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Louis Cyr, héros d'un peuple écartelé et méprisé

À un siècle de distance et à l'occasion de la sortie du film sur Louis Cyr, il est opportun de rappeler combien le Québec a déjà été bien plus mal pris qu'aujourd'hui et sut pourtant trouver les héros exemplaires lui donnant les raisons de garder espoir. Car, malgré son destin exceptionnel, Louis Cyr et sa famille ont bien participé au drame national.
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Les articles se succèdent depuis la sortie du film Louis Cyr, l'homme le plus fort du monde. La beauté d'un tel film est d'abord de susciter la curiosité du public et d'élargir ses horizons. On se demandera ainsi que fait au juste Louis Cyr aux États-Unis au début du film? Comment peut-il être tour à tour agriculteur, bucheron, policier et même tavernier tout en menant de front une carrière d'homme fort ? Les réponses se trouvent en partie dans la situation lamentable où sont plongés la plupart des Québécois de cette époque, en proie à la pauvreté, au racisme et à l'émigration massive. Or, malgré son destin exceptionnel, Louis Cyr et sa famille ont bien participé au drame national.

Napierville, village martyr

Louis Cyr est né à Napierville le 10 octobre 1863, deuxième des 17 enfants de Pierre Cyr, bûcheron et cultivateur, et de Philomène Berger. L'ancienne seigneurie de Lery est alors parsemée de belles forêts de chênes et de noyers sur un sol d'une richesse exceptionnelle, la fameuse terre noire sherrington. Encore aujourd'hui, l'horticulture y est remarquable: ail, asperges ou artichauts. La région connait un essor vers 1830 tandis que les Canadiens français venus de Laprairie s'y installent nombreux. Elle est aussi convoitée par des loyalistes anglophones retranchés dans les enclaves d'Odelltown, Clarenceville et d'Hemmingford. En 1838, Napierville est particulièrement soulevée du côté patriote et abrite jusqu'à 3000 combattants déterminés. Plusieurs Cyr s'illustrent d'ailleurs parmi eux, dont Pierre, David et un certain... Louis Cyr, incarcéré à la prison du Pied-du-Courant le 13 novembre 1838 pour sa participation à la bataille d'Odelltown. Baptisé Cyprien-Noé, Louis Cyr aura peut-être repris ce prénom d'un parent patriote.

Napierville sortira dévastée de la répression militaire: durant un mois, des milliers de soldats anglais y séjournent, incendiant les fermes et arrêtant des centaines d'hommes dont bon nombre finiront pendus ou exilés en Australie. Jusque-là centre judiciaire et carrefour routier florissant, le bourg ne s'en remettra pas et végète depuis au rang de centre agricole de second ordre. Des années après, l'anathème s'abat toujours sur les familles d'ex-patriotes, le seigneur William Christie exigeant d'eux des arrérages et les acculant à la ruine. Le nom de Cyr étant associé aux patriotes, la famille de Louis en fut l'une des victimes collatérales.

L'exode aux États-Unis

Durant son enfance à Napierville, Louis Cyr a pu côtoyer le curé de la paroisse voisine de Lacolle, nul autre que le «Roi du Nord», le célèbre curé Antoine Labelle. Labelle constate alors que, de dimanche en dimanche, les bancs de son église se vident littéralement, et assiste impuissant au départ de familles entières pour les États-Unis. En 1878, Louis Cyr a 15 ans quand sa famille décide à son tour de quitter le Québec pour Lowell, au Massachusetts. L'exode des Québécois vers les États de la Nouvelle-Angleterre représente un drame humain et national d'une ampleur sans pareil: au terme d'un siècle d'hémorragie, c'est près d'un million de Québécois qui partent aux États-Unis, généralement pour ne jamais en revenir.

La région la plus touchée est justement celle qu'habite Louis Cyr, près de la frontière américaine, au sud de Montréal. Autour, Valleyfield, Saint-Jean et Saint-Hyacinthe s'en tirent un peu mieux, mais à Napierville c'est le désastre: la population y diminue de moitié, et cela malgré un taux de natalité vertigineux! Selon le recensement de 1891, la moitié de ceux dont les parents sont nés au Québec n'y vivent plus, dispersés, écartelés, vaporisés, de Winnipeg à Boston. Ils sont des milliers ailleurs au Canada, à Hearst, Saint-Boniface, Sudbury, Cornwall, Pembrooke. Ils sont plus nombreux encore en Nouvelle-Angleterre, à Marquette, Manchester, Woonsocket et Lowell.

