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Référendum de 1995: un grand mouvement rongé par l'électoralisme

Depuis 1995, le mouvement souverainiste s'est épuisé en joutes électorales, y perdant à chaque fois un peu de son âme et de ses appuis populaires. Cette dérive s'est pour partie nourri du désir des appareils politiques de garder leur mainmise sur le message et sur les postes et, pour partie, du désir des militants de profiter de chaque tribune pour asséner le même mantra à la population.
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Tout en n'oubliant jamais que le référendum d'octobre 1995 s'est conclu par la défaite du OUI, cet épisode correspond tout de même à un mouvement populaire d'une ampleur unique dans l'histoire en faveur de l'indépendance du Québec, et que d'aucuns souhaitent recréer depuis... On assiste alors à une mobilisation étonnante de citoyens engagés, au-delà des lignes partisanes, afin de mettre au monde un nouvel État français conçu par et pour le peuple québécois : Commission sur l'avenir du Québec, commissions sur la souveraineté, forum jeunesse sur la souveraineté, Étudiants pour le OUI, artistes pour le OUI, entrepreneurs pour le OUI et même les plombiers pour le OUI !

Un référendum a ce mérite de transcender le clivage des partis et d'interpeler personnellement chaque citoyen sur un enjeu précis et fondamental. Comme d'autres groupes, les partis politiques s'étaient donc sagement rangés sous l'un ou l'autre des comités parapluies, renonçant chacun à orchestrer la stratégie de son camp et à lui dicter tel ou tel point de son programme électoral.

Tant et tant d'explications ont depuis été fournies au lent déclin de la ferveur souverainiste, bien illustrée par l'érosion du vote en faveur des partis souverainistes, élection après élection. Certaines relèvent de la pensée magique. On reprochera par exemple au Parti québécois d'avoir troqué la lutte pour la souveraineté pour la conquête pure et simple du pouvoir, comme si l'un n'allait pas sans l'autre. Plus candide encore, on lui reprochera d'avoir renoncé à parler de souveraineté, comme s'il s'agissait de matraquer le bon peuple d'appels incantatoires à « se donner un pays » pour recréer l'élan populaire de 1995.

Reste que la plupart des explications aboutissent en gros à la lecture suivante : de mouvement populaire large et profond culminant en 1995, l'indépendantisme a peu à peu échappé à sa base populaire pour être séquestré par les machines politiques qui l'ont détourné à des fins partisanes, le réduisant à de simples slogans, le temps d'un congrès ou d'une campagne électorale. Ainsi s'expliquerait la schizophrénie du fameux 40% de souverainistes qui votent de moins en moins pour le Parti québécois ou le Bloc québécois.

Or, là où bon nombre serait tenté de condamner sans appel les leaders souverainistes, je déclarerais un non-lieu, car cette dérive incombe en fait à tout le mouvement. La dérive partisane ou électoraliste ne fut sans doute jamais délibérée et était peut-être inévitable en regard d'autres phénomènes qui, depuis 1995, ont contribué à miner les bases populaires de la souveraineté : l'individualisme, le multiculturalisme ou le vieillissement de la population par exemple. Qui plus est, la stratégie électorale demeure nécessaire afin de finir par l'emporter et d'enfin poser les gestes politiques devant mener la souveraineté. Le problème est quand ce modus operandi finit par prendre toute la place.

La dérive électoraliste

La politique partisane a promptement repris ses droits dès le lendemain du référendum de 1995. La plus belle illustration est le changement de rôle significatif opéré par Lucien Bouchard, passé en quelques semaines d'âme de la coalition du OUI à chef du Parti québécois et premier ministre du Québec. Bouchard et son parti durent alors brusquement changer de registre : gérer l'État et déjà préparer la prochaine échéance électorale. Depuis, le PQ a dû mener pas moins de six campagnes électorales, monopolisant à chaque fois l'énergie des militants souverainistes en vue de la conquête du pouvoir et relancer la marche vers la souveraineté. Or, soumettre à répétition le grand projet de souveraineté au test électoral a un prix. On exposait ainsi la fragile coalition souverainiste à des dissensions à répétition en la détournant à des fins partisanes.

