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Le Parti québécois vaincu par l'anti-étatisme

Tous les sondages démontrent que le sentiment national demeure particulièrement vif et que la rupture culturelle avec le Canada est bien réelle. Le désir de matérialiser ce sentiment par l'accession à la souveraineté est cependant plombé par l'opposition viscérale à un accroissement de la place de l'État dans notre vie collective..
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Dès 1958, Michel Brunet identifiait l'anti-étatisme parmi les Trois dominantes de la pensée canadienne-française. L'historien de l'Université de Montréal a pu paraître s'être trompé durant de la Révolution tranquille. Force est cependant d'admettre que la défiance envers l'État bureaucratique opère présentement un puissant retour, un retour dont le Parti québécois de Pauline Marois n'aura pas saisi l'ampleur.

Les causes de la débâcle du Parti québécois aux élections du 7 avril dernier sont nombreuses et la plupart déjà bien identifiées : impopularité du chef, mauvaise campagne, hésitation et maladresse à propos de la souveraineté et sur l'enjeu identitaire. Une autre raison explique cependant l'ampleur de la victoire du PLQ, qui a hérité du pouvoir sans même avoir à faire campagne, malgré dix ans de corruption et d'usure : la rancœur viscérale des Québécois envers leur État et la défense jalouse des libertés individuelles.

On peut le démontrer sans peine en s'en tenant à trois exemples simples.

Destiné à actualiser la Charte de la langue française, le projet de loi 14 fut immédiatement dénoncé à l'hiver 2013. Les principales mesures visaient à franciser les entreprises de moins de 50 employés et à appliquer la Charte à des milieux jusque-là exemptés, notamment les bases militaires et les municipalités bilingues. Le tollé s'organise essentiellement à propos de la « bureaucratie » et des entraves à la liberté individuelle. Les Québécois ont beau être attachés à leur langue, cet attachement n'a pas résisté à la levée de boucliers envers l'accroissement annoncé des pouvoirs coercitifs de l'État en matière linguistique et ceux de son bras armé : l'Office québécois de la langue française, alors empêtré dans le « pastagate ».

C'est exactement, quoique dans une moindre mesure, ce qu'il est advenu de la réforme de l'enseignement de l'histoire et de l'introduction d'un nouveau cours obligatoire d'histoire du Québec au cégep, une mesure nécessaire et attendue dans le milieu, mais qui s'est, là encore, heurtée au mur des libertés individuelles. Tant les établissements collégiaux que les fonctionnaires et même les syndicats ou les associations étudiantes se sont immédiatement opposés à une ingérence du politique dans le régime d'études, en particulier si c'était au prix de l'abolition d'un cours complémentaire, le fameux « cours au choix », réputé comme étant parfaitement inutile, mais devenu un symbole de la liberté de choix dont on comptait priver les élèves. L'accusation ridicule voulant que le PQ allait en faire un cours « d'endoctrinement séparatiste » masque d'abord une objection à ce que l'appareil étatique impose une nouvelle mesure mur-à-mur. L'inertie naturelle du milieu de l'éducation a fait le reste. Une réforme reconnue comme étant nécessaire afin de bonifier la formation collégiale a donc été promptement rejetée par le gouvernement Couillard, comme allant à l'encontre du libre-choix en matière d'éducation. Une mesure équivalente, consistant à appliquer la loi 101 au niveau collégial, a été rejetée avec plus de force encore et pour les mêmes raisons.

L'exemple le plus probant demeure cependant celui de la Charte des valeurs, dont la critique fut moins portée par les défenseurs du multiculturalisme angélique que par les chantres de la « Libârté », bien illustrée par la réaction négative des chroniqueurs de droite et des radios-poubelles. À Québec, où le PQ comptait faire des gains en misant sur les valeurs conservatrices induites par la Charte, la levée de boucliers fut immédiate. Non pas au nom de l'ouverture à l'Autre, mais parce qu'on y voyait un frein aux libertés individuelles : « Voilà que l'État va nous dire comment s'habiller et nous dire ce qu'est un signe religieux et ce qui ne l'est pas. » Après la police linguistique, on voyait déjà débarquer la police religieuse et l'État licencier les employés ne se conformant pas à la laïcité péquiste.

D'autres mesures du gouvernement Marois furent vite associées au bulldozer étatique : le modèle des CPE mur-à-mur à l'encontre du réseau des garderies privées, le nouveau pacte minier, les élections à date fixe, les règles d'octroi des contrats publics ou la réforme du financement des partis. Que ces mesures aient ou non été arrêtées pour le bien commun ou afin d'entraver la corruption ne comptait plus devant la « lourdeur bureaucratique » appréhendée. Même le projet de loi Mourir dans la dignité a pu sembler dicter la manière dont on devait choisir de mourir !