Partout ces Québécois font l'expérience du déracinement, de l'humiliation et de l'assimilation. En 1871, le Nouveau-Brunswick abolit l'enseignement public en français. Le Manitoba suit trois ans plus tard, puis c'est l'Alberta et la Saskatchewan, nées en 1905 dans un unilinguisme jubilatoire, malgré leur 20 % de francophones. Aux États-Unis, les Québécois sont à la fois exploités par les patrons américains et persécutés par l'Église catholique contrôlée par un clergé irlandais francophobe. Louis Cyr le constate à son aise en sillonnant les routes de l'Ontario et de la Nouvelle-Angleterre, ses haltères sous le bras, se produisant partout où s'étiolent les rameaux de la FrancoAmérique.

Le maelstrom montréalais

Le 16 janvier 1882, Louis Cyr épouse Mélina Comtois et choisit de s'établir à Saint-Jean-de-Matha sur les marches de la colonisation agricole, aux confins de Lanaudière. Les Québécois poursuivent alors le rêve désespéré de la colonisation afin de freiner l'exode aux États-Unis. Guidés par leurs prêtres, ils colonisent l'Estrie, le Saguenay, les Laurentides, la Mauricie, les Bois-Francs et Lanaudière. Comme d'autres, Louis Cyr est emporté par cet élan d'enthousiasme, mais on déchante rapidement. Mal desservies et peu propices à l'agriculture, ces régions sont vite plongées dans la misère. Faute de mieux, plusieurs, comme Louis Cyr, trouvent à s'engager dans les camps de bucherons. La coupe de bois, les scieries et l'industrie des pâtes et papiers seront la planche de salut de bien des familles ruinées.

Dès 1883, les Cyr renoncent et choisissent de s'établir à Montréal où Louis accepte un emploi de policier. Encore là, Louis Cyr partage bien le destin de ses compatriotes. Le recensement de 1901 nous apprend que les Québécois se ruent désormais vers les nouvelles villes industrielles du Québec - et au premier titre à Montréal, dont la population quintuple entre 1860 et 1910, passant de 150 000 à 800 000 âmes. Des quartiers entiers, tels Hochelaga, St-Henri, Plateau Mont-Royal ou Pointe-St-Charles se bâtissent en le temps de le dire pour loger cette masse des paysans dépenaillés vite engagés dans les usines textiles du canal Lachine. Montréal est alors un véritable mouroir, aux portes de la crise humanitaire. Y meurt bon an mal an un enfant sur trois de dysenterie, de typhoïde ou de tuberculose tandis que la puissante bourgeoisie anglophone traite la majorité francophone avec un parfait mépris. Parias dans leur propre métropole, les Québécois ne semblent plus chez eux nulle part. Charles Gill écrit en 1910:

Le soleil se couchait; dans une poussière d'or passait la foule cosmopolite. Ce soleil au couchant, cette rue que j'avais vue il y a vingt ans toute française, cette foule composée de races hostiles à notre étoile, la diversité des langues, notre race représentée là surtout par ses prostituées de douze ans et ses jeunes ivrognes, tout cela me frappa. Nous étions demeurés près de la vitrine; j'attirai Albert Ferland jusqu'au bord du trottoir; d'un geste je lui montrai le soleil et de l'autre la foule: regardez Ferland, lui dis-je, regardez mourir le Canada français.

En proie au racisme

Retiré à Saint-Jean-de-Matha au terme de ses exploits, Louis Cyr est à même de constater la grande vague de racisme que subissent ses compatriotes. Les impérialistes avaient déjà éradiqué le peuple métis avec une insoutenable cruauté en 1885, ils s'attaquent maintenant, méthodiquement, dans chaque province, aux droits des francophones et des catholiques. Enhardis par leur victoire sur le valeureux peuple Boers en 1901, satisfaits d'avoir expurgé l'Ouest canadien du sang québécois, les impérialistes canadiens réussissent en 1910 à chasser Wilfrid Laurier du pouvoir à Ottawa et à y placer l'un des leurs, le conservateur Robert Borden, qui soutient aussitôt l'impérialisme britannique, en attendant que leur enthousiasme aille se briser sur les tranchées et les torrents de sang de la Première Guerre mondiale.

Pas étonnant que le Québec se soit alors tourné vers son Église. Toute sa vie Louis Cyr fut un grand croyant qui ne manqua jamais un service religieux, même durant ses tournées. Nulle loi, nul ministère, nul financement public pour protéger les droits des franco-catholiques. C'est dans nos familles, nos couvents et nos écoles de rangs que purent seules être préservées les valeurs françaises et ainsi cimenter cette diaspora tendue au-dessus de l'abime, en attendant que les Québécois prennent un jour en main leur destinée et se dotent d'un État du Québec, notre patrie.

À un siècle de distance et à l'occasion de la sortie du film sur Louis Cyr, il nous est paru opportun de rappeler combien le Québec a déjà été bien plus mal pris qu'aujourd'hui et sut alors trouver les héros exemplaires lui donnant les raisons de garder espoir.

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