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Au paradis perdu des nations non-souveraines

Du Printemps des peuples au référendum écossais, une dimension échappe cependant aux Québécois qui souhaitent tirer leçon de modèles étrangers, soit qu'il s'agit généralement de restaurer une souveraineté perdue. À l'instar des antiques royaumes d'Écosse ou d'Aragon, le Québec peut-il trouver à l'époque du régime français l'exemple d'une souveraineté perdue? Bien sûr que non.
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Pas d'hier que les luttes nationales menées ailleurs en Occident inspirent les nationalistes québécois. Déjà en 1837, les journaux patriotes s'enthousiasmaient pour les révoltes en Amérique latine contre l'Empire espagnol, en Grèce contre l'Empire ottoman, en Belgique contre les Provinces-Unies, en Pologne contre l'Empire russe ou en l'Italie contre l'occupation autrichienne. Au début du XXe siècle, les catholiques du Québec s'émeuvent surtout du sort de leurs coreligionnaires de Pologne, qui renouent finalement avec l'indépendance en 1919, et d'Irlande, où la lutte historique accouche dans la douleur en 1921. Durant la Guerre froide, les premiers indépendantistes québécois (à commencer par René Levesque à l'émission Point de mire) sont fascinés par les mouvements de décolonisation en Égypte contre le protectorat britannique, en Algérie contre le colonisateur français ou au Viêt Nam contre l'impérialisme américain. Au tournant du XXIe siècle, on s'intéresse à leur tour aux États-nations issus de la décomposition du bloc soviétique: Slovaquie, Slovénie et républiques baltes notamment.

Du Printemps des peuples au référendum écossais, une dimension échappe cependant aux Québécois qui souhaitent tirer leçon de modèles étrangers, soit qu'il s'agit généralement de restaurer une souveraineté perdue. Dès l'époque romantique, Grecs, Italiens, Allemands, Belges, Polonais et Hongrois retrouvent dans leur passé les matériaux essentiels pour étayer leurs revendications nationales. La Grèce, la première, renoue durant sa lutte d'indépendance avec la fierté d'avoir été le berceau de la civilisation occidentale. De même, la malheureuse Pologne, malmenée par trois partitions, puis écrasée sous le joug tsariste, mais puisant dans le souvenir de la grande Pologne médiévale, rempart de la chrétienté contre la poussée turque, une foi inébranlable en son destin national. Il en va ainsi pour la plupart des états d'Europe centrale nés au XXIe siècle : Serbie, Ukraine, Monténégro ou Macédoine : tous autrefois souverains, se mirant dès lors dans une sorte d'âge d'Or ou de paradis perdu au moment de renouer avec l'indépendance, quitte pour cela à devoir remonter à Alexandre le Grand !

La souveraineté retrouvée de l'Écosse et de la Catalogne

Les cas récents de l'Écosse et de la Catalogne en sont des démonstrations éclatantes. Personne ne niera combien le rappel de l'ancien royaume d'Écosse a compté dans la genèse du projet actuel de souveraineté écossaise. À lui seul, le film populaire Braveheart, produit et interprété en 1995 par Mel Gibson pour rappeler l'épopée de William Wallace (1272-1305), a révélé au monde l'histoire méconnue de l'Écosse souveraine. Durant le Moyen Âge, le royaume écossais participe bel et bien au concert des nations, s'alliant même à la France contre l'Angleterre durant la guerre de Cent Ans. Ce n'est qu'en 1603, que les couronnes écossaise et anglaise fusionnent et, en 1707, que les deux parlements s'unissent. Même si les considérations économiques et sociales ont bien sûr pris le dessus dans le débat actuel, l'expérience historique d'une souveraineté perdue entretemps a puissamment contribué à légitimer et à inspirer le projet souverainiste écossais.

De son côté, les Catalans rappellent de bon droit l'époque où le royaume d'Aragon dominait la méditerranée occidentale, fer-de-lance de la Reconquista au XVe siècle. L'histoire se rappelle du fameux mariage entre l'infante de Castille Isabelle et Ferdinand d'Aragon en 1469, mais jamais la maison d'Aragon n'abdiqua sa souveraineté. Dans un livre paru à Barcelone l'an dernier afin de décrire aux étrangers les fondements de la lutte nationale catalane (Catalonia Calling. Ce que le monde doit savoir, Sapiens, 2013), prêt de la moitié du contenu porte sur un seul événement : la guerre de succession d'Espagne (1701-1714) et le funeste traité d'Utrecht qui scellait en 1713 le sort du peuple catalan en le plaçant sous la domination de Madrid. L'histoire catalane offre bien d'autres épisodes de résistance, notamment contre la dictature franquiste en 1937, mais aucun fait historique de l'argumentaire nationaliste ne supplante en importance le rappel de cette souveraineté perdue au début du XVIIIe siècle.

La Nouvelle-France, une souveraineté perdue ?

L'histoire est bien sûr tout autant au cœur de l'argumentaire souverainiste québécois. Depuis la Conquête de 1760 foisonnent les cas d'abus envers le peuple québécois de la part de la métropole britannique, puis du Canada anglais. L'histoire du Québec est cependant dépourvue d'un épisode où son peuple ait pu exercer sa souveraineté et ainsi assoir les assises juridiques de sa capacité à assumer sa destinée. À ce compte, les Premières Nations sont mieux en mesure que les Canadiens français d'invoquer l'histoire pour renouer avec une souveraineté confisquée.

Reste la Nouvelle-France. À l'instar des antiques royaumes d'Écosse ou d'Aragon, le Québec peut-il trouver à l'époque du régime français l'exemple d'une souveraineté perdue ? Bien sûr que non. Plus que jamais, le territoire du Québec était alors une colonie soumise à la France, les émissaires français, de Frontenac à Montcalm, ne se gênant pas pour rappeler aux « Canadiens » leur statut de coloniaux quand ces derniers tentent d'organiser la guerre aux colonies anglaises ou de signer eux-mêmes des traités avec les Autochtones. Dans le siècle qui suit la Conquête, le souvenir de la Nouvelle-France n'est guère rappelé par les élites canadiennes qui célèbrent plus volontiers les libertés acquises depuis la cession du Canada à la Grande-Bretagne. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse autour de Louis-Honoré Fréchette, Joseph-Guillaume Barthe ou Edmond de Nevers un courant nostalgique brossant un portrait idyllique de cette France d'Amérique. Cette nostalgie est cependant confinée au milieu littéraire et alimentée par l'irrédentisme revanchard en France durant la IIIe république.

Au tournant des années 1960, les historiens de l'École de Montréal, Maurice Séguin, Michel Brunet et Guy Frégault revisitent la Nouvelle-France décrite comme une « société normale » offrant tout le potentiel pour éventuellement s'affranchir de la tutelle française. L'École de Montréal fera grand bruit. Elle demeure cependant foncièrement pessimiste quant au destin de ce peuple décapité, brusquement dépouillé de sa place dans l'histoire suite à la conquête anglaise.

Privé d'exemple de souveraineté dans son histoire, le peuple du Québec ne peut guère s'abreuver qu'à la source de l'amertume afin d'étancher sa soif d'indépendance. Il se retrouve donc d'autant plus face à un déficit de fierté, de confiance et de légitimité pour se prouver à lui-même sa capacité à pleinement assumer sa souveraineté. L'indulgence envers nous-mêmes devrait donc être tout autant de mise que notre détermination.

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