Le 7 avril dernier, les Québécois n'ont ni renoncé à la fierté nationale ni même rejeté le projet de souveraineté. Ils ont plutôt sanctionné toute velléité d'un État régulateur et, par voie de conséquence, tout ce qui était susceptible de renforcer la bureaucratie et de limiter les libertés individuelles.

Le PQ a subi le choc frontal de cette vague anti-étatiste, et pour cause. Ce parti et sa chef Pauline Marois demeurent intimement associés à la croissance de l'État québécois, dont ils ne tarissaient pas d'éloges, tant à propos des sociétés d'État, qu'à propos du filet de sécurité sociale. Cette impression fut renforcée au lendemain de l'élection de septembre 2012 par des annonces visant à réformer plusieurs services de l'État. Pensant, de la sorte, montrer sa détermination à gouverner malgré un contexte de gouvernement minoritaire, le PQ n'a fait que confirmer les pires clichés le concernant et susciter la résistance spontanée des chantres des libertés individuelles. On a eu beau tenter de rejoindre cet électorat plus conservateur avec la Charte des valeurs, s'est plutôt imposé la conviction bien ancrée que le PQ demeure un parti bureaucratique et donc gauchisant.

Ces atteintes aux droits individuels ont d'autant plus déplu aux jeunes, soucieux de leur liberté et réfractaire à un État maman. Le PQ se sera donc aussi mépris à propos de ces fameux jeunes de 18 à 35 ans, ne voulant voir en eux que ces foules bruyantes participant aux manifs de la crise étudiante de 2012. En fait, les jeunes se retrouvent d'abord massivement parmi ces jeunes familles de banlieue, n'ayant guère eu accès à l'université, mais qui paient beaucoup d'impôts et qui sont quotidiennement confrontés à des services gouvernementaux réputés peu efficaces.

Les autres partis ont bien mieux compris cette vague de fond parmi les électeurs. La CAQ a essentiellement fait campagne en vue de « faire le ménage » dans les services de l'État pour miser sur l'initiative privée. Même Québec solidaire s'en est tenu à des généralités sur l'importance de maintenir des services et de taxer les riches, sans s'engoncer dans des réformes bureaucratiques. Le grand gagnant du vent anti-étatique aura cependant été le Parti libéral qui ne promettait littéralement rien à part relancer l'économie en limitant la taille de l'État : du pur bonbon pour tous ceux, et en particulier les jeunes, prompts à confondre État avec politique et politique avec corruption.

La souveraineté affligée du même mal

Le Parti québécois aura donc été emporté par la défaveur envers la social-démocratie, surtout quand elle est assortie du modèle bureaucratique mur-à-mur auquel ce parti nous a habitué. Que le PQ en prenne acte. Il a le choix entre modifier sa plateforme de centre gauche bureaucratique ou attendre vingt ans que ces idées retrouvent une certaine faveur dans l'électorat à l'occasion d'une éventuelle, mais hypothétique, seconde révolution tranquille.

Là où un nationaliste sincère doit cependant surtout s'inquiéter, c'est sur le fait que cet anti-étatisme viscéral, notamment répandu chez les jeunes francophones, contrevient directement au projet de souveraineté. Qu'on l'envisage de n'importe quelle manière, l'indépendance du Québec peut se résumer à accroitre la taille de l'État québécois, une fois rapatriés les pouvoirs fédéraux. Or les Québécois ont développé le curieux réflexe consistant à n'apporter aucune importance aux dépenses du fédéral, mais de s'opposer maladivement à la moindre dépense opérée par leur État national québécois, surtout si elle consiste à lui donner la stature d'un État souverain. Sur ce point, la population est puissamment encouragée par les journalistes et les chroniqueurs populistes, prompts à crier au scandale dès que l'État québécois investit dans notre vie collective, mais totalement indifférents aux dizaines de milliards que le Canada consacre à acheter des avions de chasse, à mener une guerre en Afghanistan ou à subventionner l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta.

Le projet de souveraineté du Québec est bien l'enfant chéri de la Révolution tranquille, auquel la nationalisation de l'électricité et l'accroissement de la taille de l'État québécois devaient en principe paver la voie. Tous les sondages démontrent que le sentiment national demeure particulièrement vif et que la rupture culturelle avec le Canada est bien réelle. Le désir de matérialiser ce sentiment par l'accession à la souveraineté est cependant plombé par l'opposition viscérale à un accroissement de la place de l'État dans notre vie collective, particulièrement s'il est assorti de mesures coercitives visant à brimer les libertés individuelles, qu'elles soient ou non nécessaires pour préserver nos traits comme peuple. Pour atteindre leur objectif, les partis souverainistes devront donc réapprendre à parler de liberté, d'émancipation et de dépassement de soi. Le 7 avril dernier, les Québécois ont massivement rejeté le nationalisme bureaucratique. Reste à voir s'il y en a encore un autre.

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