Un parti de pouvoir comme le Parti libéral du Québec n'a pas ce problème et il est naturellement adapté à la joute électorale. Sa plateforme floue, sa clientèle acquise, son réseau purement mû par la conquête et la jouissance du pouvoir, tout cela le conditionne à mener des campagnes électorales classiques où présenter des candidats-poteaux, brandir des slogans vaseux et tabler à son aise sur les enjeux à la mode : soins de santé, emplois, lutte au déficit, etc.

En revanche, un parti porteur d'une grande idée, tel le Parti québécois, n'a pas la même latitude dans la fange électorale. Il doit à chaque fois poser l'enjeu fondamental comme préalable à tous les autres, quitte à décevoir l'électorat préoccupé par les questions de l'heure. Que l'enjeu fondamental vienne à moins compter aux yeux des électeurs et le parti d'idée se retrouve embarrassé, paraissant même négliger les autres questions pour ne pas risquer de diviser ceux qui se reconnaissent sous la bannière souverainiste. Bref, le mouvement «souveraineté du Québec» est sorti esquinté à chaque élection depuis 1995, peu importe que le Parti québécois l'ait remporté ou non, érodant chaque fois davantage «l'union sacrée» de 1995.

Tout compte fait, les souverainistes n'ont jamais su résister à l'électoralisme. Comment en effet ne pas tout miser sur cette tribune inestimable ? Une élection procure une audience hors pair pour faire « avancer l'idée », attirer l'attention des médias, illustrer la faillite du fédéralisme, rencontrer les électeurs et occuper la base militante qu'il faut bien galvaniser entre deux référendums. Pour un mouvement souverainiste chroniquement fauché, les campagnes électorales représentent aussi une vitrine gratuite inestimable et une source de revenus non négligeable, par le biais du remboursement des dépenses électorales et les allocations des députés souverainistes.

Les partis souverainistes ont aussi pu s'arroger la direction du mouvement en invoquant leur mode de fonctionnement plus hiérarchisé, plus efficace et plus professionnel que celui d'organisations citoyennes aux contours flous et inconstants. Or, en drainant la coalition souverainiste à des fins partisanes et en la soumettant à répétition au test électoral, les partis souverainistes allaient participer au déclin de l'option.

À l'heure où les partis politiques, les élections, le mode de scrutin et les politiciens en général traversent une crise de crédibilité sans précédent dans la population, il est curieux que les souverainistes privilégient toujours cette tribune. Les groupes écologistes par exemple réussissent très bien à faire progresser leurs idées par des voies alternatives non partisanes, sans se disputer l'électorat ni se quereller ou fonder des partis écologistes rivaux. Or, entre le mouvement écologiste et celui pour la souveraineté, lequel a le plus progressé depuis 1995 ? Depuis, le mouvement souverainiste a surtout fait parler de lui par ses dissensions publiques et ses effets de toges en périodes électorales. Il est grand temps de revenir sur le terrain des vaches, de renouer avec la population et de redevenir un mouvement populaire. À l'instar des écologistes, le mouvement souverainiste a d'abord besoin de groupes de citoyens, de campagnes publiques créatives non partisanes, de porte-parole crédibles et de stratégies ciblées et efficaces.

Tout miser sur les partis et les campagnes électorales est devenu contre-productif. Pour stopper sa régression, le souverainisme doit redevenir un mouvement citoyen profond. Pour cela il lui faudrait réinvestir les syndicats, les associations étudiantes, les conseils de ville, les chambres de commerce, les groupes de citoyens, les conseils d'administration, les clubs et associations sportives, les corps de métier. Il doit de même mener des campagnes publiques portant sur l'état de la langue, du patrimoine, de l'enseignement de l'histoire, mais en marge des partis politiques. Lors de la campagne référendaire sur l'indépendance de l'Écosse, à l'automne 2014, le comité du OUI regroupait pas moins de 400 organismes. Combien aujourd'hui adhèreraient spontanément à la campagne du OUI au Québec ?

