas sur des critères ethniques, ce qui la distingue de toutes les autres nations contemporaines, même si on a souvent tendance à l'oublier.

Ainsi, l'État-providence dont bénéficient les quatre nations du Royaume-Uni -- et dont les ressources sont allouées en fonction des besoins et non de la nationalité de ses ressortissants -- sert de modèle à d'autres pays qui tentent de trouver le moyen de vivre en bonne entente avec leurs voisins.

Nul autre groupe de nations n'a réussi à s'entendre sur un partage des ressources similaire à celui qui a cours dans chacune de nos quatre nations. En mettant en commun et en partageant nos ressources, nous donnons la possibilité à quelque 55% à 60% des Écossais, des Gallois, des Anglais et des Irlandais du Nord de sortir de la pauvreté.

Cette Union pour la justice sociale, un marché social où quatre nations bénéficient non seulement des mêmes droits civils et politiques, mais aussi des mêmes droits sociaux et économiques, est unique au monde. C'est à cette Union qu'aspire en vain l'Europe.

D'ailleurs, en ouvrant la voie à l'abolition de leurs propres lois dépassées et en choisissant sciemment de partager leurs ressources avec celles de l'Angleterre, du Pays de Galles et de l'Irlande du Nord, les dirigeants écossais du XXe siècle ont réussi à préserver son identité culturelle et ses institutions nationales, tout en bénéficiant d'une coopération transfrontalière. Par conséquent, quatre nations distinctes se partagent un État-providence, un système de retraites, un système gratuit de protection santé et une réglementation du travail, qui passe notamment par la garantie d'un salaire minimum, en vigueur sur l'ensemble du Royaume-Uni. À l'ère des États-nations, nous avons réussi à combiner la protection d'institutions civiles distinctes et la volonté de s'engager pour un État multinational.

Bien entendu, les solutions du XXe siècle se montrent déjà inadaptées aux défis du XXIe siècle, et le monde a évolué. Dans une période de prises de décision globales plutôt que nationales, les circonstances nous obligent à redéfinir les rapports qui unissent des nations courageuses et un monde globalisé. Les leçons que l'Écosse et la Grande-Bretagne en tireront seront utiles à tous les autres pays du monde.

C'est précisément parce que nous sommes confrontés aux doutes et aux incertitudes nés de la globalisation que les Écossais, malgré leur fort sentiment d'appartenance nationale, disent ne pas vouloir perdre les avantages liés à la mise en commun et au partage des ressources sur l'ensemble du Royaume-Uni. Les sondages laissent entendre qu'au-delà d'un marché économique commun ou d'une politique de défense commune, ce qui leur importe le plus, c'est l'union pour la justice sociale du Royaume-Uni. Les mêmes sondages montrent également une solidarité entre les Écossais, les Anglais, les Gallois et les Irlandais du Nord qui, à une écrasante majorité, soutiennent la couverture santé gratuite pour ceux qui en ont besoin, des pensions généreuses pour les retraités et un système d'imposition commun à toutes les entreprises afin d'en redistribuer équitablement la manne sur l'ensemble du Royaume-Uni. Ce que j'appelle « l'union pour la mise en commun et le partage des ressources » bénéficie d'un soutien remarquable des citoyens.

C'est bien sûr ce partage qui serait la première victime d'un vote positif au référendum de septembre, portant un coup terrible à tous les progressistes -- d'autant que notre système de partage des risques, des bénéfices et des ressources sur l'ensemble du territoire est un modèle pour le reste du monde.

Au XXe siècle, l'Écosse a dû relever le défi du maintien de son identité culturelle, tout en coopérant avec les autres nations du Royaume-Uni. Le défi actuel est plus grand encore : défendre ses traditions culturelles et son identité nationale dans un monde où les solutions aux problèmes liés au changement climatique, à l'instabilité financière et même à la croissance et la pauvreté globale dépassent le cadre national, obligeant donc les États à travailler avec des organisations suprarégionales et mondiales -- ce qui les contraint à trouver un équilibre entre la préservation des identités nationales et l'engagement avec l'Europe et le reste du monde. Face à ceux qui prétendent que le remède miracle à ces problèmes passe par l'indépendance, démontrons que l'interdépendance est un concept plus audacieux, et que la solution passe avant tout par des idées ambitieuses.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse vu par la presse

Le référendum écossais vu par la presse

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.