Quatre exemples éloquents me viennent en tête pour illustrer combien le mouvement souverainiste a misé, à chaque fois, sur l'électoralisme et manqué de belles occasions de renouer avec les organisations citoyennes et les « corps intermédiaires ».

1. La prolifération des tiers partis

Le Parti québécois a toujours été traversé de débats déchirants. On l'a dit, c'est le propre des partis d'idée de devoir concilier diverses tendances partageant un même idéal. Jusqu'au référendum de 1995, ce parti est cependant demeuré le véhicule politique privilégié par la plupart de ces tendances. Il y a bien alors le petit parti de Mario Dumont, l'ADQ, mais Jacques Parizeau réussit à le rallier au camp du OUI par l'entente du 12 avril 1994.

Depuis, la coalition péquiste a été mise à mal. Tant à gauche qu'à droite, des groupes, partie prenante du camp du OUI en 1995, ont souhaité à leur tour se doter d'une vitrine politique.

L'avènement de Québec solidaire, Option nationale et de la Coalition avenir Québec fut une véritable catastrophe pour le mouvement souverainiste et pourra peut-être à lui seul expliquer son échec historique. Voilà trois « mouvances » qui auraient très bien pu mener un travail d'éducation populaire au sein d'organisations non partisanes où faire avancer leurs idées, mais qui n'ont pas su résister à l'attrait de l'électoralisme, à la visibilité médiatique, aux campagnes de financement et aux allocations des députés.

Ce fractionnement du vote nationaliste aura aussi alimenté les querelles byzantines, chaque clan s'assénant des tests de pureté souverainiste et s'infligeant des autodafés dès qu'on ose s'écarter de la stratégie élaborée par Parizeau en 1994-1995. Ces querelles entre puristes auront puissamment contribué à couper la population du projet souverainiste et à figer le débat sur l'avenir politique du Québec. Comble d'ironie, le chef charismatique du camp du OUI de 1995, Lucien Bouchard, fait désormais figure de « traitre » auprès des gardiens de l'orthodoxie souverainiste.

2. Le PQ en quête de visibilité

Un fait m'a frappé, il y a deux ans. Après sa défaite cuisante d'avril 2014 et la démission de sa chef, Pauline Marois, l'occasion était belle pour le mouvement souverainiste d'opérer un ressourcement, de faire l'inventaire de ses appuis et de réconcilier la famille souverainiste, à la lumière des changements survenus dans la société québécoise depuis le référendum de 1995. Quatre ans de pouvoir libéral lui en donnaient largement le temps. Rien de tel ne s'est produit et le Parti québécois s'est plutôt empressé de replonger tout le mouvement dans une course à la chefferie. Cette campagne électorale interne était bien sûr, encore là, destinée à captiver les militants et de permettre au parti de demeurer au centre de l'attention médiatique. Le résultat pour le mouvement sera sans doute déplorable. En 2018, les nationalistes seront toujours divisés entre plusieurs partis et n'auront pas su en profiter pour revivifier leurs appuis populaires par un véritable dialogue avec la population. Quant au PQ, il mènera sans doute la même campagne que depuis 20 ans, promettant un référendum à ses militants et paraissant faible sur les autres enjeux, et ce avec un chef prématurément usé parce qu'élu trop vite afin de faire oublier la déroute de 2014.

3. PKP sacrifié à l'électoralisme

Un autre exemple flagrant que le mouvement souverainiste se réduit de plus en plus à une finalité électorale, est illustré par le saut en politique de Pierre Karl Péladeau, puis par son accession à la tête du Parti québécois. Cet événement, en apparence extraordinaire, est en fait de mauvais augure, car il traduit à quel point le Mouvement souverainiste manque désormais de profondeur et qu'il n'ait apparemment plus d'autres manières de promouvoir la souveraineté qu'au sein de partis politiques et lors de campagnes électorales.

On aurait pu en effet imaginer un tout autre scénario, où l'homme d'affaires décide d'engager son empire, sa crédibilité et sa renommée, non pas au Parti québécois, mais en soutenant et en animant des organisations, des initiatives et des groupes de recherche souverainistes : comités de sauvegarde de la langue, sociétés d'histoire, groupes d'amitié avec les Autochones, accueil aux immigrants. Déjà très actifs sur le terrain de la culture, de la langue et du patrimoine, l'homme d'affaires aurait eu les coudées franches pour soutenir des initiatives non partisanes et préparer tout à son aise le prochain référendum.

En succombant aux feux de la rampe électorale, il exposait non seulement sa personne, mais aussi tout son empire médiatique aux aléas de l'électoralisme. Au lieu de nourrir la base souverainiste en menant le travail d'animation populaire, voici qu'un homme si précieux, si inestimable, en est réduit à ferrailler à l'Assemblée nationale contre les pitbulls libéraux, à préparer des élections partielles, à porter le poids de la défaite du Bloc québécois et à se compromettre sur d'infinis enjeux plus diviseurs les uns que les autres pour la coalition souverainiste.

4. À corps perdu dans l'élection fédérale

Depuis un an, on a eu un dernier bel exemple de l'attrait irrésistible qu'exerce l'arène électorale sur les souverainistes. Terrassés par la défaite électorale d'avril 2014, ces derniers risquaient de manquer le bateau de l'élection fédérale d'octobre 2015 (aurait-ce été plus mal ainsi ?). C'était compter sans Mario Beaulieu qui souhaitait y mettre à l'épreuve le principe bien ancré qu'il suffit de mener une « campagne permanente en faveur de l'indépendance » pour que les voix souverainistes reviennent tout naturellement au Bloc québécois. Ceux qui ont vu péril en la demeure n'ont pas même pensé passer leur tour et laisser les jeunes d'Option nationale aller au casse-pipe pour tester leur grande idée. Plutôt que de prioriser la reconstruction des bases du mouvement souverainiste au Québec - là où l'indépendance se fera - les ténors souverainistes et le Parti québécois ont plutôt choisi de ressortir un spécialiste de la joute électorale, Gilles Duceppe, et de précipitamment replonger tout le mouvement souverainiste en mode électoral.

Tout compte fait, le Bloc québécois a mené une excellente campagne, professionnelle et bien orchestrée. À chacune de ses sorties publiques, le chef Gilles Duceppe a surpassé les attentes. Cela rend d'autant plus affligeant le maigre 19,3% des voix obtenu et jette une lumière crue sur le manque de profondeur du Mouvement souverainiste qui ne semble désormais plus carburer qu'en mode électoral.

Tout compte fait, depuis 1995, le mouvement souverainiste s'est épuisé en joutes électorales, y perdant à chaque fois un peu de son âme et de ses appuis populaires. Cette dérive s'est pour partie nourri du désir des appareils politiques de garder leur mainmise sur le message et sur les postes et, pour partie, du désir des militants de profiter de chaque tribune pour asséner le même mantra à la population sans plus se demander si le message est encore le bon.

Au terme de six élections générales québécoises et de six élections fédérales depuis 1995, les partis souverainistes ont réussi le rare exploit de se couper de la moitié de ceux favorables à la souveraineté. Il parait inconcevable que, malgré cela, on ne privilégie toujours que l'action partisane pour faire progresser l'option. Députés, personnel politique, présidents d'associations de comté et apparatchiks de tout poil sont donc conviés à une bonne dose de modestie. Réinvestir d'autres lieux où affirmer l'appartenance nationale leur permettrait de reconnecter avec la population, de fréquenter d'autres gens que des « convaincus » et, en somme, de voir du Pays...

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